• Aucun résultat trouvé

L’hypothèse culturelle

III - L’anti-citoyen

1) L’hypothèse culturelle

Le poids des préjugés

A ce stade de la réflexion, l’hypothèse la plus vraisemblable consiste à supposer que les républicains des années 1860 ne font que reprendre des représentations sociales alors largement répandues et dotées à leurs yeux d’une grande crédibilité. Convaincus de leur réalité, ils sont bien obligés d’admettre qu’elles leur promettent un avenir politique bien sombre. De fait, l’image de paysans soumis, isolés et tenus à l’écart du progrès technique et des avancées politiques n’est pas l’apanage des républicains. Enquêtes statistiques, rapports des préfets, romans, monographies sociologiques, discours politiques ou sermons des prédicateurs : d’innombrables publications affirment alors l’archaïsme des paysans français1.

Ce dernier paraît donc s’imposer comme un préjugé, somme toute compréhensible si on s’attache à expliquer d’où il provient. A cause de leur position sociale d’abord, les observateurs des campagnes dont nous lisons aujourd’hui les conclusions étaient en effet portés à l’erreur. Issus des classes supérieures, tributaires d’une culture essentiellement urbaine, ils étaient naturellement enclins à négliger la diversité propre au monde rural au profit de sa profonde altérité par rapport au monde des villes. Leur description des campagnes semble ainsi bien souvent se construire par opposition avec la vie urbaine telle qu’ils la perçoivent, dans une antithèse que la répartition géographique des votes semble confirmer : calme, docile, isolé, vivant comme dans le passé, le paysan a tout du double inversé du citadin, agité, insoumis, sociable et résolument tourné vers l’avenir.

La formation intellectuelle et l’héritage culturel de ces élites les incitent en outre à se satisfaire d’une telle représentation des campagnes. L’article que Charles Read consacre aux

1 Voir notamment :

James R. LEHNING. Peasant and French : cultural contact in rural France during the nineteenth century. Cambridge : Cambridge University Press, 1995. 239 p.

Peter McPHEE. Op. cit. p.138 et suiv.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 146 paysans dans le Dictionnaire général de la politique est à ce titre éclairant. Les citations y informent et confirment à la fois les observations empiriques : entre César et La Bruyère, Montesquieu est ainsi invoqué pour attester de l’indifférence politique des paysans d’hier et d’aujourd’hui, dont on rappelle le travail routinier et la « dissémination » géographique : les habitants de la campagne, « trop occupés et trop pleins de leurs affaires particulières, ne sont pas assez jaloux de leur liberté »1. Le savoir du citadin cultivé guide ainsi sa perception et en garantit à ses yeux la validité.

La part du conflit politique

L’intérêt des élites pour le monde rural débouche donc sur un discours qui en dit davantage sur leurs conceptions que sur les paysans eux-mêmes. Pour Susan Rogers, c’est ce qui fait du paysan une « catégorie culturelle » plus qu’une « catégorie sociale composée d’individus observables et dénombrables »2. Et parce qu’il évoque immanquablement la question de son intégration nationale, il est pour elle comme pour James Lehning un

« symbole »3 qui « servit à définir ce que signifiait être Français »4. Dès lors, la description du paysan, quoique consensuelle sur le fond, n’échappe pas au conflit politique : elle est en effet investie de valeurs contradictoires, selon qu’elle infirme ou conforte les représentations qu’on se fait alors du destin de la France.

1 Charles READ. Paysans. In BLOCK, Maurice. Dictionnaire général de la politique. Paris : O. Lorenz, 1873-1874. Tome 2, p.525-526. (Première édition : 1863-1864)

La citation est tirée du chapitre de l’Esprit des lois intitulé « comment la nature du terrain influe sur les lois » : « les gens de la campagne, qui y font la principale partie du peuple, ne sont pas si jaloux de leur liberté ; ils sont trop occupés et trop pleins de leurs affaires particulières ». Charles-Louis Secondat de MONTESQUIEU. De l’esprit des lois. Troisième partie, livre XVIII, chapitre 1.

Une note de l’édition en cédérom des Œuvres complètes et correspondance de Voltaire, qui reproduit également De l’esprit des lois, suggère d’ailleurs qu’il s’agissait déjà chez Montesquieu d’un emprunt à Aristote : « l’humble fortune de l’homme des champs ne lui permet pas de rester oisif et ne lui laisse guère le temps d’assister fréquemment aux assemblées. Forcé de se procurer le nécessaire, il est tout à sa chose, et ne veut point de distractions étrangères. Il préfère ses travaux champêtres au plaisir de commander et de gouverner ; et si les emplois ne sont pas lucratifs, il aime mieux le profit que l’honneur ». ARISTOTE. Politique. Livre VI, chapitre IV.

2 Susan C. ROGERS. Good to think : the « Peasant » in contemporary France. Anthropological quarterly, vol. 60, n°2, avril 1987, p.56-63. L’auteur emploie ainsi l’expression « cultural category » opposée à « social category of observable and countable persons ».

3 Ibid.

4 « They served to define what being French meant ». James R. LEHNING. Op. cit. p.5.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 147 Parce que ses conditions d’existence l’attachent exclusivement à sa localité et à ses intérêts particuliers, le paysan constitue ainsi pour les républicains et les libéraux l’antithèse du Français, chez qui prime au contraire la conscience d’appartenir à la nation. Or le sentiment national se confond selon eux avec le goût des affaires publiques et la passion de la liberté : le « patriote accompli » écrit Saint-Pé, c’est celui qui possède « un esprit suffisamment cultivé, une raison assez pénétrante pour bien comprendre les conditions favorables, ou contraires, de la prospérité publique, ainsi que les rapports de subordination et de solidarité qui relient la destinée individuelle au sort de la communauté », et qui y adjoint

« la passion du bien public, un soin jaloux de l’honneur national, le goût du progrès pour le progrès même », c’est en somme « le citoyen parfait »1. Pour l’opposition libérale et républicaine, la nation ne se réduit donc pas à l’ensemble des individus vivant sur un territoire et sous une même loi, mais désigne une collectivité consciente d’elle-même, et par conséquent prête à l’autonomie : la nation achevée implique la liberté politique2.

A cet égard, les républicains des années 1860-1870 ne sont pas si loin des quarante-huitards que leur analyse du vote rural ne le laissait penser : comme Michelet à la fin des années 1840, ils sont convaincus que seule la conscience nationale fait la nation, qui peut alors, comme une véritable personne, revendiquer ses droits3. S’ils s’en écartent, c’est qu’ils sont désormais convaincus que les quarante-huitards avaient largement surestimé le degré d’intégration nationale des populations : comme le dit Ténot dans un passage déjà cité au chapitre précédent, « ils se figuraient naïvement qu’un peuple que sa religion, ses traditions, ses mœurs, son administration avaient dressé à l’obéissance passive, allait, par l’effet magique de trois mots écrits sur la porte des mairies, se réveiller tout à coup peuple libre et capable de se gouverner »1.

Le constat du retard rural, s’il est présenté par les républicains comme douloureux, n’est donc pas désespéré, au contraire. En insistant sur l’archaïsme que les campagnes

1 D. R. SAINT-PE. Op. cit. p.90.

2 A ce sujet, voir notamment : Nation et République : les éléments d’un débat. Actes du colloque de Dijon, 6-7 avril 1994. Aix-en-Provence : Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1995. 390 p. ; La symbiose de la modernité : République-Nation. Actes de la table ronde du Centre d’études et de recherches d’histoire des idées politiques, 6-7 décembre 1996. Aix-en-Provence : Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1997. 262 p.

3 Jules MICHELET. Histoire de la Révolution française. Paris : F. Rouff, s.d. Tome 2, IX-I, p.879-80.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 148 présentent à tous points de vue, ils expliquent le bonapartisme rural actuel tout en soulignant la nécessité historique de la République. Si les paysans ne sont pas républicains, c’est qu’ils n’ont pas encore suffisamment conscience de leur appartenance à la nation. A ceux qui se plaignent de la réticence des paysans à soutenir la République à nouveau proclamée en septembre 1870, Gambetta répond ainsi en soulignant la faiblesse de leur sentiment national :

« Les paysans sont intellectuellement en arrière de quelques siècles sur la partie éclairée du pays. Oui, la distance est énorme, entre eux et nous qui avons reçu l’éducation classique et scientifique, même imparfaite, de nos jours ; qui avons appris à lire dans notre histoire ; nous qui parlons notre langue, tandis que, chose cruelle à dire, tant de nos compatriotes ne font que la balbutier »2.

Mais tout espoir n’est pas perdu. Le vocabulaire de l’arriération suppose le progrès, certes lent mais irrésistible, qui doit conduire ce peuple « attardé d’un siècle »3 à la conscience de leur appartenance nationale et de leur autonomie, c’est-à-dire à la République : quand les habitants des campagnes se sentiront Français, ils seront républicains. Le terme « paysans » est d’ailleurs si étroitement lié à l’archaïsme, l’ignorance et la soumission aux autorités que certains hésitent à l’employer quand, dans les années 1870, les populations rurales se rallient progressivement à la République. Le commentaire que Maurice Block ajoute à l’article

« Paysans » de Charles Read à l’occasion de la réédition en 1873-1874 du Dictionnaire général de la politique est significatif :

« De nos jours, écrit-il, il n’y a plus de paysans, il n’y a que des cultivateurs.

L’instruction pénètre dans les campagnes, des comices agricoles s’y forment et répandent le progrès et diverses circonstances politiques et religieuses font sentir leur influence dans les villages. Mais il reste encore quelque chose à faire pour élever les populations rurales au niveau désirable »4.

Le paysan moderne, même s’il n’a pas totalement rattrapé le « niveau » des citadins, reste une chose si impossible à concevoir que le mot lui-même doit disparaître au profit d’un terme moins connoté, ici « cultivateur ».

1 Eugène TENOT. Op. cit. p.12.

2 Léon GAMBETTA. Discours prononcé le 26 juin 1871 à la réunion des délégués des comités républicains de la Gironde à Bordeaux. In REINACH, Joseph éd. Discours et plaidoyers politiques de M. Gambetta. Paris : G. Charpentier, 1881-1885. Tome 2, p.15-34.

3 Eugène TENOT. Op. cit. p.13.

4 Paysans. In BLOCK, Maurice. Op. cit. p.526.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 149 Si le paysan des conservateurs présente les mêmes caractéristiques que celui des républicains, il renvoie au contraire à un passé heureux, que le progrès risque d’anéantir.

Quand libéraux et républicains exagèrent l’archaïsme et l’immobilité du monde rural, les conservateurs surévaluent quant à eux la modernisation des campagnes et l’exode rural qui conduisent à la disparition des sociétés paysannes authentiques. Le « tableau des populations rurales » qu’Adolphe Blanqui publie en 1851 en est un bon exemple. Quoique l’auteur semble regretter que « les campagnes demeurent plongées […] dans une immobilité presque absolue », il condamne néanmoins l’effet des rares incursions du progrès dans la France rurale. Quelques années avant que Frédéric Le Play s’en inquiète à son tour1, Blanqui s’émeut ainsi de voir « s’affaiblir tous les jours la simplicité primitive » des paysans pyrénéens « au contact de ce qu’on appelle la civilisation »2. Les migrants du Centre ne sont pas mieux jugés, qui, imprégnés des « vices de nos cités », sont accusés d’avoir « perverti le sens moral des populations rurales »3. L’accélération de l’exode rural sous le Second Empire accroît les inquiétudes. D’innombrables brochures et articles sont alors publiés sur la question de l’« émigration » qui pour les conservateurs rime toujours avec « démoralisation »4.

Innocent préservé des vices de la modernité ou barbare attardé : les termes de l’alternative semblent avoir été esquissés dès la Seconde République. Le commentaire que L’Union propose d’un article de Proudhon, rédigé au lendemain de l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, illustre bien le caractère contradictoire des valeurs attachées à une représentation pourtant semblable du paysan. Sous le titre « les paysans », emprunté à Proudhon, le journaliste reprend en effet le constat du socialiste pour en faire une interprétation diamétralement opposée. Dans son article du 19 décembre 1848, Proudhon expliquait par l’ « ignorance » et l’« isolement » le retard que la population des campagnes avait mis à faire son entrée en politique : insuffisamment informée,

1 Frédéric LE PLAY, Emile CHEYSSON et al. Les Mélouga : une famille pyrénéenne au XIXe siècle.

Textes réunis par Alain Chenu. Paris : Nathan, 1994. 240 p.

2 Adolphe BLANQUI. Tableau des populations rurales de la France en 1850. Journal des économistes, janvier-avril 1851, tome 28, p.9-27.

3 Ibid.

4 On n’en citera que quelques-unes, à titre d’exemples : Abbé HOUPERT. L’émigration des campagnes et en particulier de l’émigration allemande à Paris. Paris : Librairie centrale des sciences, 1857. 228 p. ; Docteur BERTHIER. De la dépopulation des campagnes. Bourg : Milliet-Bottier, 1859.

16 p. ; Paul BOURDIER. De la dépopulation des campagnes. Mézières : Lelaurin, 1860. 12 p.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 150 elle était restée soumise aux anciens notables. Au contraire, son vote en faveur du neveu de l’Empereur témoigne selon lui de « son initiation à la vie nouvelle » : émancipés du curé, du seigneur, de l’usurier, du riche en somme, les paysans auraient ainsi voté Louis-Napoléon Bonaparte contre « l’aristocratie financière »1. Paru le lendemain, l’article de L’Union dit avoir « à constater les mêmes faits, mais justement pour arriver à des conclusions contraires ».

Son auteur affirme en effet comme Proudhon « l’isolement » passé des paysans : « c’est un fait ». Mais il en redéfinit le sens : « c’est-à-dire loin du contact des passions perverses et des utopies anarchiques ». Il admet encore comme lui que le vote du 10 décembre 1848 témoigne du « réveil des paysans ». Mais à ses yeux, cette « action soudaine » ne traduit pas une quelconque hostilité à l’égard des riches : ce qui a motivé le vote rural en faveur de Louis-Napoléon Bonaparte, c’est une « pensée de défense sociale »2. Les deux hommes proposent ainsi une même description du monde rural, mais pour y investir des valeurs politiques totalement antithétiques.

Une confrontation du même ordre sous-tend les discussions suscitées en mai 1850 par le projet de réforme de la loi électorale. Présenté par le gouvernement mais préparé par les chefs de la majorité conservatrice, ce dernier vise, on l’a dit dans le chapitre précédent, à écarter du vote les électeurs des socialistes, dont les quelques succès électoraux récents ont effrayé le Parti de l’ordre3 : à cette fin, et sans porter explicitement atteinte au principe du suffrage universel, il prévoit de porter à trois ans la durée de résidence requise pour être admis au scrutin, ce qui en exclut les ouvriers appelés à se déplacer en fonction du marché du travail et doit favoriser au contraire l’électorat rural4. En dépit de sa vivacité, le conflit auquel il donne lieu entre républicains et conservateurs suppose une vision partagée du monde rural : à

1 Pierre-Joseph PROUDHON. Les paysans. Le Peuple, 19 décembre 1848, p.1.

2 Les paysans. L’Union, 20 décembre 1848, p.1.

3 Aux élections partielles du 10 mars 1850, le département de la Seine avait élu Hippolyte Carnot, ainsi que deux journalistes socialistes, Paul de Flotte et François Vidal. Ce dernier ayant préféré le Bas-Rhin, où il avait été aussi élu, une nouvelle élection partielle est organisée le 28 avril 1850. Elle donne encore la victoire à un socialiste : Eugène Sue.

4 Pour une étude approfondie des circonstances dans lesquelles la loi a été proposée et votée, voir : Paul RAPHAEL. La loi du 31 mai 1850. Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1909-1910, tome XIII, p.277-304 et tome XIV, p.44-79 et 297-331.

Robert BALLAND. De l’organisation à la restriction du suffrage universel en France (1848-1850). In DROZ, Jacques dir. Réaction et suffrage universel en France et en Allemagne (1848-1850). Paris : Rivière, 1963. p.67-173.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 151 gauche comme à droite, on est convaincu que les paysans constituent une population enracinée, isolée, tenue à l’écart des idées nouvelles qui s’échangent dans les villes. Ce qui fait débat au contraire, c’est le jugement porté sur cette situation.

Pour le ministre de l’intérieur, Baroche, qui vient présenter le projet à l’Assemblée nationale, il faut préserver et encourager un état de fait susceptible d’assurer dans les élections

« le triomphe du bon droit et de la raison ». La réforme électorale lui paraît remplir parfaitement cet objectif en favorisant l’électeur rural : « vous protégerez son honnêteté, quelquefois son ignorance ; vous éloignerez de lui ceux qui tenteraient de l’égarer ou de le corrompre »1. Le paysan représente en effet aux yeux des conservateurs le « vrai peuple », que Thiers oppose dans un discours resté célèbre aux « vagabonds », à la « vile multitude » qu’il désire exclure du corps électoral2. Les quelques légitimistes qui s’élèvent contre la loi le font au nom des mêmes principes, articulés à une même vision du monde rural. Eux aussi sont convaincus qu’il faut favoriser le « bon habitant de la campagne »3, qui forme selon Bouhier de l’Ecluse « la meilleure partie de la population, la plus saine, la plus vertueuse, la plus dévouée aux grands principes qui seuls peuvent assurer l’ordre, la prospérité et le salut des sociétés »4. Mais parce que le paysan est « isolé », « seul dans la ferme, dans la chaumière », ils craignent qu’il reste ignorant des démarches nécessaires à son inscription sur les listes électorales – le projet de loi prévoit en effet de réserver le droit de vote à tous ceux qui sont inscrits au rôle de la contribution personnelle ou qui, hébergés par leurs parents ou patrons, auront été déclarés par ces derniers comme domiciliés chez eux depuis au moins trois ans :

« les uns ne connaîtront pas la loi, les autres seront indifférents, les autres ne sauront pas écrire, les autres ne pourront pas trouver de témoins »5. C’est donc pour préserver l’électorat rural qu’ils mettent en garde leurs amis conservateurs : « vous aurez, avertit le baron de la Rochette, affaibli d’un côté ce que M. Léon Faucher appelait avec beaucoup de raison l’armée du mal, et vous aurez diminué, de l’autre, dans une proportion égale, et pour mon compte,

1 Séance du 8 mai 1850. Moniteur universel, 9 mai 1850, p.1576.

2 Séance du 24 mai 1850. Moniteur universel, 25 mai 1850, p.1805.

3 La Rochejaquelein, séance du 29 mai 1850. Moniteur universel, 30 mai 1850, p.1859.

4 Ibid. p.1866.

5 Ibid. p.1860.

Chloé Gaboriaux – Le paysan français, un enjeu idéologique au XIXe siècle – Thèse IEP de Paris – 2008 152 j’en suis convaincu, dans une proportion plus considérable, ce que je puis appeler avec autant de raison l’armée de l’ordre, l’armée de la société, l’armée du bien »1.

Sédentarité, isolement, ignorance : les républicains ne disent pas autre chose des campagnes. Mais c’est pour en déplorer l’archaïsme et conclure à l’anachronisme du projet de loi. Aux yeux d’un Jules Grévy, la « vertu moralisatrice du domicile » dont Thiers fait l’éloge n’a plus cours : « cette pensée qui peut avoir du vrai appliquée à certaines époques, à certaines nations, aux nations exclusivement agricoles, par exemple, serait fausse et trompeuse si elle s’appliquait aux nations commerçantes et industrielles, chez lesquelles les nécessités du travail et des affaires entraînent des mouvements, des déplacements incessants ; chez lesquelles l’activité, le déplacement, le mouvement de la population est une des conditions, un des éléments de prospérité nationale »2. A la fin de l’année 1851, Victor Chauffour condamne en des termes analogues un projet qui vise à transposer la loi du 31 mai 1850 aux élections communales :

« Dans ce siècle de la vapeur, des chemins de fer, des grandes institutions de crédit, vous imaginez, quoi ? De nous donner pour type de l’honnête homme, l’homme qui n’a jamais perdu de vue le clocher de son village, celui qui est tout pénétré, tout imprégné de ce que vous avez plaisamment appelé l’esprit communal »3.

La représentation du paysan semble ainsi polariser les impatiences et les craintes liées

La représentation du paysan semble ainsi polariser les impatiences et les craintes liées