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Synthèse des notions centrales du chapitre 3

CHAPITRE 4 : L’enseignement des marques de cohésion et le jugement de cohérence des enseignants jugement de cohérence des enseignants

4.2.1. L’évaluation des productions écrites d’élèves

Avant d’aborder la question de l’évaluation de la cohérence et de la cohésion textuelles, il semble pertinent de faire un point général sur l’évaluation des productions écrites des élèves. Charolles (1978) décrit ainsi le mécanisme de l’évaluation, tant du point de vue phrastique que textuel : pour qu’une suite de mots soit admise comme phrase par un locuteur, il faut qu’elle respecte l’ordre institué par le système de la langue dans laquelle la phrase est exprimée. Tout membre d’une communauté linguistique « a une connaissance intuitive et une pratique immédiate de ces contraintes structurelles » (Charolles, 1978 : 7). Il en résulte une

norme minimale (ibid.) théorisée par la grammaire, à partir de laquelle tout locuteur, et a fortiori les enseignants, peut distinguer les éléments corrects et les éléments inappropriés, ce

« qui est français » et ce qui ne l’est pas.

Pour étudier la manière générale dont les enseignants évaluent les productions écrites des élèves, Halté (1989) propose à un échantillon d’enseignants du second degré (une centaine) d’annoter un texte narratif d’élève de 5°, « la copie de Cécile »38. Les annotations, traces de l’évaluation du texte par les enseignants, sont ensuite analysées par le chercheur. Le premier constat concerne les écarts à la norme, plus souvent visés, au détriment des compétences mettant en jeu l’invention : « les annotations portent massivement plus sur « la forme » que sur « le fond ». » (Halté, 1989 : 17). Ce constat était déjà présent dans les travaux de Charolles (1978) qui s’intéressaient aux « interventions des maîtres sur les énoncés écrits malformés des élèves » (Charolles, 1978 : 10). Du point de vue de la cohérence textuelle, la        

38 Texte narratif issu d’une expérience ultérieure de l’auteur : voir « Ecrire un roman historique en classe de 5°. », Halté, J-F., 1982, Pratiques n°36.

structuration du texte est le plus souvent appréhendée au fil de la lecture par des indications verbales et non verbales (Elalouf, 2016) : les enseignants suggèrent des retours à la ligne, entourent des connecteurs qui semblent poser problème (« Et » et « Mais » en tête de phrase notamment), réunissent sous l’étiquette concordance des temps les changements dans l’énonciation.

Les éléments ci-dessus conduisent à un deuxième constat qui concerne les stratégies de lecture. Les enseignants « sont massivement plus sensibles aux problèmes locaux qu’aux problèmes globaux » (Halté, 1989 : 20), privilégiant des remarques ayant trait à la phrase plutôt qu’au texte dans son ensemble. Cette tendance peut s’expliquer par la prédominance de la grammaire de phrase dans l’enseignement, rendant les enseignants moins sensibles à l’organisation textuelle. Elalouf (2016), reprenant le protocole de Halté (1989, cf. plus loin), indique de surcroît que la stratégie de lecture majoritaire chez les enseignants est une lecture qui va du local vers le global puisque l’enseignant annote le texte au fur et à mesure qu’il le découvre. Or, la cohérence textuelle s’apprécie à la fois sur les niveaux local (inter et transphrastique) et global (texte).

Le troisième constat porte sur la nature des annotations : la plupart d’entre elles sont verdictives ou injonctives, sans véritable explication, comme le fait remarquer Halté (1989 : 19) :

« Quatre-vingt pour cent des annotations constatent des manquements de diverses natures à des règles qui ne sont pas explicitées ou, sans même énoncer de constats, imposent une retouche. « Mal dit », « incorrect » sont typiquement verdictifs : ils portent jugement mais ne stipulent pas les motifs ». Charolles (1978) ajoute que le vocabulaire employé pour dénoncer un manque de cohérence textuelle ne présente souvent aucun caractère technique et traduit plutôt une impression globale de lecture ou une difficulté d’appréhension générale : « incompréhensible », « ne veut rien dire ». En outre, les enseignants rédigent généralement leurs commentaires sous la forme négative et s’expriment plutôt par des abréviations, expressions ou signes divers (notamment « ? ») plutôt que par des phrases complètes, limitant ainsi les pistes d’amélioration et de correction proposées aux élèves.

Outre la mise en évidence des différents types d’annotations des enseignants lors de l’évaluation d’un texte d’élève, cette étude révèle le paradoxe existant dans le mécanisme de l’évaluation d’un texte d’élève. Il y a en effet une contradiction entre l’objectif déclaré de

pratiques mises en œuvre pour y parvenir - des annotations dont la nature ne favorise pas l’objectif à atteindre. Comme l’explique Halté (1989 : 21) :

« Les enseignants qui ont participé à ce travail […] ne se reconnaissent pas du tout dans le descriptif. L’image qu’il donne les dérange, les heurte même. Ils ne « croient » pas faire ce qu’ils font. Plus : ils ne veulent pas le faire ».

En 2014, Elalouf (2016) propose la même expérience que celle d’Halté reposant sur le même texte d’élève, à des enseignants en formation initiale et continue. Elle a donc soumis à nouveau la « copie de Cécile » à des enseignants et analysé leurs annotations. Les constats sont les mêmes trente ans après (Elalouf, 2016 : 9):

« Nous avons voulu interroger […] un geste de métier qui résiste aux changements de programmes comme aux travaux en didactique de l’écriture. Parmi les configurations didactiques qui ont sédimenté l’enseignement du français, il frappe par sa résistance, sa capacité à resurgir à tout moment sous forme de modèle didactique en acte [.] »

L’évaluation de textes d’élèves par les enseignants reste donc prioritairement normative, et ce malgré toutes les pistes proposées par la recherche. Cependant, s’il est relativement facile de définir une norme d’un point de vue syntaxique ou grammatical, ce n’est plus le cas lorsqu’il s’agit de définir une norme du point de vue de la cohérence textuelle : « Les phénomènes de cohérence tiennent à l’interprétation et relèvent des domaines pragmatique et sémantique, sans qu’il soit possible de les réduire à des règles d’encodage strictes et univoques » Masseron (2011 : 135). Les problèmes dans l’évaluation soulevés ci-dessus sont caractéristiques d’un « système traditionnel qui, dans les pratiques concernant l’écrit, occulte les problèmes spécifiques de la production de textes au profit de l’acquisition de contenus de savoirs essentiellement morphosyntaxiques ». (Mas, 1989 : 9). Pour faire évoluer ce système, le groupe EVA39 a construit une grille de critères d’évaluation : le

classement des lieux d’intervention didactique (CLID) (Mas & al., 1991). Ce document,

présenté sous la forme d’un tableau à double entrée reproduit sous la figure 2, permet à l’enseignant de classer les erreurs des élèves et de dresser un portrait des réussites et des échecs en production d’écrit, afin de l’aider à évaluer un texte de manière précise et de ce fait, à transmettre aux élèves des pistes d’amélioration.

       

UNITE

NIVEAU TEXTUEL RELATIONS ENTRE

PHRASES

PHRASTIQUE

PRAGMATIQUE (utilisation des signes

en situation) Prise en compte du destinataire Définition de l’enjeu Type d’écrit Progression thématique Maîtrise des organisateurs Organisation thème/rhème Maîtrise des déictiques Maîtrise des déterminants

SEMANTIQUE (relations entre les signes et les « objets » auxquels ils renvoient)

Type de texte

Sélection et organisation des informations Cohérence d’ensemble du vocabulaire

Maîtrise des substituts nominaux

Respect de la cohérence des informations Maîtrise des connecteurs

Maîtrise du vocabulaire Acceptabilité du sens

MORPHO-SYNTAXIQUE (relations des signes

entre eux)

Maîtrise de la structure du texte ou de la séquence

Maîtrise des valeurs des temps verbaux

Cohérence dans l’emploi des temps et des modes verbaux

Maîtrise des pronoms de reprise Conjugaison Syntaxe de la phrase Orthographe ASPECT MATERIEL Choix du support, de la typographie… Organisation de l’espace page Éventuellement, schémas, illustrations… Découpage en paragraphes Maîtrise de la ponctuation (délimitation des unités du discours)

Maîtrise de la ponctuation interne à la phrase Utilisation des majuscules Lisibilité graphique

Figure 2 : Grille d’évaluation des écrits CLID, tirée de MAS, M. (1989)  

La grille d’évaluation ainsi construite privilégie la grammaire textuelle. Le tableau à double entrée met en rapport l’entrée horizontale des « unités » de découpage d’un texte (le texte entier, les relations entre phrases et la phrase) et l’entrée verticale des « niveaux » de l’analyse (pragmatique, sémantique, morpho-syntaxique, ainsi que l’aspect matériel). Comme l’explique Masseron (2011), le cadre ainsi formé permet de saturer douze cases correspondant à douze questions (ou regroupement de questions) d’évaluation, qui spécifient des critères

compte à la fois la cohérence (niveau global) et la cohésion (niveau local) du discours. En effet, la cohérence textuelle peut s’appréhender à travers les éléments de la colonne Textuel. Par exemple, prise en compte de la situation (qui parle ? à qui ? dans quel but ?) au niveau pragmatique, sélection et organisation des informations au niveau sémantique, concordance des temps au niveau morpho-syntaxique. Les critères de cohésion textuelle se retrouvent quant à eux plutôt dans la colonne Relations entre phrase : par exemple, la progression thématique et le statut informationnel au niveau pragmatique, la maîtrise des connecteurs ou celle des substituts nominaux au niveau sémantique, les anaphores au niveau morpho-syntaxique avec la maîtrise des pronoms de reprise. Lorsqu’on « traduit » les critères des colonnes en questions (Masseron, 2011 : 142), on remarque que tous les indicateurs de la colonne Relations entre phrases font appel à un jugement de cohérence :

‐ La cohérence sémantique est-elle assurée (absence de contradiction d’une phrase à l’autre, substituts nominaux appropriés, explicites…) ?

‐ L’articulation entre phrases ou propositions est-elle marquée efficacement (choix des connecteurs) ?

‐ La cohérence syntaxique est-elle assurée (utilisation des articles définis, des pronoms de reprise…) ?

‐ La cohérence temporelle est-elle assurée ?

‐ La concordance des temps et des modes est-elle respectée ?

La grille d’évaluation des écrits CLID est un des moyens d’évaluer la cohérence et la cohésion textuelles dans les productions écrites des élèves. Une autre proposition de grille d’évaluation fait appel aux 4 méta-règles de la cohérence textuelle définies par Charolles (1978, cf. chapitre 1, section 1.1.). Pour rappel, il s’agit des méta-règles de répétition, progression, non contradiction et relation. Carbonneau et Préfontaine (2005) s’en sont inspirées pour construire une grille d’évaluation contenant des indications de marques adéquates ou inadéquates de cohérence (cf. figure 2 ci-dessous). La grille d’évaluation proposée par les chercheuses québécoises comprend quatre grandes parties, chacune faisant référence à une méta-règle de la cohérence. Chaque grande partie comprend une ou plusieurs composantes (reprise nominale/reprise pronominale pour la partie concernant la première méta-règle par exemple) et chacune de ces composantes comprend plusieurs critères d’évaluation de la cohérence.

GRILLE D'EVALUATION AVEC INDICATION DE MARQUES INADEQUATES

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