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CHAPITRE 4 Problématique et hypothèses de la recherche

2. La problématique de la variabilité des effets du soutien social au regard du modèle d'une

2.1. La question de la signification du soutien social

L'idée de l'intersignification des conduites, opérationnalisée à travers le modèle du système des activités et l'étude des échanges entre domaines de vie à l'aide de l'outil ISA, figure au cœur de nombreuses recherches menées au sein de notre équipe à propos des effets du soutien social.

Ces travaux montrent que les effets du soutien varient en fonction du degré d'interdépendance / cloisonnement établi par les individus entre leurs domaines de vie. Ils ouvrent des pistes pour rapporter cette variabilité des effets à une différence de signification attribué au soutien perçu par le sujet, selon sa congruence / dissonance avec les modes d'organisation du Système des Activités. Nous en donnerons ici plusieurs exemples.

Dans une recherche menée auprès de 84 sujets en recherche d'emploi, Cazals, Almudever et Fraccaroli (1993) étudient l'impact sur le bien être psychologique des soutiens reçus pendant cette phase de transition. Les résultats montrent d'abord qu'il n'y a aucune relation directe entre le soutien reçu et le bien être psychologique, confirmant l'idée selon laquelle le soutien social n'a pas d'effets bénéfiques ou négatifs en soi et à priori. Plus précisément, deux interactions statistiquement significatives viennent conforter l'hypothèse d'effets d'interaction entre soutien reçu et modes d'organisation du système des activités sur le bien être psychologique. En effet, un haut niveau de soutien social reçu est associé à un meilleur bien être psychologique pour les sujets qui établissent de nombreux échanges entre leurs domaines de vie ; à l'inverse il est associé à un moindre bien être psychologique pour les sujets qui limitent ces échanges. Par ailleurs, un haut niveau de soutien social reçu est associé à un meilleur bien être psychologique pour les sujets qui valorisent le moins les objectifs de la sphère professionnelle, tandis que c'est l'inverse qui est observé pour les sujets qui valorisent le plus fortement leurs objectifs professionnels (Cazals et al., 1993 dans Almudever, 2007). Les résultats de cette étude nous éloignent d'une interprétation en termes d'adéquation ou de compatibilité entre soutien reçu et stratégies des sujets. Ils invitent à s'interroger sur le sens attribué par le sujet au soutien social en fonction de ses stratégies (Almudever, 2007).

Dans une autre recherche, menée auprès de 170 jeunes en transition entre la sortie du système scolaire et une insertion professionnelle incertaine, inscrits dans le dispositif du "Crédit Formation Individualisé" (CFI), Almudever et Cazals (1993) montrent que le soutien en provenance du "correspondant" CFI a des effets variables sur l'implication en formation des sujets selon que ceux-ci activent ou inhibent les échanges entre leurs différents domaines de vie. "Il apparaît qu'un fort soutien cognitif du correspondant et un fort soutien émotionnel sont associés à une plus grande assiduité pour les jeunes qui établissent de nombreux échanges de ressources entre leurs domaines de vie, alors qu'ils sont associés à une moindre assiduité pour les jeunes qui limitent ces échanges" (Almudever et al., 1993, dans Almudever, 2007, p. 127). On peut lire dans ces résultats une signification différente attribuée au soutien émotionnel fourni par le correspondant : pour le premier groupe de jeunes, à savoir ceux qui mobilisent des ressources nombreuses dans leurs différents domaines de vie, ce soutien - qui est un soutien parmi d'autres - semble principalement avoir une valeur affective et il s'agit alors, par l'assiduité, de "faire plaisir" au correspondant, ou, tout au moins, de ne pas le décevoir. Pour le second groupe de jeunes, à savoir ceux qui mobilisent peu de ressources hors formation, ce soutien du correspondant est signifié comme une aide beaucoup plus centrale pour la réussite de l'insertion future : s'il a peu d'impact sur une implication "passive" dans la formation - limitée à l'assiduité -, les sujets s'en saisissent par contre de manière active pour mieux s'intégrer dans le groupe de pairs et pour prendre des initiatives dans le cadre des cours. D'autres recherches n'utilisent pas l'Inventaire du Système des Activités pour appréhender les échanges entre domaines de vie mais s'appuient plus directement sur l'étude des relations interpersonnelles et des échanges entre sphères de sociabilité (Almudever, 1998) pour étudier les modes d'articulation - mise en relation versus cloisonnement - , par les sujets, de leurs différents soutiens.

Nous donnerons ici l'exemple d'une recherche menée auprès d'une cinquantaine de personnes en situation de grande précarité, sans domicile fixe, auprès desquelles a été évalué le degré d'articulation, par ces personnes, entre sources de soutien informel (autrui significatifs de l'entourage : amis, membres de la famille, habitants du quartier...) et sources de soutien formel (bénévoles dans des associations caritatives, prêtre, assistants sociaux...). Après que chaque sujet ait été invité à mentionner les personnes importantes pour lui dans ces deux catégories de soutien, il lui était demandé de préciser dans quelle mesure il parlait - ou évitait de parler - de ces personnes les unes aux autres, dans quelle mesure il faisait en sorte de les faire se

rencontrer ou évitait ce type de mise en relation (Almudever, 2002 ; Florin et Gutierrez, 1998).

Parmi les résultats saillants de cette recherche attachée à étudier les effets du soutien formel selon qu'il est plus ou moins articulé au soutien informel, nous retiendrons :

- d'une part, qu'un haut niveau de soutien social formel perçu est associé à un moindre BEP, mais ne présente pas de relation directe avec les sentiments d'internalité ou d'externalité des sujets ;

- d'autre part, que dès lors qu'il est fortement articulé à des sources de soutien informel, ce fort soutien formel perçu est significativement associé à un plus fort sentiment de contrôle externe. Dans le même sens, on observe que lorsqu'une longue durée de "l'expérience de la rue" va de pair avec un haut niveau d'articulation des sources de soutien entre elles, elle est liée à de plus faibles sentiments de contrôle interne. Autrement dit, l'articulation des soutiens formels et informels entre eux - dont on pouvait penser qu'elle serait bénéfique au sujet - non seulement n'atténue pas la relation entre fort soutien formel et faible BEP, mais contribue au développement d'un moindre sentiment d'être "cause" dans sa vie (Almudever, 2002, p. 101). Ce type de résultats aide à comprendre certains effets paradoxaux du soutien social au-delà d'interprétations mettant en question son intensité (quand "trop" de soutien peut avoir des effets délétères, cf. Krause, 1987) ou son adéquation au problème affronté (quand certains soutiens s'avèrent inefficaces ou inopportuns, cf. Bruchon-Schweitzer, 2002). La référence au modèle d'une socialisation plurielle invite à prendre en considération de nouvelles dimensions susceptibles de rendre compte de tels effets : ainsi la combinaison - et les possibles antagonismes - entre différentes sources de soutien ; ainsi la dimension contraignante d'un "maillage" serré des sources de soutien entre elles qui peut conduire le "bénéficiaire" de ces aides à les signifier comme un "contrôle social" renforcé et/ou comme un indicateur de sa propre incapacité à faire face aux difficultés rencontrées. En ce sens, les résultats que nous venons d'évoquer amènent à questionner l'hypothèse de terrain de la plus grande efficacité des pratiques d'aide "en réseau" (Almudever, 2002).

Pour ce qui nous concerne, nous retiendrons de ces travaux que la façon dont un sujet peut œuvrer à articuler ou à cloisonner les différents soutiens qu'il perçoit et mobilise dans ses différentes sphères de sociabilité, est à même de constituer une dimension importante des conduites d'appropriation du soutien social.

Nous confortent en ce sens d'autres travaux de l'équipe portant spécifiquement sur les conduites d'appropriation appliquées à un objet autre que le soutien social - en l'occurrence, l'outil informatique - et analysées, elles aussi, sous l'angle du modèle d'une socialisation