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4 Troisième phase : le vécu des professionnels

4.3.4 La mise en place du service de garde à domicile

4.3.4.2 Les missions des gardes à domicile

4.3.4.2.3 Les actes prohibés

Une fois évoquées les activités prises en charge par les gardes à domicile, les actes qu’il leur est défendu d’accomplir ont été mentionnés.

Dans cette mesure, les actes à composante médicale, et plus précisément les actes infirmiers, font partie de ces activités proscrites.

Pour moi, ce n’est pas une question de confiance, c’est une question de directive de l’équipe. Chez nous tout acte qui est dit médical, on ne peut pas, on ne peut absolument pas le faire. Et nous, on a le cas d’une famille où là on hydrate par sonde, moi c’est un geste que je ne peux pas

faire parce qu’il n’est pas dans nos actes mais bon, d’après certaines personnes, ce n’est rien, c’est anodin, quoi.

On ne peut plus vider une sonde urinaire, hein ! Alors quand on travaille aux soins palliatifs et qu’on a affaire aux angoisses de la nuit, et qu’on est là pour soulager les familles, pour donner cinq gouttes de

Lysanxia, il faut réveiller l’épouse, ça ne va pas, hein ! Et c’est comme ça pour tout, hein.

Cette limitation des actes autorisés aux gardes à domicile était également soulignée par certains membres des équipes de soutien.

68 Maintenant l’action des gardes-malades est quand même très limitée. […] A partir du moment où une

garde-malade ne peut même plus donner une entre-dose … elles ne peuvent plus. Elles ne peuvent plus donner un Dafalgan®, elles ne peuvent plus rien faire.

Pour les coordinatrices, cette limitation des actes était perçue de manière plus neutre, en référence à la législation existante en la matière.

Il y a la liste des actes infirmiers. Dans les actes infirmiers, la préparation des médicaments, c’est un acte infirmier. Aérosol, c’est un acte infirmier. Donc on ne peut pas clarifier quelque chose qui est déjà

précisé dans une réglementation, donc on ne peut pas ! Ben, je leur dis ce n’est pas une question de capacité, c’est une question de responsabilité, il faut savoir qu’à partir du moment où ils prennent un

service agréé et pas une personne privée, je veux dire les gardes sont assurées en cas de souci. Donc qui dit assurance dit limite. On n’est pas assuré … on n’est pas assuré quand on dépasse les limite.

Du fait de leur position particulière dans la prise en charge et ses conséquences, ces coordinatrices pouvaient ainsi être amenées à refuser une prise en charge, car cette dernière supposait la réalisation d’actes pour lesquels la garde à domicile n’était pas qualifiée, malgré la simplicité apparente de l’acte en question.

Moi, j’ai dû vraiment refuser une demande qui rentrait vraiment tip top dans … c’était vraiment une garde qu’il fallait etc. On n’a pas pu le faire parce que la personne en soins palliatifs avait une sonde gastrique, etc, qu’il fallait enclencher toutes les heures, donc c’est vraiment le geste le plus simple,

c’est comme un interrupteur, mais dans la législation c’est considéré comme un acte infirmier …

Pour autant, l’application de la législation par les coordinatrices peut alors conduire à des situations pour le moins ubuesques, où les coordinatrices reconnaissaient à demi-mots les limites de la législation existante.

C’est parce que le Monsieur nous a dit que c’était du Valium®, du coup quand la coordinatrice externe a été au courant … oufti ! On a remballé vers l’infirmière pour que, elle, elle vienne en tant que professionnelle. Mais c’est vrai que c’est parce que le monsieur nous a dit que c’était du Valium®. S’il

nous avait dit que c’était, euh … son cachet de vitamine C, ben, à la limite, on se serait moins tracassé. On n’aurait pas été cherché la petite bête, donc … c’est vrai que c’est …. Moi j’ai des situations où on dit à la limite : non-assistance à personne en danger. On a eu une situation commune où c’est un jeune adulte […] qui est incapable de bouger le moindre bras, le moindre doigt, le moindre orteil, qui est, en effet, en stomie pour hydratation et qui vit avec sa maman mais qui est en oxygène presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et donc il n’est pas exceptionnel qu’elle soit en détresse respiratoire avec son oxygène dans un coin de la pièce, et où on

doit l’hydrater, or on ne peut pas puisque c’est une stomie. Moi on me l’a déjà dit, ben, c’est ou Madame se lève et elle meurt au milieu de la pièce parce qu’elle ne sait plus avancer parce qu’elle est

en panne d’oxygène, ou c’est moi qui le fait. Et donc, ben, on l’a déjà fait. Mais alors on est en contradiction, on n’est pas couvert, si il y a le moindre problème on n’est pas couvert.

Toutefois, en dépit de cette législation, une grande partie des acteurs interrogés soulignait un manque de clarté persistant sur les actes que les gardes à domicile pouvaient être autorisés à réaliser. Dans cette mesure, certains membres des équipes de soutien pouvaient tenir compte de ces limitations des activités des garde-malades, afin de résoudre quelque peu le problème.

69 Elles ne peuvent donner que ce qui est préparé. Donc on doit être très vigilante quant à l’anticipation

et leur préparer ce qui peut être donné éventuellement la nuit pendant le temps qu’elles sont là. Et puis, même chose quand on a des pousse-seringues, enfin nous les pompes PCA, est-ce qu’elles peuvent envoyer une interdose, est-ce qu’elles ne peuvent pas, qu’est-ce qu’elles peuvent faire ? Il y a

énormément de manque de clarté.

Quant aux coordinatrices, elles avouaient également parfois ne pas connaître réellement les limites des attributions des gardes à domicile concernant certains actes.

Où on a un gros souci, c’est par rapport à la prise de médicaments.

Je ne sais pas si vous rencontrez ça aussi comme difficulté, mais moi je trouve justement qu’avec les garde-malades, on est beaucoup confronté à des actes semi-médicaux ou quoi, qu’est-ce qu’elles

peuvent faire ?, qu’est-ce qu’elles ne peuvent pas faire ?

Le flou existant quant à la nature des tâches autorisées se répercutait aussi chez les principales intéressées, qui avouaient ne pas toujours connaître les limites exactes de leurs attributions, ou bien encore ne pas toujours les respecter.

C’est vrai qu’il y a beaucoup de chose, je vais dire, qu’on fait … un petit peu, euh, en catimini, pour ne pas justement, parce qu’alors pour finir, euh, quel est notre rôle exactement ? Si on est là juste pour,

euh, une présence et qu’on est tellement limité dans les tâches, ben, à quoi est-ce qu’on sert, quoi ? Alors il y a beaucoup de choses qu’on fait …Pour se donner du crédit.

Parce qu’on n’a pas le choix, voilà. C’est ce que je veux dire, on n’a pas le choix et à domicile on est toute seule avec la personne. Il y a des fois il faut faire des choses comme l’oxygène, comme la sonde,

euh, voilà …

On ne va pas laisser mourir quelqu’un sans oxygène, hein. Si on ne le fait pas, la personne, elle va souffrir.

Il semblait également que ce soit surtout dans le cas de l’administration des médicaments que la situation se révélait abstruse. En effet, les garde-malades étaient autorisées à donner un médicament au malade, à la seule condition que ce médicament ait déjà été préparé par une personne tierce (malade, entourage ou professionnel du médical ou du paramédical).

Nous, tout ce qui est soins, on ne sait pas le faire. Pour donner les médicaments tout est préparé par l’infirmière et tout, donc … On n’est pas autorisé à préparer les médicaments mais on peut les donner.

Néanmoins, certaines garde-malades exprimaient l’idée que, même si ces médicaments étaient préparés, il ne rentrait pas dans leurs attributions de s’occuper de la prise de ces derniers, soulignant l’absence d’homogénéité sur ce point entre les services.

Les médicaments, on ne peut rien faire, mais je dis, si personne ne passe là, mais les médicaments, ils sont là dans le pilulier et on ne peut même pas lui donner, c’est elle qui devrait prendre alors qu’elle st alitée, elle doit prendre ses médicaments, ça ne va pas ! On doit pouvoir lui donner les médicaments.

Cette absence de clarté était également soulignée par les infirmières des équipes de soutien, qui avouaient une méconnaissance des règles en la matière :

C’est le flou artistique, hein.

Je ne sais pas s’il y a un cadre pour les garde-malades qui sont dans des structures … Je ne sais pas du tout ce qu’elles font.

70 Les médicaments qui sont dans le pilulier pendant leur temps de prestation, s’il est mis seize heures et

que les médicaments sont là, ils sont préparés, ce n’est pas elles, elles ne peuvent pas le donner.

Cette situation n’est pas sans poser certains problèmes, comme le soulignaient certaines coordinatrices de services, notamment dans le cas des soins palliatifs où les actes médicaux peuvent occuper une place importante.

On doit réveiller l’épouse pour donner les médicaments parce que la garde-malade ne peut pas le faire. Donc ça, ça pose vraiment un problème.

Oui, la prise de médicaments pose problème. Surtout en soins palliatifs …

Mais normalement elles peuvent donner les médicaments s’ils sont préparés et s’il y a un papier du médecin avec la posologie.

Pour autant, cette complexité de la réglementation était parfois contournée par les acteurs de la prise en charge, notamment par les médecins ou les infirmières, qui pouvaient déléguer l’administration de médicaments à des gardes-malades. Ce modus operandi était ainsi évoqué par les trois types de professionnels interrogés.

Dans certaines situations on a eu des actes confiés, mais pour des situations particulières, où il y a eu un écolage fait par le médecin, enfin par l’infirmière et le médecin a donné l’autorisation de

responsabilisation par rapport à tel acte dans telle situation donnée. (infirmière)

Le médecin doit remplir un papier spécifique chez nous à l’ASD, voilà « j’autorise la garde-malades à donner tel, tel, tel traitement ». Tant qu’on n’a pas ce papier-là, même si … on ne peut pas. Mais des fois vous n’avez pas le papier, vous faites quoi ? Vous laissez le patient sans cachet ? Non ça ne va pas

… (garde à domicile)

On avait un monsieur qui est décédé là, hein, il y a quelque temps, euh, le monsieur il était perfusé en sous-cutané ; la nuit on pouvait changer la poche, le médecin nous déléguait quand même ou l’infirmière. S’il y avait un médicament à faire passer dans la sonde, il nous autorisait à le faire. Il nous

avait montré comment il fallait faire pour clamper, il n’y avait pas de souci. (garde à domicile) J’en ai parlé il n’y a pas longtemps, j’ai demandé que le docteur fasse, qu’elle demande au docteur de

faire une attestation comme quoi les pilules sont préparées, voilà, on ne prépare rien, on ne prépare rien et pouvoir les prendre, on lui met dans la bouche et lui faire avaler, mais il y a des personnes qui ne savent pas, mais c’est une sécurité pour nous, vu que dans le règlement on ne peut pas donner les

pilules (garde à domicile).

Les coordinatrices pouvaient néanmoins élaborer des procédures afin d’essayer de « se couvrir » quelque peu face aux assurances en termes de responsabilité. Mais le débat reste ouvert.

Il doit y avoir le parent une demi-heure à l’avance, certificat du médecin et c’est le parent qui signe, qui s’engage dans la responsabilité. On leur fait signer une convention au départ que si le parent signe qu’on peut administrer tel ou tel médicament, il y a les heures, etc, qui sont notées. Ben là elles

peuvent le faire mais, elles signent qu’elles s’engagent que c’est sous leur responsabilité. En cas d’accident ça n’a aucune valeur juridique.

La même chose un médecin qui dit, qui met par écrit qu’il autorise la garde à domicile, l’aide familiale, la garde d’enfants malades à lui donner ou à préparer le semainier, en cas de problème ça n’a aucune

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