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Les difficultés ressenties par les gardes à domicile dans leur activité professionnelle

4 Troisième phase : le vécu des professionnels

4.3.4 La mise en place du service de garde à domicile

4.3.4.4 Les difficultés ressenties en matière de garde à domicile

4.3.4.4.3 Les difficultés ressenties par les gardes à domicile dans leur activité professionnelle

Outre ces aspects organisationnels, d’autres difficultés jalonnaient l’activité professionnelle des gardes à domicile. Dans cette mesure, la lourdeur des cas dont elles ont la charge pouvait avoir des conséquences importantes, puisque le travail effectué était présenté unanimement par les gardes à domicile comme très lourd psychologiquement, notamment dans le cas des patients palliatifs.

Finalement moi je m’évertue à dire toujours, c’est vrai qu’on ne fait pas du physique, on ne fait pas de nettoyage, on ne fait pas … Mais est-ce que le psychologique n’est pas aussi lourd. Moi, quand je

rentre chez moi, après ma journée de prestation de neuf heures plus mes déplacements et tout, parfois je suis partie onze heures. Mais c’est comme si j’avais nettoyé un building, hein. Donc j’ai besoin de faire la transition, de me poser un peu pour repartir vers les miens, je veux dire, euh, de

bonne disposition. Donc, euh, il n’y a pas que les métiers physiques qui peuvent être reconnus. Non, psychologiquement c’est très lourd parce que imaginez-vous de voir une personne qui est en fin de vie, vous êtes seul avec la personne pendant douze heures de temps et il y a des personnes qui sont

en crise […]. Psychologiquement c’est très lourd. Voilà, soit vous êtes face à quelqu’un qui délire, vous êtes obligé d’écouter cette personne là toute la nuit.

Moi j’ai eu le weekend dernier une dame qui était rentrée de l’hôpital pour mourir, mais vraiment avec un cœur usé, vraiment usé, usé, le moindre effort pouvait lui être fatal. Et toute la nuit elle a fait des pauses. Et toute la nuit j’ai été là avec sa respiration, … à me demander « elle va redémarrer ? Elle

ne va pas redémarrer ? ». Ils vont chercher ça très loin, très loin et puis alors elle redémarre. Et à un moment elle était … j’ai passé ma nuit … le matin j’étais épuisée. […]L’angoisse de savoir si elle allait

redémarrer ou pas.

Si on a mal au cœur, ce n’est pas la peine de commencer, parce que c’est des cas lourds. On sort le cœur serré et je ne sais pas comment on arrive à faire la différence des choses. Là je travaille, je sors,

je commence ma vie, quoi, mais des fois non. Ça travaille.

Mais on travaille quand même dans quatre vingt pourcents de prise en charge en soins palliatifs, donc on est quand même confronté à des familles qui n’en peuvent plus, ce n’est quand même pas facile. Quand il y a beaucoup de souffrance, enfin moi personnellement, ce qui me touche beaucoup c’est la

souffrance. J’estime qu’à notre époque, on ne doit plus trop souffrir, quoi, avec les moyens qu’on a. Mais parfois c’est inévitable, on le sait. Donc là j’ai un peu de mal

Cet aspect était reconnu par les autres acteurs de la prise en charge, à l’instar des infirmières des équipes de soutien.

Elles sont en demande de soutien. […] En tout cas beaucoup … moi j’ai vraiment cette expérience-là, euh ... autant sur un soutien psychologique la situation est dure et qu’elles sont seules des heures

avec quelqu’un qui s’étouffe, enfin, bon, des tas de situations très difficiles où elles sont très démunies, … autant aussi en pleine nuit quand il y a un problème et qu’elles ne savent pas vers qui se

tourner. On a des appels des garde-malades, voilà, je trouve que là notre boulot prend son sens de deuxième ligne pour elles. D’autant plus qu’en effet, elles ne peuvent pas faire grand-chose et donc

elles sont limitées par un certain cadre d’action, je pense, qui les met en souffrance aussi.

87 On a eu le cas aussi de quelqu’un, un monsieur, sa femme était justement partie chez le notaire, elle

voulait faire signer des papiers, et la garde était toute seule avec lui et il a fait des apnées et il ne voulait pas partir sans que sa femme soit là, donc il a demandé à la garde de le tenir et donc chaque fois elle le secouait pour qu’il revienne, parce chaque fois il voulait attendre sa femme. C’est vrai que

là, la garde elle a eu dur, hein. Très dur.

Mais moi je trouve aussi qu’en garde à domicile, pour comparer avec les aides familiales, je dis parfois c’est plus facile d’aller dans une prestation et de passer le coup de torchon, de faire les courses, enfin d’être dynamique. Parce que parfois en garde à domicile les prestations vu que ce sont de longues prestations, les personnes sont vraiment en situation de dépendance où on est plus passif

parce que quand quelqu’un fait sa sieste pendant deux heures, ben … tu ne vas pas commencer à faire chambard et à retourner toute la maison. C’est vrai que parfois c’est … psychologiquement c’est

plus difficile une garde à domicile, une prestation de garde à domicile.

Corrélativement, une autre difficulté éprouvée renvoyait au fait de, parfois, trop s’impliquer émotionnellement auprès d’un patient, augmentant d’autant la lourdeur psychologique du suivi, comme l’exprimaient certaines gardes-malades.

Si on s’implique personnellement, je veux dire, on n’est plus, on n’est plus garde-malade à cent pourcents parce qu’on a perdu un peu nos capacités de réflexion puisque l’émotionnel rentre en ligne

de compte et ça ce n’est pas bon.

Elle était bien et elle décline très vite, elle part très vite et moi aussi j’ai fait la toilette de la personne, j’ai vu tellement de choses au travail par rapport au décès, quand les pompes funèbres arrivent, qu’ils

prennent la personne dans les bras, qu’il est tout raide pour la mettre dans le cercueil, tu l’accompagne, tu l’aide, c’est vrai que ce sont des images que tu n’oublies pas vite. Ce sont des

images que tu gardes, mais pourquoi ? Parce que tu as connu la personne.

Nous sommes tous des êtres humains … les limites on les connaît mais on travaille tellement dans les sentiments etc. que …pfff … c’est difficile de ….

De surcroît, dans le cas de soins palliatifs, les difficultés rencontrées étaient plus grandes, pour les raisons évoquées précédemment, mais également car certaines garde-malades disaient avoir peur de la mort, aux dires d’une infirmière d’une équipe de soutien ainsi que d’une coordinatrice.

Je pense aussi, pour mettre une garde-malade à domicile en situation palliative, parce que c’est les échos que j’ai aussi, il y a des gens qui ont signalé qu’ils avaient peur de la mort, peur de la personne

mourante et on n’en tient pas compte parce qu’il y a un manque de personnel. Alors elles sont là, paniquées et cette angoisse est transmise à la personne quelque part, parce qu’elles sont très mal à l’aise, le malade ne va pas être sécurisé ni confortable nécessairement parce que tout ça transparaît. […] Donc je crois qu’il faut quand même, que pour aller en soins palliatifs il faut quand même que les

gens soient prêts, qu’ils disent qu’ils l’acceptent, quoi.

Elles ont peur du décès lors de leur prestation et de se retrouver seules.

Si ces éléments concentraient l’essentiel des difficultés évoquées, d’autres aspects sont apparus de manière plus éparse. Cela était notamment le cas d’un manque de confort lors de l’exécution de la prestation, car le domicile du patient où allait la garde-malade ne se prêtait pas totalement à cette activité, comme le reconnaissaient certains membres de l’équipe de soutien.

88 Et elles ne travaillent pas toujours dans des situations, enfin dans des conditions très confortables non

plus, je trouve.

Moi souvent quand je mets une garde-malade en place pour la nuit, la famille dit « oh, mon dieu, il faut lui trouver un lit etc. », et bon ben, moi j’essaye quand même de dire « ben non », ce n’est pas spécialement une garde dormante en fonction de la situation. Ça peut aussi être une garde dormante,

et c’est parfois un problème pour la famille de, d’installer confortablement la personne pour la nuit, ça c’est vrai. Que ce soit une nuit dormante ou pas.

Ces propos étaient aussi relayés par les coordinatrices.

Nous c’est purement de la sécurité, du confort, parce que parfois elles sont accueillies dans des familles, bon, … elles restent sur une chaise. Donc ben, là c’est le souci de l’encadrement, d’expliquer

quand la garde arrive qu’il faudrait lui prévoir un endroit, soit un lit clic-clac …

Les garde-malades faisaient aussi état de difficultés dans la relation avec le patient, notamment en termes de manipulation de ce dernier, lorsque le degré de dépendance devient très important – et donc, ipso facto, plus particulièrement dans le cas des patients palliatifs – comme l’évoquaient certaines gardes à domicile.

La manutention, soulever les gens ça n’est pas évident, surtout quand ils sont en soins palliatifs, ils ont mal, que tu ose à peine toucher « aïe, aïe ! », et si on les manipule mal, ben ça leur fait mal, parce

qu’à ce moment-là les gens ils ne peuvent pas nous aider. Et de deux, on leur fait mal.

Enfin, d’autres problèmes étaient parfois évoqués de manière plus anecdotique, notamment par les coordinatrices de services, concernant les problèmes de santé mentale que pouvaient aussi développer les patients pris en charge.

Il y a beaucoup de pathologies associées. Il y a des adultes handicapés, moi j’ai le cas d’un homme adulte handicapé suite à un accident de voiture, mais derrière il y a la dépression, il y a l’alcoolisme et

ça fait beaucoup en même temps et parfois elles ne sont pas formées à ces … au niveau santé mentale il y a tout le temps plus, quoi.