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CHAPITRE 3 Les modèles théoriques de l'appropriation

2. Deux champs privélégiés de l'étude de l'appropriation en psychologie du travail : l'appropriation de

2.2. L'appropriation de l'espace

Plusieurs travaux se sont penchés sur la question de l’appropriation de l’espace, de l’environnement, de l’habitat. Dans une large mesure, ces recherches s'intéressent aux dimensions intrapsychiques et interindividuelles à l'œuvre dans l’appropriation, mettant également l'accent sur l'aspect dialectique du processus. « Dans sa synthèse des recherches relatives à l’appropriation de l’espace, Pol (2000) propose une modélisation du processus d’appropriation selon deux composantes : la composante comportementale « renvoie à la conduite territoriale dans ses dimensions de transformation de l’environnement » (Rioux, 2004, p. 103) ; la composante symbolique, quant à elle, « est sous tendue par des processus cognitifs, affectifs et interactifs permettant à l’espace de devenir un « lieu » et favorisant ainsi l’identification du sujet ou du groupe à son environnement » (ibid., p 103).

2.2.1. Recherches sur l'appropriation de l'habitat

"Dès la fin des années 50, puis au cours des années 1960/1970 se développe un courant microsociologique qui ancre ses travaux sur l'habitat" (Serfaty-Garzon, 1997, p. 5). A l'occasion de recherches en sociologie de l'urbanisme portant sur l'habitat pavillonnaire, Raymond, Raymond, Haumont et Haumont (1971) définissent "l'appropriation de l'habitat comme l'ensemble des pratiques et, en particulier, des marquages qui lui confèrent les qualités d'un lieu personnel [...] Ces qualités de lieu personnel ne sauraient exister sans l'existence d'un "nous" qui en cautionne la légitimité et sans les valeurs qui leur sont attachées" (ibid., p. 5). Les modalités d'appropriation de l'habitat apparaissent comme des dispositions à engendrer des pratiques, comme des compétences qui peuvent éventuellement trouver à s'exercer. "Ainsi se révèle la capacité de l'habitant - et en somme sa créativité - qui est à l'œuvre dans ses gestes quotidiens les plus humbles : entretenir, ranger, décorer, mettre en scène, cacher...[...] Si l'habitat est produit, l'appropriation de l'habitat n'est pas un sous-produit mais l'aventure même

de l'habiter. D’un simple lieu, l'appropriation réside dans le développement d'un chez soi, à soi » (ibid., p. 5).

Dans le même sens, la sociologue de l'environnement Serfaty-Garzon souligne l'importance du sens attribué au logement personnel. Pour elle, l'appropriation de l'habitat est "un mouvement, un processus d'élaboration du sens personnel de l'abri qui s'appuie sur la matérialité même des murs et du toit, la distribution des parois et des ouvertures pour délivrer les virtualités du lieu" (Serfaty-Garzon, 2003, p. 5). Mais elle souligne également l'importance, dans l'acte d'appropriation, du rapport que le sujet entretient avec différentes temporalités : « la maison appropriée recueille les choses, les évènements et actions du passé, le temps vécu de l'habitant et représente ainsi un témoignage de sa propre continuité. L'appropriation de la maison se révèle dans la tension entre le temps vécu et l'à venir" (ibid., p. 6).

2.2.2. Recherches sur l'appropriation de l'espace de travail

C’est probablement dans le cadre de la psychologie et de la sociologie des organisations que les recherches sur l’appropriation des espaces de travail ont connu le plus grand essor, s’attachant à définir et à opérationnaliser ce concept. Dès 1983, Fischer distingue trois dimensions du concept d’appropriation : la dimension juridique (emprise sur un objet ou sur un espace) ; la dimension technique (utilisation fonctionnelle et sa maîtrise instrumentale) ; la dimension psychologique (mécanismes de base du développement mental de l’être humain englobant toutes les formes et tous les types d’activités permettant une prise de position ou une appréhension de l’environnement).

A partir de ces trois dimensions, l'auteur formule la définition suivante de l’appropriation de l'espace : il s’agit de "l’ensemble des pratiques exercées sur l’espace en réponse aux besoins explicites de contrôle ou de personnalisation et aux besoins implicites de communication ou de reconnaissance" (Fischer, 1983, p. 121). Dans les organisations, l'appropriation de l'espace de travail s’exprime à travers de multiples aménagements et apparaît comme une mainmise personnelle sur son espace, construite au croisement de divers critères : le degré de spécificité du lieu, la clôture plus ou moins grande de l’environnement visuel, la capacité de modification personnelle, les rapports de voisinage (avec d'autres collègues ou avec les supérieurs hiérarchiques), le positionnement par rapport au pouvoir ou encore le degré d’attachement de l’individu à son poste.

En 1989, Fischer propose une nouvelle définition de l’appropriation de l’espace de travail, la considérant à la fois comme un processus et le résultat de ce processus. L'appropriation est ainsi vu comme un « processus psychologique fondamental d’action et d’intervention sur un espace pour le transformer et le personnaliser [...] et un ensemble de pratiques spatiales d’emprise sur les différents lieux de travail" (Fischer, 1989, p. 131). Trois modalités d’appropriation de l’espace sont ainsi distinguées (ibid., p. 135) : l’autogestion correspond au réaménagement spontané des locaux ; la nidification concerne l'« injection de significations privées dans le travail (photos de famille, cartes postales de vacances) ; la contre possession correspond enfin à la prise de possession de l’espace comme moyen de pression et de négociation (par exemple, l'occupation d’ateliers pendant des mouvements de grève).

L'appropriation apparaît alors comme « un processus psychosocial fondamental qui rend compte d’une dynamique conflictuelle entre deux modèles dans toute l’organisation : le modèle de l’espace fonctionnel conçu et organisé dans une optique d’optimisation ergonomique et d’efficience du travail et le modèle de l’espace vécu, qui est celui de l’individu et des groupes de travail qui développent une relation cognitive et sociale au territoire et à autrui et qui cherchent à préserver leur identité dans un système qui tend à l’ignorer » (ibid., p. 74). L'auteur envisage ainsi l'appropriation comme une stratégie identitaire, façon pour le sujet de montrer aux autres qu'il ne se réduit pas à la place assignée par l'organisation. Dans cette perspective psychosociale, l'autre est un élément fondamental intervenant entre les sujets et les objets : "l''appropriation est à la fois un processus de préservation de l’identité du sujet (transformation de l'espace) et une « expérience sociale au cours de laquelle l'activité et la représentation de chacun, prennent un sens à travers la relation à l'autre » (Fischer, 1989, p 402). Cette relation à l'autre relève aussi bien de relations interpersonnelles (avec des autrui significatifs) que des relations du sujet avec un (ou des) collectif(s) (de travail, d'habitat...). Autrement dit, c'est dans sa double dimension individuelle et collective que l'appropriation doit être étudiée.