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SYNTHESE des notions centrales du chapitre 2

3.1. Les marques anaphoriques en compréhension et en production

3.1.1. Le traitement des marques anaphoriques en compréhension

Comme le rappelle De Weck (1991), les études psycholinguistiques menées du point de vue de la compréhension ont porté sur différents pronoms (personnels et relatifs principalement) et déterminants (définis et indéfinis), mais aussi sur diverses fonctions (exophore, générique, cataphore, anaphore)21. Dans la mesure où notre recherche porte sur la référence et l’anaphore dans les textes narratifs écrits par des enfants, nous nous appuyons sur les résultats des travaux expérimentaux concernant la compréhension des pronoms personnels et des déterminants par les enfants.

Les pronoms personnels en compréhension

Les recherches psycholinguistiques qui étudient la compréhension des marques de la référence que sont les pronoms s’intéressent particulièrement aux pronoms personnels de troisième personne (il/elle et le/la/lui). Plus précisément, il s’agit de comparer la compréhension des pronoms selon différentes fonctions référentielles (anaphore, cataphore, générique…) afin de déterminer laquelle (ou lesquelles) est comprise avant les autres. Par exemple, Kail & Léveillé (1977) demandent à 5 groupes de 20 enfants français de 6 à 14 ans (CP, CE1, CM1, 4° et 5°) d’écouter des phrases lues par un enseignant. Ces phrases sont choisies selon le caractère d’ambiguïté de la référence du pronom. Elles peuvent être :

‐ sans ambiguïté :

(105) Quand il est arrivé dans la classe, la maîtresse a salué le directeur.

‐ ambiguës :

(106) Hélène a embrassé Marie quand elle est entrée dans la pièce. (107) Dès qu’il est monté dans le train, Stéphane a vu Jacques.

À la suite de la lecture des phrases, les enfants répondent à des questions à propos de la phrase qu’ils ont entendue, telles que pour (106) : « Qui est entré dans la pièce ? » ou « Qui a embrassé Marie ? ». Les résultats de cette expérience montrent que les pronoms anaphoriques

       

21 Pour un rappel des notions d’exophore, générique, anaphore et cataphore, nous renvoyons au chapitre 2, section 2.1.1.1.

sont compris plus précocement que les pronoms exophoriques, les plus jeunes enfants ayant tendance à rechercher le référent à l’intérieur de la proposition.

D’autres travaux arrivent aux mêmes conclusions, comme par exemple ceux de Umstead & Leonard (1983). Ces chercheuses considèrent 3 groupes d’âges différents (3 ans, 4 ans et 5 ans) composés chacun de 10 enfants dont la langue maternelle est l’anglais. Après avoir lu différentes petites histoires de 8 phrases chacune, elles demandent aux enfants à quel personnage le pronom personnel he fait référence dans chaque histoire. Cette étude met en évidence le fait que jusqu’à l’âge de 5-7 ans, les enfants comprennent mieux la valeur anaphorique des pronoms, dans des phrases comme dans un texte entier. L’erreur d’identification la plus fréquente, notamment autour de 4 ans, consiste en une surgénéralisation des cas les plus familiers, c’est-à-dire l’anaphore : l’enfant choisit comme coréférent du pronom le personnage dont le nom précède immédiatement le pronom (stratégie de distance minimale, cf. plus loin). Cette erreur est due à une stratégie d’identification de la référence erronée. Kail & Léveillé (1977) expliquent que pour réussir à identifier à quel personnage les pronoms réfèrent, les enfants peuvent utiliser plusieurs stratégies. La première, que les chercheuses appellent stratégie lexicale, consiste au repérage des marques de genre et de nombre du pronom pour déterminer le SN auquel le pronom réfère : il réfère à un SN masculin singulier par exemple. Toutefois, dans certaines phrases ambigües telles que dans (106), on ne peut pas s’appuyer sur la présence de ces marques pour déterminer le SN de référence. Une autre stratégie peut être utilisée par les sujets : la stratégie de non-changement

de rôle. Cette stratégie de compréhension consiste à conserver dans la deuxième proposition

(celle contenant le pronom) les relations fonctionnelles de la première proposition, c’est-à-dire notamment les positions syntaxiques. Par exemple, dans l’exemple (106) supra, le pronom elle réfèrerait à Hélène. Une troisième stratégie consiste à prendre pour référent le SN le plus proche du pronom (stratégie de proximité ou de distance minimale). De cette manière, dans (106), le pronom elle réfèrerait alors à Marie. C’est une surgénéralisation de cette dernière stratégie qui est la cause de l’erreur d’identification la plus fréquente chez les enfants les plus jeunes.

L’étude de Kail & Léveillé (1977) montre également que « la compréhension de la coréférence des pronoms personnels par l’enfant renvoie à des stratégies mettant en jeu des niveaux distincts » (ibid. : 91). En effet, la stratégie lexicale apparaît plutôt tardivement : à 9;9 ans, quand le pronom précède le SN, les chercheuses constatent encore des transgressions

En outre, les chercheuses mettent en évidence le fait que l’ambiguïté de la référence du pronom n’est détectée spontanément qu’à 14;5 ans, ce qui suppose l’existence de réelles capacités réflexives sur la langue à partir de cet âge puisque les sujets doivent envisager qu’un même item linguistique puisse renvoyer à des réalités extralinguistiques distinctes.

Ces travaux montrent ainsi un problème d’attribution de signification. Lorsque des enfants sont confrontés à un ensemble de phrases comprenant des pronoms qui sont exophoriques, anaphoriques ou cataphoriques, ils cherchent prioritairement « un autre élément linguistique coréférentiel pour leur attribuer une signification » (De Weck, 1991 : 65). Et ceci d’autant plus s’il y a « compatibilité des marques de genre du pronom et des SN de la phrase » (Kail & Léveillé, 1977 : 91).

Les pronoms personnels réfléchis en compréhension

L’étude de la compréhension des anaphores pronominales s’est également intéressée aux pronoms personnels réfléchis. Par exemple, Deutsch, Koster et Koster (1986) proposent à 96 enfants néerlandais de 6 à 10 ans d’écouter deux phrases dans lesquelles le pronom personnel de la troisième personne et son antécédent peuvent être réflexifs ou non :

(108) The brother of Piet washes himself (109) The brother of Piet washes him.

Les expérimentateurs fournissent ensuite des images correspondant à plusieurs interprétations possibles des phrases entendues. Pour chaque phrase, les enfants doivent choisir l’image qui correspond à leur compréhension de la phrase. Cette expérience met en évidence le fait que les pronoms personnels réfléchis semblent maîtrisés plus rapidement que les autres types de pronom.

Les déterminants définis en compréhension

Les pronoms ne sont pas les seules unités linguistiques capables de référer. Des recherches psycholinguistiques s’attachent à décrire la compréhension des syntagmes nominaux définis. Karmiloff-Smith (1979 notamment), dont les nombreuses recherches portent à la fois sur la compréhension et la production des anaphores en anglais, décrit différentes phases dans l’acquisition des principales fonctions des déterminants définis. Selon elle, vers l’âge de 3 ans, les enfants comprennent la fonction déictique. Autour de l’âge de 6

ans, ils comprennent la fonction exophorique. La fonction anaphorique, quant à elle, n’est comprise que vers l’âge de 8-9 ans.

Si l’ordre des acquisitions semble rester le même, l’âge auquel sont acquises ces notions peut varier sensiblement en fonction du type de tâche et d’énoncé. En effet, De Weck (1991) s’appuie sur Karmiloff-Smith (1979 : 191) pour rappeler par exemple que la fonction exophorique des déterminants définis est comprise vers 8 ans quand il s’agit de répondre à des questions à propos d’une courte histoire, dont les référents ne sont pas présents dans le contexte extralinguistique :

« It is not until 8 years, […] that children pick up the linguistic clue. Before this, children use « pragmatic procedures » i.e. they anticipate the details of a story from their world knowledge of similar situations 22».

De manière générale, l’acquisition des différentes fonctions de la référence suit la même évolution du point de vue de la production (Karmiloff-Smith, 1979 ; De Weck, 1991), comme nous allons le montrer à présent.

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