• Aucun résultat trouvé

Le programme agricole des quarante-huitards

I - Un modèle paysan

2) Le programme agricole des quarante-huitards

Chambres consultatives d’agriculture, enseignement professionnel agricole, colonisation agricole de la France : le programme a pourtant paru bien mince à la plupart des chercheurs. Quand les historiens constatent avec Philippe Vigier que le paysan est resté le

« grand absent » de l’œuvre économique et sociale des quarante-huitards2, les politistes dédaignent la politique agricole de la Seconde République : les études les plus anciennes font naître la politique agricole dans les années 1880, lorsqu’on crée un ministère de l’agriculture distinct de celui du commerce3 ; les plus récentes affirment bien souvent que « la France n’[a]

pas eu de politique agricole digne de ce nom jusqu’à la seconde guerre mondiale », ce que regrette Claude Servolin qui remonte quant à lui au Second Empire pour cerner « les premières bases du système institutionnel de développement de la petite production moderne »4.

Comment expliquer dès lors le décalage que l’on peut ainsi observer entre le constat de l’historien et le discours des républicains, entre l’insuffisance des réalisations et l’importance réaffirmée de la politique agricole ? Les circonstances d’abord n’étaient pas favorables.

Quand la Commission du Luxembourg, créée le 28 février 1848 sous la pression ouvrière et socialiste, se montre plus attentive au sort des travailleurs des villes qu’à ceux des campagnes, le légalisme du nouveau gouvernement le conduit à inscrire sa politique agricole dans le temps long de la délibération parlementaire. A Leroux qui le 17 juin 1848 demande

1 Ibid.

2 Philippe VIGIER. La Seconde République. Paris : PUF, 1967. p.22.

3 Voir par exemple les ouvrages de Michel Augé-Laribé : Michel AUGE-LARIBE. La politique agricole de la France de 1880 à 1940. Paris : PUF, 1950. 483 p. ; La révolution agricole. Paris : Albin Michel, 1955. XIX-435 p.

4 Claude SERVOLIN. Les politiques agricoles. In GRAWITZ, Madeleine, LECA, Jean. Traité de science politique. Paris : PUF, 1985. Tome 4, p.155-260.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 62

« pourquoi les lois qui ont été annoncées par le ministre du commerce et de l’agriculture ne sont pas présentées promptement »1, Flocon oppose ainsi la lenteur du travail de rédaction des projets de loi et sa volonté de les présenter ensemble aux représentants du peuple. Or le temps travaille contre les républicains, qui, d’élections en élections, sont peu à peu dépossédés de la République : les projets annoncés en 1848 sont ainsi abandonnés ou nettement infléchis lorsqu’ils viennent en discussion, quelques années plus tard, dans une Assemblée bientôt acquise aux conservateurs2. Mais surtout, il semble que les mesures mêmes envisagées par les quarante-huitards, parce que régies par des conceptions très différentes des nôtres, aient été sous-évaluées par les chercheurs. Certes, les républicains n’ont pas d’emblée cherché à proposer à l’Assemblée un programme agricole de grande ampleur, fondé sur une analyse claire des besoins et des objectifs. Mais c’est parce qu’au début de la Seconde République, beaucoup conçoivent encore la politique agricole sur le modèle d’un self-government encadré par l’Etat. Tout en prônant l’intervention de l’Etat, dont le rôle est selon eux d’encourager voire d’organiser la production agricole, ils sont en effet convaincus que cette intervention doit suivre les recommandations des individus qui y sont intéressés : de la même façon que le suffrage universel masculin a remis la nation en possession d’elle-même, la République doit redonner l’initiative au peuple des campagnes lorsqu’il s’agit de ses propres intérêts. La politique agricole des quarante-huitards s’inscrit ainsi dans le prolongement de revendications anciennes tout en intégrant les bouleversements inaugurés par l’instauration du suffrage universel.

L’héritage des « agriculteurs »

Les chambres consultatives d’agriculture

Le cas du premier projet annoncé par Flocon, la création des chambres consultatives d’agriculture, est à ce titre exemplaire. Il s’agit de mettre en place la représentation des intérêts matériels des campagnes, qui, en éclairant les représentants du peuple sur les besoins de l’agriculture, doit guider les décisions de l’Assemblée nationale : celles-ci auront ainsi été prises en fonction de l’intérêt général certes, mais aussi dans le respect des intérêts

1 Séance du 17 juin 1848. Moniteur universel, 18 juin 1848, p.1414.

2 Aux élections législatives du 13 mai 1849, le Parti de l’ordre remporte près de 500 sièges sur 750.

Maurice AGULHON. Op. cit. p.104.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 63 particuliers concernés. « Quand les chambres consultatives d’agriculture seront organisées et fonctionneront sur toute la surface de la France, affirme ainsi Flocon, le gouvernement qui viendra, qui sera en exercice à cette heure-là, trouvera sous sa main l’appui et le levier qui nous manquent aujourd’hui »1.

Sous cet angle, le programme agricole des quarante-huitards s’inscrit dans le prolongement des revendications émises sous la Monarchie de Juillet par les « agriculteurs », qui, rappelle Flocon, « se plaignent avec raison que les gouvernements antérieurs les ont négligés »2. Il ne s’agit pas pour lui de désigner ici les paysans, mais les gros chefs d’exploitation, souvent grands propriétaires terriens, qui réclament depuis longtemps l’instauration de chambres consultatives d’agriculture, sur le modèle des organes représentatifs dont disposent déjà l’industrie et le commerce. L’ « agriculteur » nous dit en effet Pierre Larousse est à l’époque « celui qui fait valoir par lui-même et en grand », contrairement au laboureur, qui « cultive la terre par lui-même »3. Il désigne alors un groupe social assez visible. En majorité légitimistes mais pas seulement, députés ou retirés sur leurs terres, les « agriculteurs » ont cherché dans les années 1840 à exercer une influence sur la politique agricole : investis dans l’exploitation de leurs domaines, ils animent les sociétés d’agriculture et les comices, organisent des prix et des concours, créent des revues, expérimentent sur leurs terres de nouveaux procédés agricoles, lancent pétitions et appels en direction des gouvernements.

Les républicains héritent donc d’une revendication ancienne, sur laquelle il nous faut revenir un instant pour mieux comprendre ce qu’ils en retiennent, et surtout pourquoi ils acceptent de mettre leurs pas dans ceux de grands propriétaires terriens dont on aurait pu penser d’emblée qu’ils constitueraient à leurs yeux des adversaires politiques. Les débats que ces derniers ont suscité sous la Monarchie de Juillet illustrent bien leurs conceptions de la politique agricole, qu’ils veulent à la fois scientifique et représentative. En témoigne la

1 Séance du 17 juin 1848. Moniteur universel, 18 juin 1848, p.1416.

2 Ibid.

3 Pierre LAROUSSE. Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Paris : Larousse, 1866-1876.

Tome 1, p.142. La distinction « agriculteurs »/« paysans », si elle recouvre aujourd’hui d’autres clivages, retrouve parfois un fonctionnement analogue, notamment quand elle permet d’opposer les intérêts des petits paysans à ceux des agriculteurs capitalistes qui influent seuls sur la politique agricole.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 64 discussion engagée en 1840 sur la prise en considération de la proposition de loi Beaumont et Defitte relative aux chambres d’agriculture1. Le gouvernement s’oppose à la création de chambres spéciales au motif que les agriculteurs sont suffisamment représentés dans les assemblées politiques2 : le suffrage censitaire fait en effet de ces grands propriétaires terriens des électeurs et des éligibles dont les revendications sont régulièrement exprimées à la Chambre des députés comme à la Chambre des pairs. Les promoteurs de la proposition de loi refusent au contraire de se contenter de la représentation politique et engagent la discussion sur le terrain de l’expertise. Au sous-secrétaire d’Etat au département de l’agriculture et du commerce, Adolphe Billault, qui rappelle la position du ministère, Lamartine, grand propriétaire terrien et député d’opposition, rétorque que la question agricole est technique et commande donc une réponse technique, que les assemblées politiques ne sauraient fournir3. Les intérêts matériels, distincts des questions politiques, n’ont pas à être débattus dans l’enceinte parlementaire mais à être formulés par des experts afin de rendre plus efficace l’action de l’administration. Et ces experts ne sont autres que les agriculteurs eux-mêmes, dont la profession garantit la compétence. Comme le dit Louis Defitte, député du centre gauche et grand propriétaire terrien passionné d’agronomie,

« leur mission serait de dissiper les préjugés des campagnes, parce qu’ils les connaissent ; de corriger nos habitudes, parce qu’ils en ont démêlé les vices ; d’indiquer au Gouvernement les véritables causes de nos souffrances, parce qu’ils souffrent comme nous ; de provoquer les améliorations, parce qu’ils les ont appliquées ; les encouragements, parce qu’ils voient tous les jours où il convient de les placer ; en un mot, de discerner nos besoins et de défendre nos intérêts, parce que leurs besoins et leurs intérêts sont les nôtres »4.

Pour Billault, l’argument de l’efficacité est un leurre. L’efficacité n’implique pas la représentation, fût-elle spéciale : les agriculteurs présents dans les comices et les assemblées politiques locales n’ont-ils pas l’oreille des préfets, les mieux à même de transmettre leurs besoins à l’administration centrale ? Et en effet, à l’argument de l’efficacité les défenseurs de

1 Pour une chronologie exhaustive des projets et propositions relatifs aux chambres consultatives, voir Christiane MORA. Les chambres d’agriculture : représentation et défense des intérêts agricoles.

Paris : Hachette, 1973. 500-LXXVIII p. (Thèse sous la direction de R. Rémond)

2 Séance du 18 avril 1840. Moniteur universel, 19 avril 1840, p.740.

3 Ibid. p.741.

4 Ibid. p.739. L’usage du « nous » souligne à la fois l’identification des intérêts agricoles à ceux des agriculteurs, dont fait partie Defitte, et l’appel à un échange fructueux entre députés et élus des chambres consultatives, entre représentation politique et représentation spéciale.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 65 la proposition adjoignent un argument d’un autre ordre : celui des « garanties ». Comme le dit Defitte, « dans notre système représentatif, assez souvent ce que les gouvernants appelleraient embarras, les gouvernés le nommeraient garanties »1. Dans la mesure où l’action de l’Etat s’exerce aussi dans la sphère économique, le principe représentatif consacré par la Révolution de juillet a vocation à y être étendu : la représentation des intérêts doit permettre d’éviter toute mesure arbitraire ou favorisant un intérêt aux dépens des autres ; la représentation de l’agriculture, dont on rappelle régulièrement qu’elle constitue la source principale des ressources publiques, doit venir contrebalancer la représentation existante du commerce et de l’industrie et veiller au bon usage des dépenses. Tout en réduisant les chambres d’agriculture à un rôle purement consultatif, la proposition Beaumont et Defitte donne ainsi aux avis qu’elles émettront une légitimité dont le gouvernement ne saurait faire abstraction. Les intérêts matériels, bien que distingués des questions politiques, reçoivent ici une organisation semblable (seules des assemblées représentatives sont à même de les formuler), et un rôle de pression sur les instances politiques que sont le gouvernement et le parlement, dès lors qu’elles sont amenées à prendre des décisions d’ordre économique. Quoique les agriculteurs comptent dans leurs rangs de nombreux légitimistes, inquiets des orientations prises par un gouvernement selon eux trop favorable aux industriels, leurs revendications prennent un tour nettement libéral : portées par des députés de l’opposition libérale dont certains, comme Lamartine, joueront un grand rôle dans l’instauration de la Seconde République, elles sont formulées dans les termes du gouvernement des agriculteurs par les agriculteurs.

Bien que prise en compte, la proposition Beaumont et Defitte ne fut pas mise à l’ordre du jour avant la fin de la session et, à la session suivante, les députés rejetèrent la reprise de la discussion. En réaction, les sociétés d’agriculture et les comices déléguèrent en 1844 quelque cinq cents propriétaires pour former un Congrès central d’agriculture qui puisse porter les revendications des agriculteurs et réclamer notamment la création des chambres d’agriculture.

Convaincus qu’il faut donner la priorité à l’agriculture, soucieux de répandre partout les bienfaits de la démocratie, les républicains une fois au pouvoir se déclarent favorables à la satisfaction de leurs exigences : comme le dit Flocon en annonçant la création de chambres d’agriculture, « il n’y a qu’un gouvernement honnête, il n’y a qu’un gouvernement sincère, sérieusement attaché à l’intérêt de la nation, qui puisse organiser les intérêts qui se rattachent

1 Ibid.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 66 au sol, leur donner une représentation régulière, sérieuse et normale, sans avoir à craindre les résultats d’une force qui devient nécessairement indépendante »1.

L’enseignement agricole

Le deuxième projet annoncé par Flocon, l’organisation de l’enseignement agricole, doit moins aux « agriculteurs ». Certes, ce sont d’eux que sont venues les premières initiatives en matière d’enseignement agricole. Tourret, qui succède à Flocon à la fin du mois de juin, le reconnaît dans l’exposé des motifs du projet de loi : « nous n’innovons pas », écrit-il avant de citer Mathieu de Dombasle, fondateur en 1826 d’un institut rattaché à sa ferme expérimentale de Roville, ainsi que les instituts de Grignon (créé en 1828), Grand-Jouan (créé en 1830) et La Saulsaie (créé en 1842), tous trois « œuvres de l’industrie privée » mais subventionnés par l’Etat à partir des années 1830-18402. Comme les animateurs du mouvement agricole, les républicains sont en effet convaincus que le progrès agricole viendra du développement de la science agronomique et de sa diffusion aux cultivateurs. Mais les agriculteurs ont toujours été divisés sur la question du rôle de l’Etat dans l’organisation de cet enseignement, beaucoup d’entre eux préférant faire une large part à l’initiative privée. En 1848, les républicains envisagent au contraire de placer l’enseignement professionnel agricole sous l’égide de l’Etat.

Dans le discours de Flocon, il s’agit avant tout de donner un caractère scientifique aux intérêts que les chambres consultatives devront représenter. Contrairement à son successeur, qui insistera longuement sur les progrès que la diffusion des savoirs et techniques agronomiques permettrait de faire à l’agriculture, le ministre de l’agriculture et du commerce présente alors le projet dans son articulation à la représentation de l’agriculture : « avant de

1 Séance du 17 juin 1848. Moniteur universel, 18 juin 1848, p.1416.

2 Exposé des motifs et projet de décret sur l’organisation de l’enseignement agricole, présentés par le citoyen Tourret, ministre de l’agriculture et du commerce. Moniteur universel, 22 juillet 1848, p.1725-1727.

Pour une chronologie des vicissitudes rencontrées par l’enseignement agricole au cours du XIXe siècle, on consultera les ouvrages suivants :

Michel BOULET, Anne-Marie LELORRAIN, Nadine VIVIER. 1848, le printemps de l’enseignement agricole. Dijon : Educagri, 1998. 141 p.

Michel BOULET, Nelly STEPHAN. L’enseignement agricole en Europe : genèse et évolution.

Paris/Hongrie/Italie : L’Harmattan, 2003. 232 p.

Thérèse CHARMASSON, Anne-Marie LELORRAIN, Yannick RIPA. L’enseignement agricole et vétérinaire de la Révolution à la Libération. Paris : INRP/Publications de la Sorbonne, 1992. 745 p.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 67 parler des intérêts d’une chose, dit-il, il faut la constituer, il faut la créer ». Et il ajoute, enchaînant ainsi la question des chambres consultatives de l’agriculture avec celle de l’enseignement professionnel agricole :

« Où est l’agriculture ? (Interruption. Une voix : Dans les champs !) Attendez ! Précisément. Comment, chez la nation la plus intelligente, et la plus active, et la plus industrieuse du monde, on souffre que la première de toutes les sciences (Oui ! oui !), voilà, je crois, la première fois que le mot est dit à une tribune, que la première de toutes les sciences ait été complètement oubliée par les Gouvernements »1.

Quand il n’y aura « pas un arrondissement en France où la science de l’agriculture et les sciences qui s’y rattachent et qui en sont inséparables, ne seront professées par des hommes dont le savoir réel, dont l’intelligence réelle auront été examinés et constatés par l’Etat lui-même »2, alors les électeurs et les éligibles aux chambres d’agriculture pourront exprimer et formuler sans difficulté les intérêts agricoles qu’ils sont supposés défendre. La rencontre de la science et de la représentation n’est pas rare dans le discours républicain : ici comme ailleurs, on attend des délibérations qu’elles débouchent sur des décisions conformes aux lois générales que la science aura révélées3. C’est pourquoi l’Etat doit garder le contrôle de l’enseignement agricole : garant de l’intérêt général, il est aux yeux des républicains le seul à même de constater avec impartialité le « savoir réel » des enseignants. La science agricole, dont la validité est garantie par l’Etat, a ainsi vocation à « constituer », à « créer » l’agriculture par l’établissement de ses principes et de ses lois, tandis que les représentants agricoles, dûment informés, en définiront les intérêts.

1 Séance du 17 juin 1848. Moniteur universel, 18 juin 1848, p.1416.

2 Ibid.

3 Voir par exemple Sudhir HAZAREESINGH. Intellectual founders of the Republic : five studies in nineteenth-century French republican political thought. Oxford : Oxford University Press, 2004.

X-339 p.

Et pour une période ultérieure, Patrice DECORMEILLE. Sources et fondements de la philosophie politique des ‘républicains de gouvernement’. In HAMON, Léo dir. Les opportunistes : les débuts de la République aux républicains. Paris : MSH, 1991. p.17-48.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 68

« La voie nouvelle vers laquelle tend la société »

Les colonies agricoles

Le troisième projet, relatif à la colonisation agricole de la France, reprend quant à lui les propositions des radicaux et de certains socialistes. Il s’agit, toujours selon Flocon, de profiter de la « grande quantité de terrains » disponibles en France pour donner du travail à tous ceux qui en demandent, ouvriers agricoles mais surtout ouvriers de l’industrie en butte au chômage. La question sociale trouve ainsi une solution qui ne bouleverse pas les fondements de la société :

« Nous n’avons pas quant à nous, souligne Flocon, de ces idées qui puissent être formulées de manière à troubler, à porter une atteinte sensible au repos de la société, à ce qui fait aujourd’hui sa force et sa puissance. Nous pensons cependant que ni un gouvernement, ni une assemblée, ni une époque ne peuvent absolument déclarer que l’humanité a dit son dernier mot »1.

Le ministre reste d’ailleurs prudent sur la teneur du projet : certains travaux « peuvent être confiés à de vastes ateliers mobiles », mais il en existe « d’autres, beaucoup d’autres qui, dans une autre mesure, peuvent être l’indication de la voie que le pays doit suivre à l’avenir »2. Exploitation collective des terrains domaniaux, encouragement à la propriété et/ou distribution des terres inoccupées ? Flocon maintient une indétermination qui relève sans doute autant de la composition du gouvernement – deux radicaux pour sept modérés3 – que de considérations stratégiques – il s’adresse à une Assemblée où les conservateurs sont nombreux. Ainsi, quand Leroux s’inquiète du retard pris dans la mise en place des colonies agricoles, il lui répond par la nécessité de l’ « étayer » par les projets de représentation et d’enseignement agricoles, « depuis longtemps réclamés » et « dont l’utilité doit être incontestable aux yeux de tous » :

« Le troisième projet étant d’un autre ordre et devant inaugurer d’une autre façon l’avènement du gouvernement républicain, non plus parce qu’il aurait dû être présenté sous l’ancien gouvernement, mais parce qu’il indique la voie nouvelle vers laquelle

1 Séance du 17 juin 1848. Moniteur universel, 18 juin 1848, p.1416.

2 Ibid.

3 Bastide aux Affaires étrangères, Recurt à l’Intérieur, Trélat aux Travaux publics, Cavaignac à la Guerre, Crémieux à la Justice, Bethmont aux Cultes et Duclerc aux Finances sont des républicains modérés. Flocon à l’Agriculture et au Commerce et Carnot à l’Instruction publique représentent quant à eux la fraction avancée du mouvement républicain. Maurice AGULHON. Op. cit. p.72.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 69 tend la société, ce projet aurait au dehors et ici même moins de chance d’être accueilli et d’être utile s’il avait été isolé. Voilà pourquoi j’ai retardé la présentation de ce projet jusqu’au moment où je pourrais le présenter avec les deux autres »1.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 69 tend la société, ce projet aurait au dehors et ici même moins de chance d’être accueilli et d’être utile s’il avait été isolé. Voilà pourquoi j’ai retardé la présentation de ce projet jusqu’au moment où je pourrais le présenter avec les deux autres »1.