Le questionnaire d'entretien : élaboration d’une méthode

L’entretien, comme complément d’informations, s’est voulu semi-directif, afin de garder un fil conducteur tout au long de la conversation, en alternant des questions ouvertes où la structure du discours et son contenu était fondamentale, surtout lorsque le système de cohérence interne des informations recherchées de cette catégorie nous était inconnu, et certaines autres questions étaient à l’inverse plus systématiques limitant les trop grandes pérégrinations verbales, là où nous souhaitions confirmer ou infirmer une certaine logique propre aux classes dominantes.

Quatre grandes thématiques ont ainsi été abordées (Figure 12)78. D’une part, nous

commencions l’entretien par l’explication de l’itinéraire de vie (du lieu de naissance à celui actuel). L’analyse du discours est ici très importante. Le choix des mots pour expliciter leurs stratégies de mobilité et de résidence, ainsi que les principes d’activation de leurs capitaux économique, social et culturel permettent en définitive de comprendre en profondeur les logiques de localisation des élites sur le long terme, et surtout si la rupture de l’année 1989 les a libérés dans leur choix. Ce premier thème a été une bonne entrée en matière de l’entretien, car l’interviewé se concentrait sur les faits de son histoire personnel et n’engageait pas une prise de position. Ainsi, l’individu se sent peu à peu en confiance. Dans un deuxième temps, l’entretien s’intéressait plus particulièrement à leur représentation de la ville en elle-même, mais aussi du quartier et du lieu d’habitation. Ici également, le décryptage du discours est essentiel afin de préciser les mécanismes employés dans la redéfinition de lieu symbolique dans la ville. Cette approche a été ensuite complétée par l’explicitation des préférences des quartiers à l’aide d’une carte, ce qui a permis de rendre plus lisible les représentations qu’ils avaient de l’espace urbain varsovien. Le troisième point concernait leurs pratiques de l’espace, s’appliquant toujours à comprendre les processus mis en œuvre dans la création d’espaces particuliers, d’auto-exclusion et donc de distinction par leurs pratiques quotidiennes. Ici aussi le raisonnement a été enrichi à l’aide d’une carte mentale selon les quartiers afin de définir les lieux pratiqués. Enfin, la dernière thématique abordée avec les interviewés touchait principalement à l’idée d’auto-définition et de définition de leur propre classe. Ce dernier aspect avait un avantage double : d’une part, expliquer les mécanismes de construction de cette catégorie par utopie collective, et d’autre part de cerner plus précisément la personne interrogée et mieux comprendre les réponses qu’elle avait données préalablement, car tout discours s’inscrit dans un contexte social particulier. Les choix de critères de définition prennent alors un sens fort, permettant de situer les limites au-delà desquelles il est possible de se distinguer en tant que groupe particulier.

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Par ailleurs, outre la structure de l’entretien, il est nécessaire de souligner que les individus interrogés ont toujours certaines caractéristiques particulières dont il faut tenir compte. En effet, les élites sont des individus extrêmement actifs et occupés. Comme le rappellent les auteurs de

Studying elites using qualitiative methods (R. Hertz ; J. B. Imbert, 2000), il faut être extrêmement

accommodant : être prêt à les rencontrer là où ils le désirent, c’est-à-dire principalement sur leur lieu de travail, mais aussi chez eux avant 8h du matin ou le soir après 21h, dans un café, dans un restaurant, dans leur voiture avant d’aller travailler, etc. A cet égard, nous avons réussi à nous familiariser avec la ville dans son ensemble, et plus particulièrement les zones d’emplois et de résidences de ces élites.

Figure 12. Structure et thématiques des entretiens

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Par ailleurs, la plupart d’entre eux ont déjà été interrogés par des journalistes. Il faut donc comme le signale R. J. Thomas (2000) « recalibrer » l’interviewé sur le type de questions, pour que les réponses ne soient pas évasives et trop systématiques. Nous avons notamment remarqué que les plus connus d’entre eux ont été dans un premier temps sur la défensive, ne répondant que par des bribes ; puis au bout de dix minutes, ils se sont détendus. Les méthodes d’enquêtes qualitatives conseillent généralement de commencer l’interview avec les questions qui sont fondamentales pour notre recherche. D’après notre propre expérience, face à ce type d’individus, il est plus judicieux de n’aborder les points qui nous semblent importants qu’au bout d’une dizaine de minutes, afin de laisser l’individu comprendre nos intentions et relâcher sa garde. A titre d’exemple, un interviewé au bout de quelques minutes a souri et m’a dit : « Vos questions sont extrêmement intéressantes ! Ça me change des journalistes qui me demandent si au bout de vingt ans je suis toujours amoureux de ma femme ! ». Par ailleurs, la rareté et l’occasion inespérée de rencontrer ces individus qui, pour la plupart, sont des personnalités publiques, font qu’il est nécessaire de tirer au maximum parti de la situation : demander tout ce dont nous avons besoin et ne pas avoir peur d’oser demander plus de renseignements, car c’est une opportunité qui a peu de chance de se reproduire. La méthode de l’entretien semi-directif est ainsi la plus appropriée, du fait de la particularité de cette catégorie de la population. Elle permet d’approfondir et de comprendre les discours de ces élites, les processus d’auto-exclusion, de distinction et d’entre-soi qui sont fondamentaux afin d’appréhender les changements sociaux qui se sont opérés dans l’espace intra-urbain polonais après 1989.

Les individus ainsi interrogé ont ainsi donné des clés de lecture afin de comprendre quel était leur vision de l’élite, surtout du groupe auxquels ils appartiennent et si l’année 1989 a bouleversé leur façon de se définir.