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La description et le traitement des expressions référentielles

CHAPITRE 1 : Recherches linguistiques sur les notions de cohérence et de cohésion de cohésion

1.4. La continuité référentielle

1.4.1. La description et le traitement des expressions référentielles

Comme les notions de cohérence et de cohésion, celle de référence a fait l’objet de très nombreux travaux. Nous ne prétendons pas ici à une revue exhaustive, ni à un tour complet de la question, mais présentons simplement quelques notions principales.

La référence est le rapport qu’entretient le langage avec ce qui lui est extérieur (Apothéloz & Pekarek Doehler, 2003). Dans la synthèse que font ces chercheurs sur les travaux concernant la référence, il apparaît bien que les perspectives d’analyse ont évolué à travers le temps. En effet, la référence a été longtemps étudiée dans une perspective textualiste dans laquelle la segmentalité et la séquentialité textuelles, éléments uniquement observés, ont mené à la primauté de la notion d’antécédent (nous reviendrons en détail sur cette notion dans le chapitre 2). Puis les mécanismes informationnels, mémoriels et inférentiels ont été pris en compte dans l’analyse, montrant ainsi l’importance de la représentation mentale et du savoir partagé dans la construction de la référence (entre autres, Chafe, 1987 ; Cornish, 1987 ; Berrendonner & Reichler-Béguelin, 1989 ; Givón, 1992, 1995b). Malgré ce changement de perspective dans l’étude de la référence, l’analyse de cette

notion porte sur des données monologales, écrites et hors de l’activité de discours dans sa dimension situationnelle, sociale et interactionnelle. Après cela, un nouveau courant d’étude de la référence a vu le jour et « cherche à intégrer les dimensions situationnelle, sociale et praxéologique des activités langagières » (Apothéloz & Pekarek Doehler, 2003 : 112). Au vu de notre sujet d’étude, nous nous inscrivons dans une approche « représentationaliste » de la référence, dans laquelle les processus référentiels s’appuient à la fois sur l’occurrence ou la cooccurrence des segments linguistiques dans un texte et sur les structures sémantiques de ce dernier, mais aussi sur le savoir partagé des interlocuteurs (ou mémoire discursive, Reichler-Béguelin, 1988a ; 1989 ; cf. ce chapitre, section 1.1.1.). Les processus référentiels jouent un rôle important dans la construction de la représentation mentale des interlocuteurs, qui elle-même participe à la construction de la référence. Nous reviendrons plus en détail sur ces notions dans le chapitre 2.

Deux éléments linguistiques évoquant la même entité entretiennent un lien de référence. Ainsi, dans l’exemple ci-dessous emprunté à Mazur-Palandre (2009), le pronom personnel ils réfère au syntagme nominal lexical des enfants, référent introduit précédemment :

(45) Il y a des enfants qui jouent dans la cour de récréation. Ils jouent au chat et à la souris.

Halliday & Hasan (1976) ont décrit trois types de référence. Le premier, la

référence personnelle, regroupe les éléments linguistiques qui marquent la personne (pronoms

personnels, possessifs et déterminants possessifs). Le deuxième, la référence démonstrative, renvoie aux marqueurs démonstratifs (pronoms ou déterminants démonstratifs). Le troisième, la référence comparative, se rapporte aux éléments linguistiques concernant un sémantisme de comparaison (adjectifs et adverbes de comparaison). Dans la mesure où notre étude est fondée sur l’analyse de la référence dans un texte narratif et notre analyse portant sur des expressions linguistiques qui marquent la référence personnelle et la référence démonstrative, nous nous focaliserons sur ces deux types de référence et laisserons de côté le troisième type, en nous appuyant dans cette tâche sur le chapitre d’Apothéloz (1995a) qui présente les travaux d’Halliday et Hasan (1976) et reprend leurs exemples en anglais.

1.4.1.1. La référence personnelle

La référence personnelle regroupe à la fois les pronoms personnels, les déterminants possessifs et les pronoms possessifs. Il convient toutefois de distinguer les éléments de première et deuxième personne d’une part, et la troisième personne d’autre part. En effet, mis à part dans le discours direct, comme dans l’exemple (46), les deux premières personnes ne peuvent généralement être interprétées qu’en situation car il n’y a pas de référent accessible dans le co-texte. On est alors dans une situation exophorique (cf. chapitre 2 pour plus de détails).

(46) There was a brief note from Suzan. She just said, « I am not coming home this weekend »

« Il y avait un mot bref de Suzan. Elle disait seulement, « Je ne rentre pas ce week-end. » (notre traduction)

Ainsi, à l’écrit, seule la troisième personne est directement interprétable grâce au co-texte. L’interprétation dépend donc de la situation. On est alors en situation endophorique et c’est celle à laquelle nous allons le plus nous intéresser (cf. chapitre 2 pour plus de détails). Cette troisième personne, il/elle pour les pronoms personnels en français ou he/she en anglais, trouve le plus couramment son référent dans une expression nominale. Il en va ainsi avec (46) où she s’interprète comme faisant référence au personnage de Suzan. Cependant, lorsqu’il s’agit de la troisième personne générique, it en anglais (fréquemment traduit par cela/ce/il en français), il est nécessaire de recourir à un segment de texte entier et non plus une expression nominale pour pouvoir l’interpréter, comme dans l’exemple (47).

(47) [The Queen said :] « Curtsey while you’re thinking what to say. It saves time. » Alice wondered a little at this, but she was too much in awe the Queen to disbelieve it.

« [La reine dit :] « Faites donc la révérence, pendant que vous réfléchissez à ce que vous allez dire. Cela fait gagner du temps. » Alice fut quelque peu étonnée d’entendre de telles paroles, mais elle était bien trop impressionnée par la Reine pour ne pas croire ce que celle-ci venait de dire. » (Traduction d’Apothéloz, 1995a).

Dans ce passage, le premier it ne peut se comprendre qu’en regard de la phrase précédente : il reprend le fait qu’Alice doit penser à ce qu’elle doit dire tout en faisant la révérence. Il s’agit d’un procès complexe. Dans ce cas, on parle de référence étendue (extended reference). Le second it quant à lui, se comprend en prenant en considération le fait que cela fait gagner du

temps de faire la révérence pendant qu’elle réfléchit à ce qu’elle doit dire. Il s’agit d’un fait. On parle de référence textuelle (textual reference).

1.4.1.2. La référence démonstrative

Généralement, comme le précise Apothéloz (1995a), la référence démonstrative se présente sous la forme de démonstratifs adverbiaux (here, there, now, then/ici, là-bas,

maintenant, ensuite) et de démonstratifs nominaux (this, these, that, those/ ce-cette-cet, ces, ça). En plus de ces deux catégories, Halliday et Hasan ajoutent le déterminant défini the (le-la).

Dans leur emploi endophorique, les déterminants démonstratifs « réfèrent à un

ensemble plus large d’individus que l’expression ou les expressions nominales qui leur servent d’interprétant » (Apothéloz, 1995a :112), comme dans (48) où le démonstratif réfère à la fusion mentionnée dans le premier énoncé mais de manière plus large, à toutes les fusions en général.

(48) There’s been another big industrial merger. It seems that nothing can be done about this. « Il y a eu une autre grande fusion industrielle. Il semble que rien ne peut être fait contre cela. » (notre traduction)

Le déterminant défini the (le/la/les en français) signale que l’expression nominale qu’il détermine réfère à un objet singulier et identifiable. Mais ce déterminant est en lui-même dépourvu de tout contenu, à l’inverse des autres déterminants qui contiennent en eux-mêmes une certaine information référentielle (le possesseur pour les possessifs par exemple) (Apothéloz, 1995a). Ainsi, lorsqu’il est associé à un nom, le déterminant défini peut référer de manière exophorique ou endophorique. Dans ce second cas, le déterminant the peut être anaphorique, c’est-à-dire interprétable grâce à une expression qui se trouve avant lui, comme dans (49), ou cataphorique, c’est-à-dire qu’il est interprétable grâce à une expression linguistique qui se trouve après lui dans l’énoncé, comme dans (50) où par exemple, il ne s’agit pas de n’importe quelle ascension mais de celle du Mont Everest :

(49) She found herself in a long, low hall which was lit up by a row of lamps hanging from the roof. There were doors all round the hall, but they were locked.

« Elle se retrouva à présent dans une longue salle basse éclairée par une rangée de lampes accrochées au plafond. Il y avait plusieurs portes autour de la salle, mais elles étaient fermées à clé. » (notre traduction)

(50) The ascent of Mount Everest The party in power

The best way to achieve stability.

« L’ascension du Mont Everest / Le parti politique au pouvoir / Le meilleur moyen d’atteindre la stabilité » (notre traduction)

Ainsi, dans son emploi endophorique, le déterminant the signale non seulement qu’il réfère à un objet identifiable, mais aussi que toutes les informations nécessaires à son identification sont disponibles dans le reste de l’énoncé, notamment par la contrainte syntaxique du fait de la présence du complément du nom.

Dans le cadre de notre étude, la référence endophorique nous intéresse particulièrement, notamment toutes ses manifestations sous la forme d’anaphores. Selon Mazur-Palandre (2009), pour produire un texte cohérent et cohésif, l’encodeur doit effectuer un travail de conservation/progression (Schneuwly, 1988) des syntagmes nominaux, ce qui implique une analyse de l’anaphore (introduction de nouveaux référents, reprise de ces référents, différenciation de ces référents), sur laquelle nous reviendrons en détail dans le chapitre 2, et une analyse de l’organisation de l’information (statut informationnel), que nous avons décrite plus haut (cf. ce chapitre, 1.2). Ainsi, la référence concourt à donner à un texte cohérence et cohésion par la répétition de certaines entités : c’est la continuité référentielle dont parle Apothéloz (1995a : 9-10) :

« Qu’est-ce qu’un texte ? […] Quelle différence entre un enchaînement de phrases dans lequel tout le monde s’accorde à voir un texte et un enchaînement de phrases dans lequel tout le monde s’accorde à ne voir qu’un enchaînement de phrases ? […] Or, on reconnaît généralement qu’un des dispositifs de cette macro-syntagmatique réside dans la répétition, partielle ou complète, modifiée ou non modifiée, de certains des objets (référents) qui sont désignés dans le texte. Pour qu’une suite de phrases puisse être perçue comme un texte, il faudrait, en d’autres termes, qu’elle présente une continuité référentielle minimale. Cette idée est généralement exprimée en disant que la continuité référentielle contribue à assurer au texte sa cohésion. »

La continuité référentielle a donc un lien direct avec la méta-règle de répétition de Charolles (1978 ; cf. ce chapitre, section 1.1.) puisqu’elle permet de maintenir un référent tout au long du discours.

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