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L’élite polonaise : définitions et théorisations

1. Etat de l’art des théories sociales du concept d’élite

1.1. Autour d’une définition

Le terme d’élite prend ses sources dans la langue française du XVIIe siècle, où l’on utilisait le terme « d’élite » pour désigner les meilleurs produits comme le vin ou les tissus (J. Sztumki, 1997). Ce n’est qu’un peu plus tard qu’il a été utilisé pour désigner les individus les mieux positionnés socialement. Ce terme a ensuite été très largement diffusé dans les autres langues européennes vers le début du XIXe siècle, notamment en Angleterre où la prononciation

actuelle garde sa singularité originelle50. Aujourd’hui encore, dans le langage courant, le terme

d’élite se définit comme « l’ensemble des personnes considérées comme les meilleures, les plus remarquables d’un groupe, d’une communauté » (Le petit Robert de la langue française, 2006) ou comme « les personnes qui occupent le premier rang, de par leur formation, leur culture » (Ibid.). L’intérêt de ces deux définitions provient de la césure qui est faite entre les élites et l’élite. En effet, dans la première définition, le terme d’élite ne fait référence qu’à un positionnement fonctionnel des individus composant cette élite: les plus doués, les mieux placés au sein d’un corps de métier, par exemple, favorisant l’utilisation plurielle de ce terme. La seconde en revanche décrit l’élite comme un groupe définissant structurellement une partie de la société et s’emploie donc au singulier. Cette dernière provoque une coupure au sein de la société entre l’élite et « la masse ».

Ces deux définitions du langage courant sont finalement issues des différentes visions sociologiques et exposent en partie la dichotomie paradigmatique qui existe entre les différentes

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conceptions : doit-on définir l’élite comme les individus occupant la première place d’un petit groupe ou ont-ils une manière de se distinguer par un système de valeurs et de règles qui les place au dessus des autres dans la société?

Les dictionnaires scientifiques réduisent certes le champ d’investigation et précisent le terme, cependant chacun présente une définition s’inscrivant dans un paradigme différent. En effet, une partie des sociologues français propose une définition fonctionnaliste se fondant sur le statut professionnel et sur l’excellence de l’individu dans une activité quelconque, proche de la

définition classique proposée par V. Pareto au début du XXe siècle51 (voir 1.2.). De ce fait, ces

derniers n’envisagent les élites qu’au pluriel. « Comme estimer revient à comparer et qu’on ne peut comparer que le comparable, on ne peut parler d’élite qu’à l’intérieur d’une branche d’activité » (R. Boudon, F. Bourricaud, 1990). Cette théorie s’est construite en réponse au marxisme, dans le but de démontrer qu’aucune élite « au singulier » n’existe, s’opposant à la théorie des luttes des classes (J. Coehen-Huther, 2004). Les branches professionnelles et le classement au sein d’une même branche laissent envisager un système complexe de l’excellence ne permettant pas de définir un groupe dans sa globalité. Pour R. Boudon et F. Bourricaud (1982), la théorie classique de V. Pareto paraît une explication possible de la complexité de la société moderne d’aujourd’hui : « On peut se demander au total si l’atténuation des phénomènes de stratification dans les sociétés industrielles, l’extension de l’éducation, et l’avènement corrélatif de phénomènes comme la culture « de masse » et le sport « de masse » ne redonnent pas une nouvelle vigueur à la théorie de Pareto ». Cette théorie de fondement libéral est aujourd’hui la plus répandue à l’étranger (par l’intermédiaire des écrits anglophones), à tel point que certains

dictionnaires sociologiques52, notamment polonais, séparent « élite », « élite intellectuelles »,

« élite politique », ainsi qu’ « élite du pouvoir ».

A cet égard, d’autres dictionnaires, comme Le dictionnaire de la Sociologie (1998) aux éditions Albin Michel, exposent la vision des sociologues de tradition marxiste ou néo-marxiste qui reprochent à ce découpage de laisser de côté ce qui touche aux relations sociales et aux luttes de classe, en n’ayant seulement recours qu’aux aptitudes individuelles (B. Guillemain, 1998). Ils se réfèrent pour leur part principalement à la classe possédante ou encore la classe dominante, et non pas seulement à la classe dirigeante : « La classe au pouvoir [étant] celle qui détient les moyens de production » (Ibid.). Par ce biais, est généralement préférée la vision devenue classique de C. Wright Mills (1957) définissant l’élite en termes de statut et distinguant ainsi trois types d’élites différentes : politique, économique et militaire. Ces élites ont des intérêts communs et ont ainsi la capacité de s’entendre pour maintenir leur tutelle sur la « masse ». Cette vision est proche de la dichotomie célèbre dominants-dominés de P. Bourdieu et ajoute surtout un aspect à la question dont V. Pareto fait abstraction : l’entente entre élites (de toutes professions). Par ce biais, l’élite représente une classe distincte qui structure la société.

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Les systèmes socialistes (1902) et Traité de sociologie générale (1916)

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Ainsi, la définition de la notion d’élite n’est pas unilatérale et dépend intrinsèquement du prisme par lequel la société est analysée. B. Guillemain (1998) rappelle que la notion d’élite a été et est toujours en partie « obscurcie » par la théorie de V. Pareto, excluant tout principe de lutte de classe ou ne s’en y référant que de façon fonctionnaliste. Nous ne pouvons que lui donner raison car il est peu probable que la circulation des élites soit seulement assurée par les aptitudes de chacun, les processus d’inégalités sociales étant beaucoup plus complexes.

Malgré tout, il est possible de repérer certains traits communs à toutes ces définitions scientifiques. D’une part, tous se fondent sur l’excellence plaçant un ou plusieurs groupes à la tête d’une société ou d’un groupe particuliers. D’autre part, ce groupe ou ces groupes se distingue(nt) par rapport aux groupes inférieurs, soit par leurs aptitudes (V. Pareto), soit par leurs statuts (C. Wright Mills), soit par un système de valeurs qui leur sont propres (P. Bourdieu, R. Aron). Mais aussi, il(s) se caractérise(nt) par une relation étroite avec le pouvoir politique en place (gouvernants ou proche des gouvernants). Ces traits communs ne permettent pourtant pas d’appréhender la construction de ce groupe particulier, car restreint, visible mais peu accessible que constitue l’élite. Afin de comprendre toutes les implications épistémologiques de cette notion, il est nécessaire de s’attarder plus longuement sur les grands paradigmes et théories qui ont fait vivre le terme d’élite.

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