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La nomenklatura : l’élite du système communiste

L’élite polonaise : définitions et théorisations

Encadré 1. Processus d’entre-soi : un terme sociologique français

3. Typologie des spécificités historiques de l’élite polonaise

3.1. La nomenklatura : l’élite du système communiste

La « nomenklatura » était à l’origine une liste secrète des hauts cadres des administrations et des représentants communistes en U.R.S.S. composée par J. Staline, dont la première fut établie en 1922 (M. Voslensky, 1980). Le Secrétariat du Comité central de l’époque, dirigé par J. Staline, décidait de toutes les nominations aux plus hauts postes de direction de l’Etat. Ainsi, très vite, la dénomination « Nomenklatura » s’est appliquée pour désigner plus largement la classe dirigeante communiste (personnalités et responsables politiques, ainsi qui les hauts fonctionnaires d’Etat). A partir de 1948, la même structure a été mise en place en Pologne et a été tout au long de la période communiste, dépendante du Kremlin.

A partir de 1945, les nouvelles orientations politiques du régime ont été d’élaborer une « voie polonaise du socialisme » et de trouver des relais au sein de la société polonaise, et par ce biais de mettre en place une nouvelle élite. Ainsi, au moment où les autorités déconstruisaient l’élite polonaise, elles permettaient également à une certaine catégorie de personnes, que ce soit dans le monde paysan, ouvrier ou intellectuel, d’accéder à des postes auxquels elles n’auraient pas pu accéder autrement. « L’absence de cadres qualifiés permettait à un modeste médecin de devenir directeur d’hôpital, et un modeste professeur de lycée avait désormais une chance d’accéder à une chaire universitaire. » (D. Jarosz, 2006). Très vite, le Parti est devenu un moyen d’accéder à des postes de direction. En juillet 1944, le Parti des travailleurs comptait seulement 34 000 membres, un an plus tard ils étaient 300 000 avec une écrasante majorité d’ouvriers et de paysans. Cependant, les grandes fonctions qui demandaient des qualifications particulières ont été attribuées principalement à des intellectuels.

On connaît peu de choses sur le processus de destruction des anciennes élites intellectuelles polonaises et sur la création de nouvelles après 1945 (D. Jarosz, 2006). Cependant, il est possible de repérer certaines initiatives du Parti, et notamment la création de l’Institut des cadres scientifiques (Instytut Ksztalcenia Kadr Naukowych – IKKN) qui formait de nouvelles élites académiques dévouées idéologiquement au marxisme, ou encore le recrutement de jeunes issus des milieux ouvriers et paysans en tant qu’officiers (en 1956, 50% des officiers promus étaient d’origine ouvrière et 32% paysanne (Ibid.)). Durant le socialisme, cette classe a pu profiter de certains avantages que le monopole du pouvoir lui a procuré, tels que des logements, des biens de consommation, ou encore des passeports pour l’étranger etc.

Durant les années 1970, le programme de modernisation de l’industrie et l’amélioration de la disponibilité des biens de consommation mené par E. Gierek a suscité un engouement de la part de certains intellectuels, provoquant une vague d’adhésions au Parti. Par ce biais, un groupe de réformateurs, modernistes et d’individus instruits a constitué un nouveau type de la nomenklatura (G. Mink, J.-C. Szurek, 1994), que T. Zarycki (2008) nomme les « technocrates ».

L’après 1989 a été incertain pour beaucoup d’entre eux et leurs trajectoires sociales ont été étudiées par de nombreux chercheurs. J. Staniszkis (1991a, 1991b) a été l’une des premières à

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expliquer qu’une partie de ces élites communistes a anticipé la fin du socialisme en transformant peu à peu leur rôle politique et leur pouvoir administratif en capital économique. Trois hypothèses ont été cependant formulées (J. Wasilewski, 1994 ; G. Mink, J.-C. Szurek, 1994) : soit « rien n’a changé » et les mêmes individus sont au pouvoir, soit ils ont été déclassés, ou soit ils ont en effet réussi à convertir leur capital politique et leur capital social en capital économique.

Selon l’étude de J. Wasilewski (1994) portant sur la Pologne, la Hongrie et la Russie, ce sont les nomenklaturistes polonais qui ont été le plus touchés par la conversion. Un grand nombre d’entre eux sont certes restés parmi les dirigeants du secteur public de l’économie, mais beaucoup sont passés dans le secteur privé et très peu sont restés dans la vie politique (6% en 1993). Ils ont donc encore eu une place de choix dans la vie publique polonaise. En 1993, une grande partie d’entre eux avait créé sa propre entreprise, phénomène qui n’a pas seulement touché les dirigeants des entreprises publiques, mais toutes les branches de la nomenklatura. Il n’existe donc pas de trajectoire unique, aucune des hypothèses préalablement citées n’est valable. C’est plus particulièrement l’origine sociale des ex-nomenklaturistes qui détermine leurs trajectoires. En effet, il semble évident que les individus n’ayant pas eu (au départ de leur vie) de capital culturel important et n’ayant pas profité des avantages et privilèges que leur apportait leur situation durant l’époque communiste, afin de s’enrichir en capital culturel, n’ont pas pu retrouver une place similaire dans le nouveau système. Seuls les membres ayant (ou ayant acquis) un capital culturel et social important ont réussi leur conversion (I. Szelényi et al., 1995). Les ex-nomenklaturistes les plus hauts placés (détenant l’information) ainsi que les plus cultivés avaient préparé leur conversion durant les années 1980. Certains s’étaient en effet informés des techniques économiques occidentales (livres économiques censurés) afin de se préparer à l’entreprenariat. Par ailleurs, les différentes relations qu’ils se sont forgées à l’international durant le socialisme sont des atouts (contacts avec la Russie), tout comme l’expérience en matière de direction. L’année 1989 n’a ainsi pas été une rupture en soi, mais a été une nouvelle possibilité d’investissement pour ces derniers (G. Mink, J-C. Szurek, 1994)

Cependant, le fait d’avoir réussi pour certains leurs conversions, ne leur donne pas pour autant bonne réputation. En effet, tout comme dans les autres pays d’Europe centrale et orientale, une loi dite de « lustration » a été mise en place en 1997, et oblige les hommes politiques et les magistrats à remplir une déclaration sur l’honneur concernant leur éventuelle coopération avec les organes de sécurité de l’Etat de la République populaire de Pologne entre 1944 et 1990. Si le moindre doute subsiste, l’individu concerné est soumis à une action en justice et peut perdre son emploi. En 2007, un nouveau souffle de suspicion s’est amorcé sous le gouvernement des frères Kaczyński et une nouvelle loi a été rédigée élargissant la lustration aux journalistes, aux fonctionnaires de l’éducation nationale et à la justice. Cette loi a cependant été déclarée anticonstitutionnelle et n’a jamais vu le jour. Ce contexte anti-communiste ne facilite pas les ex- nomenklaturistes à se mettre sur le devant de la scène sociétale et ces derniers sont toujours en recherche d’identité. Les retours sur l’histoire en Pologne sont récurrents dans les débats publics, de telle sorte que la plupart d’entre eux insiste sur leur rôle d’accompagnement des

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transformations politique et économique entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, se créant une identité positive mais différente de Solidarność.

La nomenklatura a donc été l’élite dirigeante de l’époque socialiste et a su, pour les plus hauts placés de ses membres, se retrouver une place de choix dans la nouvelle configuration politique et économique. Malgré le fait que leurs trajectoires ne soient pas uniques, un nombre important a su se repositionner dans le secteur économique, profitant de leurs savoirs (informations et connaissances) et de leurs expériences de direction. Ainsi, même si la classe des nomenklaturistes n’existe plus aujourd’hui en tant que telle, ses anciens membres les plus influents n’ont pas pour autant été déclassés. Certains font même partie de l’élite économique actuelle, notamment Jerzy Urban, qui après être devenu rédacteur en chef du journal à scandale politique hebdomadaire NIE est aujourd’hui multimillionnaire grâce, entre autres, à des placements financiers avantageux.

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