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CHAPITRE 2 La variabilité des effets du soutien social

3. Les effets du soutien social : une grande variabilité

3.1. Les effets positifs du soutien social sur la santé physique et / ou psychique

Les études relatives aux effets du soutien social sur la santé montrent, dans leur grande majorité, les effets bénéfiques du soutien social sur la santé physique et mentale (Barrera, 1986 ; Cohen et Wills, 1985 ; Henderson, Byrne et Duncan-Jones (1981), Kessler et al., 1994 ; Sarason, Pierce et Sarason, 1990). En 2004, les résultats d'une enquête sur la santé mentale

et le bien être des collectivités canadiennes menée par Caron et Guay confirment d'ailleurs clairement ces liens positifs entre soutien social et santé mentale : "les dimensions du soutien social s'avèrent parmi les prédicteurs les plus puissants de la détresse psychologique et du bien-être, tout autant chez les populations à faible revenu que chez celles se situant au-delà du faible revenu" (Caron et Guay, 2005, p. 24). Nous relèverons ici des travaux significatifs mettant en relief les effets bénéfiques de l'intégration sociale et des réseaux de soutien d'une part, du soutien perçu, d'autre part.

3.1.1. L'effet protecteur de l'intégration sociale et des réseaux de soutien

La recherche de grande envergure menée par Berkman et Syme en 1979 s'attache à examiner les associations entre le degré d’intégration sociale et la mortalité, à partir d'un vaste échantillon de 7000 sujets, résidents dans l’Etat de Californie, âgés de 30 à 69 ans. Les auteurs ont initialement calculé un score d’intensité des liens sociaux à partir d’indicateurs de propriétés formelles du réseau, et divisé leur échantillon en trois sous-groupes (soutien faible, moyen, fort). Les résultats montrent l’effet protecteur des liens sociaux sur l’état de santé des personnes. Ceux qui ont un soutien social faible ont, neuf ans plus tard, un risque de mortalité 1,8 à 4,6 fois plus élevé que ceux qui bénéficient d’un soutien social fort.

Cette association positive entre longévité et intégration sociale est ensuite retrouvée dans plusieurs études épidémiologiques du même type (Cerhan et Wallace, 1997 ; Schoenbach, Kaplan, Fredman et Kleinbaum, 1986 ; Vogt, Mullooly, Ernst, Pope et Hollis, 1992), venant ainsi renforcer le postulat des effets bénéfiques directs du soutien social sur la santé des personnes. Dans le même sens, des études soulignent que les personnes socialement intégrées ont une plus faible probabilité d’avoir une attaque cardiaque (Kaplan et al., 1988), ou une plus forte probabilité de survivre à une attaque cardiaque (Berkman, 1995 ; Seeman, 1996). De même, les individus dont le réseau social est dense ont une plus grande chance de survivre à un cancer, et moins de risques de voir leur cancer récidiver (Helgeson, Cohen et Fritz, 1998). Posséder un grand nombre de rôles sociaux est également associé positivement aux auto- évaluations d’affectivité positive, d’estime de soi, de sentiment de contrôle personnel, ainsi qu'à un meilleur régime alimentaire et une meilleure qualité de sommeil (Cohen, 1991 ; Cohen, Doyle, Skoner, Rabin et Gwaltney, 1997).

Malgré ces résultats, les processus explicatifs de l’effet de l'intégration sociale sur la santé n’ont pas été véritablement dégagés par les approches sociologiques ; si ces dernières

rapportent l'existence d'un lien entre les caractéristiques formelles du réseau et l’apparition, la progression ou la guérison d’un trouble de santé, elles n’éclairent en rien les mécanismes qui sous-tendent cette liaison et restent essentiellement descriptives. Or, le sens de l’association entre l'intégration sociale et l'état de santé n’est pas toujours évident : sont-ce les caractéristiques du réseau ou de l’intégration sociale qui prédisent l’état de santé de l’individu ou à l’inverse, ne serait-ce pas l’état de santé de la personne qui détermine la composition et la dynamique de son réseau social ?

3.1.2. Les effets bénéfiques sur la santé du soutien social perçu

Si "l'existence de liens sociaux est l'une des conditions nécessaires pour recevoir du soutien, elle n'est pas une condition suffisante pour que ces relations soient bénéfiques. C'est une relation intime, permettant de se confier à un "autre significatif" qui est la forme de soutien la plus fonctionnelle, celle qui protège l'individu contre les effets de l'adversité" (Cohen et Wills, 1985 in Bruchon-Schweitzer, 2002, p. 77).

C'est une conception psychosociale du soutien qui prévaut ici, centrée sur des indicateurs de sa perception (en termes de disponibilité, de satisfaction ou d'adéquation du soutien aux attentes du sujet), lesquels se sont en fin de compte avérés plus prédictifs que les indicateurs structuraux liés au réseau social (Furukawa, Sarason et Sarason, 1998).

Dans le domaine de la psychologie de la santé, de nombreux travaux viennent ainsi soutenir l'idée d'effets positifs du soutien social perçu sur la santé. C'est le cas d'études menées auprès de patients cancéreux attestant d'une relation positive entre soutien social perçu et bien être (Gerits, 1997). Selon cet auteur, le soutien social peut à la fois agir directement, en renforçant par exemple l'activité du système immunitaire, et indirectement, en facilitant l'adhésion thérapeutique du patient et le recours à certaines stratégies de coping. Chez les patients atteints de douleurs chroniques, mêmes conclusions : le soutien social semble là encore avoir des effets positifs directs - il atténue le comportement de maladie - et indirects - il modère l'anxiété et facilite l'élaboration de stratégies actives (Bruchon-Schweitzer, 2002).

Dans le même sens, une étude quasi prospective menée par Bidan-Fortier (2001) auprès de 82 patients séropositifs montre que le soutien social perçu est associé à une meilleure compétence immunitaire évaluée deux ans plus tard. Le soutien social jouerait ici un rôle significatif en renforçant le contrôle perçu des patients, contrôle qui en retour, a un effet bénéfique sur l'évolution de l'infection.

Dans le domaine de la psychologie du travail aussi, on s'intéresse en premier lieu aux effets directs du soutien social organisationnel perçu - par exemple, le soutien de la hiérarchie - sur la qualité de vie des salariés (La Rocco, House et French, 1980). Les résultats de différentes études empiriques concluent à son influence positive sur les diverses facettes de l’implication et de la performance (Coyle-Shapiro et Kessler, 2000 ; Coyle-Shapiro et al., 2002 ; Rhoades et Eisenberger, 2002).

Certains chercheurs considèrent d'autre part que le soutien social du supérieur hiérarchique et des membres de l’équipe de travail a plutôt un effet modérateur sur la relation entre le stress au travail et l’épuisement professionnel (Russel, Altmaier et Van Velzen, 1987 ; Burke et Greenglass, 1995 ; Greenglass, Burke et Konarski, 1997 ; Pines, Ben-Ari, Utasi et Larson, 2002). Le soutien social perçu peut aussi être assimilé à un mécanisme de coping, réduisant les effets négatifs du stress (Johnson et Hall, 1988, p. 1336 ; Thomas et Ganster, 1995, p. 6). Ces études posent comme principe que le niveau de soutien social perçu par un individu dans une situation donnée, a un impact sur le processus général du stress.

Bref, il serait vain de vouloir faire état de l'ensemble des recherches constatant des effets bénéfiques du soutien social, tant elles sont nombreuses. Aussi, pendant des années, ce sont moins les effets du soutien social qui sont questionnés que ses modes d'action. La controverse entre modèle de l'effet direct et modèle de l'effet tampon (Buffering Effect) a alimenté de nombreuses recherches visant à trancher le débat.

Selon le modèle de l'effet direct, le soutien social aurait un impact positif sur la santé, indépendamment du niveau de stress expérimenté par les sujets. Ce sont particulièrement les recherches sur le réseau social qui étayent la thèse de cet effet direct : dans la plupart d'entre elles, un réseau social important et dense permet d'offrir des expériences positives régulières et un ensemble de relations sociales stables et renforçantes. Ce type de soutien, en permettant l'obtention d'affects positifs de sécurité, favoriserait un sentiment général de bien être (Cassell, 1976 ; Thoits, 1985).

Les tenants du modèle de l'atténuation du stress suggèrent plutôt que le soutien social jouerait un rôle modérateur des effets du stress sur la santé. Autrement dit, il se révélerait positif surtout pour les sujets présentant de hauts niveaux de stress. Premièrement, il agirait

positivement sur les perceptions qu'a l'individu de son environnement (notamment sur la croyance que les autres peuvent fournir les ressources nécessaires pour l'aider) et sur la perception de sa capacité à faire face aux différentes conséquences des évènements stressants. Deuxièmement, le soutien social pourrait avoir un impact positif en agissant au niveau de la réponse émotive liée à l'événement stressant et sur l'évaluation de ses conséquences.

Aujourd'hui, un accord semble se faire pour considérer, à l'instar de Caron et Guay (2005) que les deux modèles - de l'effet direct et de l'effet tampon - peuvent coexister et se compléter. Ainsi, si le fait d'être intégré dans un réseau social, de s'appuyer sur un réseau de soutien paraît avoir des effets protecteurs directs (assez modérés), la perception du soutien est plutôt corrélée à des effets indirects, au travers de l'atténuation de l'impact nocif des stresseurs (Pierce, Baldwin et Lydon, 1997 ; Bruchon-Schweitzer, 2002).

Partant, les efforts de recherches sont devenus plus disponibles pour la question de la variabilité des effets du soutien social. La question n'est pas nouvelle car, dès le début des années 80, des recherches questionnent le postulat d'effets systématiquement positifs du soutien. Certaines de ces études concluent à un faible effet modérateur du soutien social, voire même à une absence d'effets (Cheuk et Wong, 1995; Konariek et Dudek, 1996). D'après Gamassou et Moisson (2008) par exemple, "la relation de causalité entre "la souffrance psychosociale" des agents territoriaux et le soutien social ne peut pas être avérée" et l'on ne peut s'autoriser à conclure que le soutien social contribue à atténuer le stress ou bien que c'est la présence de soutien social qui empêcherait l'apparition de celui-ci" (op. cit. p.38). De même Langer (2003) constate-t-il que les interventions consistant à apporter un soutien (sous forme de conseils d'une assistance psychologique en matière de comportements sanitaires et d'une assistance en terme de soutien affectif) à des femmes enceintes présentant un risque de donner naissance à des bébés de faible poids de naissance n'ont permis d'améliorer ni la santé maternelle, ni la santé périnatale.

Au-delà d'une absence d'effets du soutien, c'est l'hypothèse d'effets potentiellement négatifs de ce même soutien qui est appelée à animer le débat sur la variabilité des effets du soutien social.