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La lecture, un échange créatif/créateur

Intermède pratique

2 La lecture, pour interagir et devenir

2.4 Une expérience interactive

2.4.1 La lecture, un échange créatif/créateur

La lecture ne relève pas de l’organisation du temps social, elle est, comme l’amour, une manière d’être.

Daniel Pennac Nous nous sommes intéressée à l’expérience dynamique de la lecture, dans l’espace intermédiaire entre le lecteur et l’œuvre. Notre réflexion sur l’activité lectorale (car il s’agit bien d’une activité) nous a conduit vers Marcel Proust, qui décrit la lecture comme un « acte psychologique original547 ». Il s’agit d’une activité dans laquelle l’esprit, les émotions

et même le corps du lecteur s’investissent, dans ce que Proust nomme le « miracle fécond d'une communication au sein de la solitude548 ».

L’échange entre le texte et le lecteur n’a pas la même symétrie qu’une communication habituelle entre deux interlocuteurs. Au contraire d’un interlocuteur, le texte fait des propositions au lecteur, sur lesquelles celui-ci peut réfléchir sans pouvoir en faire part à son auteur, si ce n’est en interrogeant son texte dans le sens de ses idées. Dans la préface de sa traduction de Sesame and the Lilies de John Ruskin, Proust présente l’opinion de l’auteur anglais sur la lecture, qu’il rapproche de celle de Descartes, et selon laquelle :

547 PROUST, Marcel, Sur la lecture, op.cit., p. 26. 548 Ibid., p. 29.

La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés qui en ont été les auteurs549.

Au lieu de mettre en avant la sagesse des auteurs comme le fait Ruskin, Proust insiste sur le type particulier de communication et de transmission550 que procure la lecture :

[…] ce qui diffère essentiellement entre un livre et un ami, ce n'est pas leur plus ou moins grande sagesse, mais la manière dont on communique avec eux, la lecture, au rebours de la conversation, consistant pour chacun de nous à recevoir communication d'une autre pensée, mais tout en restant seul, c'est-à-dire en continuant à jouir de la puissance intellectuelle qu'on a dans la solitude et que la conversation dissipe immédiatement, en continuant à pouvoir être inspiré, à rester en plein travail fécond de l'esprit sur lui-même551.

Pour Proust, la lecture est une activité solitaire qui, comme l’affirme Bertrand Gervais, « se pratiqu[e] nécessairement à l’écart552. »

La solitude caractéristique de la lecture est évoquée par Michel Tremblay dans Un

ange cornu avec des ailes de tôle, alors qu’il se remémore une certaine lecture remontant à ses

treize ans, vivement recommandée par la bibliothécaire de sa bibliothèque municipale : […] je me dirige vers l’une des trois immenses tables de bois verni. Quelques enfants lisent des Tintin. Je m’assois avec eux – chose que je ne fais jamais parce que la lecture, pour moi, est un plaisir solitaire –, j’ouvre le livre553.

En plus de mesurer cette forme de solitude lectorale, nous pouvons décrire la lecture comme une situation de communication et de transmission tronquée, qui possède d’ailleurs son équivalent du côté de l’auteur. En effet, celui-ci n’a pas non plus accès aux impressions et réflexions du lecteur et n’a pas de retour sur son œuvre, si ce n’est par le biais de quelques critiques. Précisons, comme le fait Daniel Pennac, que

[…] si la lecture n’est pas un acte de communication immédiate, elle est, finalement, objet de partage554.

L’auteur ajoute par ailleurs que ce partage est « longuement différé, et farouchement sélectif555. » Aussi, même si la lecture est un « plaisir solitaire », cela n’empêche qu’elle soit

549 DESCARTES, René, Discours de la méthode cité par PROUST, Marcel, Sur la lecture, op.cit., p. 27.

550 D’après la proposition de Régis Debray qui veut que la transmission « œuvre au transport des messages

dans le temps » et s’oppose à la communication « qui achemine ceux-ci à travers l’espace. » Cité par BOUGNOUX, Daniel, La Crise de la représentation, op.cit., p. 9.

551 PROUST, Marcel, Sur la lecture, op.cit., p. 29.

552 GERVAIS, Bertrand, « Trois personnages en quête de lecteurs : une fable », dans LANGLADE, Gérard et

ROUXEL, Annie (dir.), Le Sujet lecteur : lecture subjective et enseignement de la littérature, op.cit., p. 94.

553 TREMBLAY, Michel, Un ange cornu avec des ailes de tôle, op.cit., p. 120. 554 PENNAC, Daniel, Comme un roman, op.cit., p. 96.

également un « objet de partage ». C’est d’ailleurs ce que nous observons dans l’atelier de lecture, où sont aménagés temps de lecture individuelle silencieuse et temps de lecture à voix haute partagée, donnant lieu à une appréciation personnelle des œuvres et un échange à leur sujet.

La lecture invite à s’immerger dans le langage d’un autre pour percevoir et participer à la création d’un univers fictionnel. Comme le suggère le schéma de Lubomír Dolezel présenté précédemment, cette communication littéraire est une relation asymétrique :

Both the author and the reader perform communicative acts. But let us reemphasize that these acts are not equivalent but complementary556.

Pourtant, nous savons que l’échange entre texte et lecteur est tronqué seulement en apparence, puisque toute lecture, loin d’être passive, est recréatrice557. Michel de Certeau a

bien identifié l’acte créatif du lecteur car il évoque la lecture sous

[…] les traits d’une production silencieuse : dérive à travers la page, métamorphose du texte par l’œil voyageur, improvisation et expectations de significations induites de quelques mots, enjambements d’espaces écrits, danse éphémère. […] Le lecteur insinue les ruses du plaisir et d’une réappropriation dans le texte de l’autre : il y braconne, il y est transporté, il s’y fait pluriel […]. Ruse, métaphores, combinatoire, cette production est aussi une « invention » de mémoire. […] La mince pellicule de l’écrit devient un remuement de strates, un jeu d’espaces. Un monde différent (celui du lecteur) s’introduit dans la place de l’auteur558.

Ce « monde du lecteur » qui s’introduit dans celui du texte est ce qui fait vivre l’œuvre en tant qu’espace de création et d’échange. Par exemple, Daniel Pennac relève que les personnages d’un récit ont besoin du lecteur pour exister :

Sans lui, leur monde n’existait pas. Sans eux, il restait pris dans l’épaisseur du sien559.

555 Ibid.

556 « L’auteur comme le lecteur performent des actes communicationnels. Soulignons pourtant que ces

actes ne sont pas équivalents, mais complémentaires. » DOLEZEL, Lubomír, Heterocosmica : Fiction and

Possible Worlds, op.cit., p. 204-205.

557 DANTZIG, Charles, Pourquoi lire ?, op.cit., p. 35. L’idée est aussi présente chez Daniel Pennac : « La

lecture est un acte de création permanente. » PENNAC, Daniel, Comme un roman, op.cit., p. 27.

558 DE CERTEAU, Michel, L’invention du quotidien I. Arts de faire, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1990,

p. XLIX, cité dans LANGLADE, Gérard, « Le sujet lecteur auteur de la singularité de l’œuvre », loc.cit., p. 85-

86.

La créativité du lecteur peut se manifester par des détails imperceptibles dans sa manière de lire, jusqu’à inviter à une réelle réécriture du texte ou d’une de ses parties. Nous trouvons un témoignage de cette « personnalisation » de l’œuvre littéraire dans Un

ange cornu avec des ailes de tôle. Michel Tremblay y raconte comment, à la lecture de son

premier livre, L’Auberge de l’Ange-Gardien de la Comtesse de Ségur, il a des difficultés à suivre le texte tel qu’il est écrit. Parce que les dialogues y sont précédés du nom du personnage qui parle, comme dans les pièces de théâtre, il est gêné dans sa lecture, jusqu’à se décourager complètement. Sa grand-mère l’encourage alors à sauter par-dessus les noms des personnages lorsqu’il lit les dialogues :

— J’veux juste te donner un p’tit conseil, cher, pis après j’vas te laisser tranquille… Quand t’arriveras aux noms des personnages, passe par-dessus, fais comme si tu les voyais pas, lis-les pas dans ta tête, pis ça va ben aller…

— On est pas obligé de tout lire, dans un livre ? — On lit c’qu’on veut ben lire, cher560

Ainsi, Michel, pourtant futur auteur de théâtre, essaie de faire abstraction des noms des personnages dans les dialogues et prend finalement goût à sa lecture de L’Auberge de

l’Ange-Gardien. À un autre niveau et alors qu’il est un peu plus âgé, Michel avoue qu’il a lu

toutes les versions du conte Blanche-Neige et les sept nains dans l’espoir d’en trouver une qui lui conviendrait mieux, « à cause de la fin qui [le] vexait, littéralement561. » À défaut de

trouver une fin à son goût, Michel en inventera une (une très longue suite en réalité) qu’il racontera à ses amis pendant les vacances d’été, à raison d’une quinzaine de minutes par jour. Ce « texte » du futur auteur illustre de manière exemplaire le concept de « texte du lecteur », lequel tient compte, selon Pierre Bayard, de

[…] la part de subjectivité prévalant dans l’acte de lecture et à la manière dont celui-ci est intimement soumis à la personnalité de celui qui l’accomplit, ainsi qu’à l’ensemble de sa situation historique et sociale562.

Michel exprime et justifie son désaccord vis-à-vis de la fin du conte original et s’en invente une qui correspond à ses goûts, ses valeurs, ses croyances, etc. en réagençant le récit, dans un acte de création original.

560 TREMBLAY, Michel, Un ange cornu avec des ailes de tôle, op.cit., p. 47. 561 Ibid., p. 100.

562 BAYARD, Pierre, « Julien Sorel était-il noir ? », dans MAZAURIC, Catherine, FOURTANIER, Marie-Josée

À l’inverse d’une telle affirmation de soi vis-à-vis du texte, nous devons aussi considérer que si la lecture permet un échange entre le texte et le lecteur, celui-ci doit aussi être disponible, ouvert au texte et accepter le risque d’être influencé, voire d’être changé à son contact. Vincent Jouve définit cette attitude de « disposition particulière du sujet lisant563 » :

Cet état préalable de disponibilité, indispensable à la communication intersubjective, est bien celui du lecteur : ouvrant un roman, le sujet accepte (et, en général, exige) de sortir de soi, de « s'ex-poser ». Soumis aux normes romanesques, il renonce, le temps de la lecture, à la cohérence de son moi pour s'ouvrir aux personnages564.

La lecture agit sur la cohésion du sujet, mais c’est souvent un effet escompté par le lecteur, qui s’intéresse momentanément plus aux événements et personnages du livre qu’à lui-même. Cette attitude, qui mène ultimement à la créativité du lecteur, Michèle Petit l’attribue au caractère hétérotopique de l’œuvre de fiction littéraire :

[…] c’est parce que celle-ci est en décalage, en rupture par rapport au rythme des activités « utiles » qu’elle peut introduire du jeu, une marge de manœuvre, une créativité565.

Ce caractère hétérotopique de l’œuvre, sa résistance, est révélé par la description de Roland Barthes d’une véritable rencontre entre texte et lecteur :

Parfois, le plaisir du Texte s'accomplit d'une façon plus profonde (et c'est alors que l'on peut vraiment dire qu'il y a Texte) : lorsque le texte « littéraire » (le livre) transmigre dans notre vie, lorsqu'une autre écriture (l'écriture de l'Autre) parvient à écrire des fragments de notre propre quotidienneté, bref, quand il se produit une co- existence566.

Cette rencontre fait du lecteur non pas un être passif et uniquement récepteur d’un contenu textuel, mais un sujet à part entière qui co-existe avec l’œuvre. La rencontre véritable avec celle-ci détermine

[…] le moment d’un sujet, c’est-à-dire ce moment où moi, lecteur, spectateur, auditeur, vais pouvoir me glisser dans cette faille invisible aménagée dans le tissu de l’œuvre, qui me met en présence de mon propre désir ou de ma propre mort – ce pan qui est aussi l’indice de ma présence à l’œuvre, de ma présence dans l’œuvre567.

563 JOUVE, Vincent, L'Effet-personnage dans le roman, op.cit., p. 10. 564 Ibid.

565 PETIT, Michèle, Éloge de la lecture, op.cit., p. 42.

566 BARTHES, Roland, Sade, Fourier, Loyola, Paris, Seuil, coll. « Points », 1980, p. 12. 567 RYKNER, Arnaud, Pans, op.cit., p. 22.

Le lecteur entre donc dans l’univers du texte en exploitant ses ouvertures. À partir d’elles, il peut s’inventer une représentation qui échappe à l’organisation qui lui était proposée par l’auteur568.

Par ailleurs, Arnaud Rykner rappelle que nous n’existons qu’en relation à l’autre qui nous pousse à nous définir :

L’Autre est toujours l’élément fondateur qui met en branle la dynamique du moi569.

Dans sa rencontre avec l’œuvre, le lecteur entrevoie donc des idées différentes des siennes, qu’il ressent comme familières ou très éloignées et qu’il peut choisir de s’approprier ou non. Car si on lit, explique Catherine Mazauric,

[…] c’est bien dans le désir aussi d’un devenir-autre, de se défaire plutôt que de se faire, d’abord pour se perdre, et non pour se trouver570.

Il est certain que comme dans toute relation à l’autre la lecture laisse des traces, ce dont témoigne Charles Dantzig :

Sa lecture terminée, un lecteur ne redevient pas vierge comme un fichier effacé. Il est lui-même complété de phrases571 […].

Nous constatons que le texte de fiction littéraire, bien qu’objet, engage une relation pragmatique (sujet-sujet) avec son lecteur.

Vincent Jouve considère d’ailleurs que la relation texte-lecteur s’apparente à la fusion amoureuse idéale, qualifiée d’amphimixie par la psychanalyse, en référence au terme biologique qui désigne la fusion des gamètes et le mélange de leur matériel génétique :

À travers la réappropriation de pensées et de sentiments qui ne sont pas à lui, le lecteur éprouve la sensation d'un mélange de substances qui, dans la relation amoureuse, n'existe que comme idéal572.

568 Ibid., p. 25.

569 RYKNER, Arnaud, Nathalie Sarraute, op.cit., p. 19.

570 MAZAURIC, Catherine, « "Les moi volatils des guerres perdues" : la lecture, construction ou

déconstruction du sujet ? », loc.cit., p. 179.

571 DANTZIG, Charles, Pourquoi lire ?, op.cit., p. 31.

Le texte, en se mêlant aux « substances » du lecteur, le modifie nécessairement et comme dans toute expérience d’échange, le sujet se reconstitue en fonction des nouveaux éléments à sa disposition.

Dans l’expérience d’échange et de construction lectorale, le lecteur s’élabore en face du texte qui apparaît lui aussi comme un sujet retournant le regard posé sur lui, et qui échappe à sa maîtrise complète et à celle de l’auteur. Ce phénomène provoque un effet de renversement scopique, que nous avons décrit précédemment, et rappelle aussi que la lecture ne fait jamais l’économie de l’Autre. En dépit de l’isolement qu’elle implique, la lecture conserve, dit Bertrand Gervais, une certaine présence de l’Autre :

S’isoler n’est pas être seul, car l’autre ne disparaît pas totalement mais reste là, en arrière-plan, distant quoique toujours présent, ne serait-ce que parce que le texte en lui-même signale sa présence573.

En s’inscrivant dans la vie du lecteur, le texte occupe une place importante, équivalente à celle d’un Autre et susceptible, entre autres, de simuler une relation d’échange social. Le potentiel thérapeutique de l’œuvre de fiction littéraire repose notamment sur cette spécificité interactive de l’expérience de lecture.

2.4.2 … avec une communauté

‘I read, I think,’she said to Norman, ‘because one has a duty to find out what people are like’, a trite enough remark of which Norman took not much notice, feeling himself under no such obligation and reading purely for pleasure, not enlightenment, though part of the pleasure was the enlightenment, he could see that. But duty did not come into it.

Alan Bennett La lecture, même si elle est une expérience solitaire, est une rencontre avec le monde et les autres. Cette réalité est bien décrite par l’expression « la solitude fabuleusement peuplée du lecteur574 » employée par Daniel Pennac. Nous ne souhaitons

pas ici soutenir le livre uniquement pour les sociabilités qu’il institue, mais tenir compte des liens qu’il entretient avec l’Autre dans la perspective thérapeutique qui nous occupe. Pour Michèle Petit, la lecture apparaît d’abord pour les lecteurs une manière privilégiée

573 GERVAIS, Bertrand, « Trois personnages en quête de lecteurs : une fable », loc.cit., p. 95. 574 PENNAC, Daniel, Comme un roman, op.cit., p. 19.

d’élaborer un espace intime, « et donc, de façon indissolublement liée, leur relation au monde extérieur575. » En effet, l’espace privé développé en cours de lecture est néanmoins

relié à un ensemble d’autres individus, dont

[…] celui ou celle qui a écrit le livre, ceux qui l’ont lu ou le liront, ceux qui l’on fabriqué, proposé, ceux que l’on découvre dans les pages du livre576.

Ces individus dont on prend connaissance en même temps que de l’œuvre peuvent susciter un sentiment d’appartenance à une communauté. Celle-ci peut consister simplement en une communauté de lecteurs, laquelle peut être renforcée lorsqu’un livre nous est recommandé, prêté ou offert par quelqu’un qui lui accorde plus ou moins d’importance. Par exemple, dans Un ange cornu avec des ailes de tôle, le narrateur sent toute l’importance qu’accorde sa mère au roman Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, qu’elle lui prête pour les vacances :

Elle me l’avait offert comme un objet précieux et délicat qu’on ne peut pas laisser entre les mains de n’importe qui577.

Le geste de Rhéauna engage déjà un lien particulier entre elle et son fils, qui est bien conscient de la signification de ce livre pour sa mère et pourra ensuite en discuter avec elle.

Au-delà d’une communauté de lecteurs, l’œuvre littéraire fait prendre conscience de l’existence d’une collectivité, elle-même composée de nombreux groupes. La polyphonie qu’offre la littérature engage des voix plurielles et (idéalement) une écoute mutuelle. Aussi, l’intériorité développée dans la lecture ouvre-t-elle à d’autres formes du lien social. C’est ce qu’exprime Michel Tremblay à propos de sa lecture d’Agamemnon d’Eschyle, qui lui fit découvrir l’utilité du chœur dans la tragédie grecque et sa façon de multiplier les voix de manière à représenter une société :

Je venais de découvrir qu’on pouvait faire parler des collectivités en une seule voix multiple, comme on arrivait à les faire chanter à l’opéra578 !

La comparaison avec l’opéra rappelle bien l’harmonie ou la dissonance qui existe entre les membres d’une collectivité ; l’échange qui prend place entre le chœur et les protagonistes

575 PETIT, Michèle, Éloge de la lecture, op.cit., p. 9. 576 Ibid., p. 27.

577 TREMBLAY, Michel, Un ange cornu avec des ailes de tôle, op.cit., p. 183. 578 Ibid., p. 211.

renvoie, de manière réflexive, à celui qui a lieu entre la communauté et le lecteur. Parce que les livres offrent d’abord une expérience humaine, ils permettent simultanément de mieux se définir vis-à-vis des autres et de tisser des liens avec eux. La lecture permet donc, souligne Michèle Petit, de « découvrir d’un même geste sa vérité la plus intime et son humanité partagée579 », ce qui détermine notre rapport aux autres.

La fiction, parce qu’elle semble avoir évolué à partir de la conversation, aurait, selon Keith Oatley, pour fonction de former des liens socio-émotionnels :

It seems likely that the provenance of fiction is the ordinary conversation (turning things over together) in which humans have taken part in all know societies. Such conversation is most frequently about what people have done, what they are up to, and what the personal implications of such doings might be. […] Dunbar (1996) has argued that conversation about oneself and others has a function of socioemotional bonding. As such, it occupies the role of grooming in other primates. Under this proposal, the sharing of fictional narrative, starting from the stories that parents tell children, will be as bonding as the recounting of remembered events. The private reading of novels is less immediately intimate but retains some of the sens of social connection580.