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Le choix des individus interrogés

Comment les élites polonaises se perçoivent-elles ? Analyse des discours et auto-définition

1. Une méthode qualitative complémentaire : les entretiens

1.2. Profil sociologique des individus interrogés

1.2.1. Le choix des individus interrogés

L’échantillonnage s’est effectué suivant un accès indirect, par l'intermédiaire de relations. Cette méthode a été utilisée car il est malheureusement peu aisé d'accéder directement aux

personnes d'influence69. La socialisation de ces individus, ainsi que l'incorporation d'un nouveau

membre, ne se fait que par cooptation (M. Pinçon, M. Pinçon-Charlot, 1989, 2005). L'accès à tous ces individus n'aurait pas pu s'opérer sans une personne tierce et sans références de personnes tierces. Il est également indéniable que ces relations et connaissances ainsi tissées n'auraient pas pu exister sans le statut que nous apportait notre situation (doctorante), la distinction de notre université au niveau international (Sorbonne), ainsi que notre nationalité (française). Sans cette étiquette, de nombreuses portes seraient restées fermées. Par ce biais, la mise en situation de l’entretien n’était pas neutre, car elle dépendait non seulement de la demande de l’enquêteur, mais aussi de la demande de la tierce personne dont la contrainte pouvait provenir des sphères amicale, sociale ou institutionnelle et pouvait être plus ou moins bien perçue (A. Blanchet, A. Gotman, 2007). A ceci, il est nécessaire d’ajouter que lors d’un entretien le rapport entre l’interviewé et l’enquêteur reste fluctuant de telle sorte que ce dernier n’est pas toujours en situation de dominance (ce que révélait notamment l’expérience de M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot en 2005). Grâce au statut dont nous disposions et que nous venons de définir, il nous a semblé que de nombreuses fois, les enquêtés nous incluaient aisément dans leur milieu, par l’emploi souvent de phrasés englobant : « comme moi, ou comme vous », « entre nous » ou encore « comme vous le

savez vous-même »70, surtout lorsqu’il était question des classes moyennes ou populaires. A la fin

de certains entretiens, nous avons été quelquefois surprises de constater que certains pensaient que

nous étions une « cousine éloignée » de la personne par qui nous avions été recommandées71.

Malgré tout, nous n’avions pas le contrôle absolu de nos entretiens, notamment parce que le temps qu’ils nous accordaient était « sacrifié » et nous plaçait en tant que « débiteur » pour ne reprendre que les termes employés de M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot (2005).

Par ailleurs, la proximité dans l’espace durant l’entretien a également été un frein ou un atout à la bonne maîtrise de l’entretien. Le rapport à la personne a en effet été différent suivant le lieu où se déroulait l’entretien. M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot ont pu notamment observer que

68 M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot dans leur nombreux travaux (1989, 1992, 2005, etc.) expliquent notamment

que « l’approche de la personne sociale en euphémise la position réelle : un grand bourgeois est toujours bien plus que sa position professionnelle. C’est d’ailleurs ce qui le définit le mieux : une accumulation exceptionnelle de capitaux, sous toutes les formes possibles, économique, culturelle, sociale, symbolique qui rend la position sociale irréductible à la position occupée dans le système productif » (p. 29 -31, 2005).

69 Dans un premier temps nous avons essayé naïvement de contacter des directeurs de grandes entreprises en

appelant directement l'entreprise. Aucun d'entre eux n'a voulu nous recevoir (par l'intermédiaire du secrétariat). Quelques semaines plus tard, je prenais directement rendez-vous avec les intéressés grâce à l'appui de certains individus.

70 « Tak jak Ja, albo jak Pani”; „Między nami”; „Jak Pani sama wie” 71

L’entre-aide entre membres de la classe dominante est en effet un des aspects fondamentaux de la construction de la classe dominante que de nombreux sociologues ont pu

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« le sociologue n’échappe pas à [la] logique sociale qui veut que chaque agent tende à faire reconnaître la suprématie de la forme de capital dont il dispose » (2005, p.32). A cet égard, nous avons pu constater que les grands directeurs des firmes internationales nous invitaient principalement dans leur bureau ou dans la salle de réunion, lieux dans lesquels ils exerçaient généralement leur pouvoir. La secrétaire nous apportant une collation la présentant tout d’abord à notre interviewé, puis à nous, ne faisait que renforcer ce ressenti. Le bureau imposant (ou la table) entre l’individu interrogé et nous, ainsi que la possible arrivée à tout instant de la secrétaire ou d’un employé ne permettaient pas toujours de recueillir des réponses au-delà d’un discours codifié et très général. Les rencontres dans les cafés ou aux domiciles des interviewés ont été généralement les plus fructueuses. Certaines ont été suivies d’une visite de maison ou d’appartements qui leurs permettaient de légitimer leur capital symbolique (par le capital familial : livres anciens, meubles anciens, portrait de famille ; ou encore par une collection d’œuvre d’art).

A la fin de chaque entretien, il a été demandé à l’interviewé de donner les noms et les coordonnées téléphoniques de trois personnes qui accepteraient de réaliser le même entretien et qui entreraient dans la définition de ce que l’interviewé entendait par « élite » résidant à Varsovie. Cette question a permis d’appliquer la méthode dite de proche en proche (A. Blanchet, A. Gotman, 2007) et a permis en même temps d’analyser les réseaux sociaux existant entre ces individus (A. Degenne, M. Forsé, 2004). Ainsi, cela sous-tendait de s’interroger sur les relations que pouvaient avoir ces personnes avec les hautes sphères et si elles étaient suffisamment intégrées pour que l’enquêteur puisse contacter celles-ci en leurs noms. La transmission de connaissances est une prise de risque non négligeable, car par définition l’individu doit avoir assez d’influence pour que la présentation de l’enquêteur ne soit pas un danger dans sa trajectoire professionnelle et sociale. Ainsi, plus une personne est influente socialement, plus les personnes transmises seront nombreuses, haut placées, et ne toucheront pas seulement la sphère personnelle, mais s’élargiront aux relations professionnelles. Très clairement, il apparaît que les jeunes enquêtés avaient généralement le plus de mal à donner des noms en dehors de leurs relations privées. Les générations plus âgées au contraire arrivaient à proposer un panel plus large reposant sur des bases professionnelles solides. Enfin, les deux individus ayant communiqué le plus de relations privées ou professionnelles sont toutes deux retraités, ce qui laisse à penser que ces individus se sont sentis plus libres de transmettre leurs relations, à une étape de leur vie où les enjeux professionnels d’ascension ne sont plus actifs et seul le capital social est mis en avant comme succès de leur ascension sociale.

Il a également été intéressant de constater que partant de milieux très différents

(journalistiques, artistiques, francophones72, intellectuels, économiques, etc.), le nom de certains

individus a été transmis deux, voire trois fois. Ceci prouvant à quel point cette société est plutôt étriquée.

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Nous pensons ici surtout au monde des expatriés français, qui occupant généralement des positions assez importantes au sein des entreprises, nous ont permis d’accéder aux Polonais hauts placés.

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Par ailleurs, les horizons des personnes interrogées ont été extrêmement différents. Au départ, nous avons voulu nous focaliser seulement sur les élites intellectuelles (professeurs d'universités, chercheurs, etc.) et sur les élites économiques. Or, ce monde est fortement enchevêtré, à tel point qu'il a bien été difficile de rester cloisonné à une élite spécifique ; nous avons ainsi rencontré aussi bien des élites intellectuelles que politiques ou encore économiques, artistiques et médiatiques. Ce point spécifique corrobore l’idée d’une classe dominante (P. Bourdieu, 1979) dans laquelle les individus sont en contact les uns avec les autres (C. Wright Mills, 1957).

Les entretiens n'ont pas été anonymes pour plus de la moitié (38 sur 66). Ainsi, nous avons pu interroger des personnalités importantes qui nous ont autorisées à les citer. Certains sont connus à l'échelle nationale, d'autres sont reconnus au sein de leur milieu professionnel ou ont une forte influence politique ou économique. Pour ne citer que les plus connus et influents (non anonymes): Filip Bajon (scénariste), Małgorzata Blikle (directrice de l'entreprise familiale Blikle), Jakub Borawski (vice-directeur du bureau d'analyse du Sénat), Jadwiga Czartoryska (présidente de la fondation Orange), Małgorzata Daniszewska (épouse de Jerzy Urban, journaliste et ex- nomenklaturiste), Michał Komar (scénariste et critique de films), Iwona Łępkowska (scénariste de séries télévisées polonaises), Grzegorz Prądziński (directeur de l'entreprise PIU), ou bien Witold Walkowiak (vice-président de l'entreprise WARTA). Les anonymes regroupent entre autres : un directeur général d'une grande firme d'assurances internationale, un ex-ministre, un ex- ambassadeur, des grands fonctionnaires d'Etat ou encore un courtier en bourse (trader).

La totalité des personnes interrogées ont effectué des études supérieures : 70% ont acquis le diplôme de niveau Master ou celui d’Ingénieur, 29% sont Docteurs et seulement un individu n’a qu’un diplôme de niveau Licence. Selon leurs professions et leurs spécialités, nous les avons classés en différentes catégories afin de faciliter la lecture (Figure 9). Ainsi, les individus dont le métier est fortement lié à la politique comme les ministres, sénateurs et députés, mais aussi les journalistes s’intéressant aux affaires politiques ou les femmes de politiciens ont été classés en tant qu’élites politiques. Dans la même logique, tous les chefs d’entreprises, managers, dirigeants et présidents de firmes ont été regroupés en tant qu’élites économiques. Par ailleurs, les élites culturelles ont été scindées en deux : celles adoptant un profil plus académique (enseignant- chercheurs à l’université ou chercheurs à l’Académie des sciences), et celles s’apparentant à un milieu artistique (écrivains, artistes-peintres, journalistes liés à la vie culturelle, directeurs de

musée, acteurs, architectes, scénaristes, etc.)73.

73 Nous sommes conscients de la limite de ce découpage, car dans les faits il a été difficile de classer certains

individus dans telle ou telle catégorie. Nous avons pris le parti de tenir compte de l’aspect dominant définissant l’identité de l’individu. Encore une fois, dans la réalité, les frontières entre ces dénominations sont plus floues qu’il n’y paraît.

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Le schéma (Figure 9) mets en évidence les relations avec les enquêtés contactés avec la méthode dite de proche en proche (A. Blanchet, A. Gotman, 2007). Par les nombres de 1 à 11, sont représentés les intermédiaires qui nous ont transmis les premiers contacts. Ils n’ont pas été eux-mêmes interrogés, car ne répondant pas forcément à la définition, ou nous étant trop proches pour que leurs réponses aient un sens dans notre démarche empirique. Chaque bulle symbolise un individu. A l’intérieur de ces bulles, le prénom des interviewés a été changé pour respecter la vie privée et l’anonymat de ces derniers, et le statut socio-professionnel a été indiqué. Lorsqu’il s’agissait d’une femme au foyer dont le statut social se définissait exclusivement ou principalement par le statut du mari, c’est le statut professionnel de ce dernier qui a primé. En bleu et par l’intermédiaire d’une lettre en majuscule sont indiqués les individus qui ont été communiqués par les personnes interrogés, mais avec qui nous n’avons pas effectué d’entretien. Par ailleurs, certains n’ont pas accepté d’être interrogé (indiqué par un astérisque), soit parce qu’ils ne se reconnaissaient pas en tant que « classe supérieure » ou « élite », soit parce qu’ils n’avaient tout simplement pas de temps à nous accorder. En outre, à titre d’information, nous avons indiqué, lorsque nous le connaissions, le métier de l’individu transmis, même si celui-ci n’a pas été interrogé.

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