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2. Cadre théorique

2.5 Le positionnement énonciatif

• « Le charisme messianique » : caractérisé par une « figure qui excède le quotidien de l’humain, avec sa part d’ombre et de lumière » (Charaudeau, 2015) ;

• « Le charisme césariste » : caractérisé par la figure du battant qui fait usage de sa puissance et de son autorité, voire s’il le faut de la force ;

• « Le charisme énigmatique » : caractérisé par la figure du séducteur ;

• « Le charisme du sage » : caractérisé par la figure du sage voire du père protecteur ; celui qui représente l’idéal humain, au-delà de toutes les contradictions ;

• « Le charisme alma mater » : caractérisé par un pouvoir d’attraction sur le peuple ; il est notamment incarné par des femmes.

(Charaudeau, 2015) Nous voyons par conséquent que le charisme peut se manifester de différentes manières et le leader peut faire usage de l’une ou l’autre selon le but recherché ou le public auquel il s’adresse. Cela ne fait pas exception dans le domaine politique.

Comme nous l’avons déjà évoqué, il faut distinguer le « charisme de fonction et d’autorité » du « charisme magique ». L’homme politique va jongler avec ces charismes et changer sa posture et ses figures en fonction de l’auditoire qu’il s’agit de convaincre. Il va de plus naviguer entre deux types de discours, à savoir un discours pragmatique et ferme et un discours à valeur hautement symbolique. (Charaudeau, 1999).

Nous voyons que l’homme politique acquiert une légitimité par sa fonction et par son pouvoir qui influe sur les citoyens notamment à travers son discours ; cette légitimité est renforcée par un charisme quasi magique qui crédibilise sa position de leader et ses prises de parole.

2.5 Le positionnement énonciatif

Afin de comprendre les prises de position de l’homme politique dans le discours, ses stratégies discursives, penchons-nous sur le positionnement énonciatif du politicien et des médias.

Plusieurs auteurs s’intéressent à la production dialogique et interactionnelle des énoncés et aux postures qui permettent de comprendre les enjeux de la communication, base de toute interaction :

Rabatel, dans Positions. Positionnements et postures de l’énonciateur (2012) évoque en profondeur ces notions notamment à travers la distinction, dans tout acte de locution, de deux sujets d’énonciation et de deux niveaux de prises en charge. En effet,

nous le savons, tout acte de langage est un acte de communication entre un émetteur et un récepteur et entre les deux circule un message. Mais la réalité est un peu plus complexe. Comme le souligne Rabatel (2012), il y a des « énonciateurs premiers » et des « énonciateurs seconds » qui habitent le discours. A partir de ce postulat, il distingue deux niveaux de prise en charge et deux sujets au sein du discours. Les premiers sujets vont assumer la prise en charge direct du discours ; les seconds vont assumer « la fonction d’instances internes de validation » (Rabatel, 2012). Nous remarquons que nous avons plusieurs niveaux d’énonciation au sein d’un même discours, des jeux et stratégies de positionnements vont se mettre en place, tels que le dédoublement ou le redoublement énonciatifs.

Il est important de souligner la distinction que Rabatel (2012) fait entre locuteur et énonciateur. Le locuteur est défini comme la première instance, celle qui va faire le travail de production des énoncés ; à l’inverse, l’énonciateur est la « source des points de vue qui s’expriment à travers les prédications de contenus propositionnels dans un énoncé » (Rabatel, 2012). Nous constatons qu’un croisement s’effectue entre deux notions : celle du point de vue et celle de position. L’énonciateur va exprimer ses points de vue en effectuant des « opérations énonciatives » (Rabatel, 2012) qui peuvent être prises en charge par le locuteur. Maury-Rouan, Vion & Bertrand dans Voix de discours et positions du sujet : dimensions énonciative et prosodique (2007) évoquent entre autres les diverses positions du locuteur et de l’énonciateur au sein du discours et particulièrement à travers la notion de dialogisme, à savoir que le sujet parlant n’est pas le producteur de ce qu’il dit, soit de son énonciation. De ce fait, un énoncé est une réponse à d’autres énoncés antérieurs.

Les auteurs recherchent donc ces autres voix au sein d’un discours. Pour cela, ils s’intéressent à la notion de polyphonie (qui relève du dialogisme) lorsqu’il y a

« différents sujets au sein des productions langagières du locuteur » (Maury-Rouan, Vion & Bertrand, 2007). Il s’agit sur ce point de distinguer trois types de sujets : le sujet parlant, le locuteur et l’énonciateur. Parfois, les énonciateurs sont clairement identifiés à travers notamment le discours rapporté direct, parfois c’est à travers la notion de point de vue ; les énonciateurs peuvent cependant ne pas être clairement identifiables.

Une multitude d’énonciateurs, parfois au sein d’un même discours, peuvent exister à travers la notion de polyphonie. Les auteurs résument ces points ainsi :

« […] Les énonciateurs sont des êtres intradiscursifs censés s’exprimer à travers l’énonciation d’un locuteur. Ils peuvent être identifiés et relèvent alors de diverses formes de discours rapporté. Ils peuvent être non identifiés mais cependant identifiables si l’interlocuteur parvient à reconstruire la source de ces opinions. Ils seront cependant le plus souvent non identifiables. Enfin, ces mêmes énonciateurs peuvent manifester des points de vue sans que, pour autant, on puisse leur attribuer des mots précis ».

(Maury-Rouan, Vion & Bertrand, 2007) Les auteurs soulignent également que la polyphonie peut se construire à travers

« l’adoption successive » et donc par la superposition de plusieurs points de vue identifiables ou non (Maury-Rouan, Vion & Bertrand, 2007).

Cette notion de superposition de plusieurs points de vue clairement identifiables ou à l’inverse peu ou pas identifiés revient également chez Rabatel (2012). L’auteur évoque de fait un « entrelacement des voix et des points de vue » avec cette notion

d’énonciateurs premiers et d’énonciateurs seconds. Il indique qu’il faut dès lors s’interroger, à chaque énoncé, à chaque discours, sur la source et la position, mais aussi sur la hiérarchie des points de vue (Rabatel, 2012).

Le tableau suivant, inclus dans l’ouvrage de Rabatel (2012) permet de synthétiser cela :

Figure 1 : Tableau des instances de prises en charge (Rabatel, 2012)

Ces notions de positionnement questionnent sur la manière dont elles vont être mises en place au sein même du discours et à travers l’usage de certaines marques linguistiques. Maury-Rouan, Vion & Bertrand (2007) évoquent en effet la construction linguistique des énoncés et par voie de conséquence la notion de position de ces énoncés à travers la prosodie, à savoir les expressions se traduisant par l’énonciation.

Les auteurs distinguent trois niveaux : le niveau métrique, soit l’accent ou encore l’alternance entre les syllabes ; le niveau tonal, l’intonation de la voix ; et le niveau temporel, soit le rythme de parole, le débit, présence ou absence de pauses dans le discours (Maury-Rouan, Vion & Bertrand, 2007). Pour étudier la prosodie, ils consacrent leur corpus d’analyse aux interviews de deux jeunes filles.

Ils étudient de manière approfondie les positionnements pris par ces deux personnes ainsi que les marques linguistiques présentes dans leurs interviews, et ce selon les trois niveaux évoqués précédemment. En conclusion, les auteurs constatent qu’une majeure partie du discours est visible. Ils remarquent également des changements fréquents dans les attitudes du locuteur, des modifications fréquentes de points de vue et donc de voix ainsi que la présence de marques prosodiques. Plusieurs énonciateurs et plusieurs points de vue sont donc clairement identifiables dans tout discours. Ces notions nous permettent d’analyser de manière plus précise les interactions, notamment les interactions sociales, et les locuteurs ; comme le souligne Rabatel :

« Les locuteurs, qui ne sont pas que des êtres de papier, ni des entités abstraites, adoptent des positions, des positionnements, des postures qui rendent compte d’enjeux communicationnels, cognitifs et (inter)actionnels » (Rabatel, 2012). Cette analyse permet de nous intéresser, notamment à travers la polyphonie, sur le positionnement choisi par l’homme politique lors d’une prise de parole.

Nous l’avons déjà évoqué, l’homme politique, par la communication, va chercher à manipuler les citoyens pour récupérer des voix électorales. Que ce soit à l’aide de stratégies de persuasion, de séduction, d’émotion, etc., le politicien cherche par tous les moyens possibles à convaincre son auditoire ; le politicien est dans la performance ; son discours est un acte performatif. A la lumière de stratégies de positionnement, il semble donc pertinent de s’intéresser aux positionnements énonciatifs du politicien sur la scène politique. Pour ce faire, nous nous sommes basées en majeure partie sur l’article Quand la politique change de scène : une analyse de la construction de l’identité discursive d’acteurs politiques à « Tout le monde en parle » d’Ebacher & Lalancette (2012) ainsi que sur l’article d’Ollivier-Yaniv Discours politiques, propagande, communication, manipulation (2010). L’article de cette dernière permet de cerner le positionnement des hommes politiques parfois à la limite de la manipulation des citoyens, sans que ces derniers en aient réellement conscience, à travers l’usage, au sein même du discours, de marques linguistiques appelant à l’émotionnel plutôt qu’au rationnel. Le rôle que jouent ces politiciens, à des fins de séduction et/ou de manipulation de l’auditoire, s’inscrit dans cette logique de performance des acteurs politiques.

Nous pouvons distinguer trois scènes de performance : la scène politique et institutionnelle, la scène privée et la scène publique et populaire (Ebacher &

Lalancette, 2012). Ebacher & Lalancette s’intéressent aux positionnements énonciatifs des acteurs politiques principalement sur la scène publique. En effet, les auteurs vont approfondir la performance des acteurs politiques sur la scène médiatique et plus particulièrement à la télévision, à travers des stratégies discursives et d’identité discursive, notamment de leurs stratégies de présentation de soi. Dès le début de leur article, les auteurs expliquent qu’avec l’apparition des médias et en particulier du médium tv, les politiciens vont opter sur la scène publique pour une « autopromotion de soi » et la recherche de « bonnes grâces » (Ebacher & Lalancette, 2012). Avec des émissions de type infotainment, mélange d’informations et de divertissement, les acteurs politiques doivent s’adapter et opter pour une posture entre l’univers politique et la culture populaire ; pour ce faire, le politicien choisit diverses stratégies discursives. Afin de présenter les multiples stratégies utilisées, les auteurs analysent des interviews télévisés de la version québécoise de « Tout le monde en parle », avec un panel de 77 acteurs politiques participant à l’émission (Ebacher & Lalancette, 2012). Une grille d’analyse est établie, sur la base de cinq stratégies de présentation de soi :

1. Autopromotion 2. Bonnes grâces 3. Exemplification 4. Intimidation 5. Supplication

Plusieurs conclusions sont tirées. Les auteurs remarquent tout d’abord que les politiciens ont tendance à mélanger plusieurs des trois scènes mentionnées. Ils vont, au sein de leur discours, mélanger la sphère politique avec la scène privée, en répondant par exemple avec un élément de leur vie privée à une question qui était purement politique. Pour les auteurs, cette manière de faire relève d’une stratégie de positionnement de la part de ces politiciens afin de leur permettre de se présenter sous plusieurs aspects et non uniquement sur celui politique, dans une stratégie évidente

de captation des voix et de séduction ; mais aussi pour instaurer un certain « équilibre contrôlé entre la scène politique, la scène privée et la scène publique » (Ebacher &

Lalancette, 2012).

Par rapport aux cinq stratégies de présentation de soi, nous remarquons que les politiciens vont, dans toutes leurs prises de paroles, mettre en avant leurs succès, leurs titres et leur carrière politique. Cette stratégie d’autopromotion de soi est fréquemment utilisée et couplée avec un volet de séduction de l’auditoire à travers

« […] l’endossement du rôle de père ou de mère de famille, de conjoint(e), d’ami(e) » (Ebacher & Lalancette, 2012).

La figure paternaliste est alors mise au premier plan, à l’inverse de la figure politique qui ne devient que secondaire. Pour ces acteurs, ce qui compte est alors de mettre en avant leur quotidien de « commun des mortels » et de finalement créer une sorte de communion avec l’auditoire, dans une stratégie d’assimilation et de proximité avec l’autre. L’homme politique se présente alors comme un homme « normal » semblable aux autres, mais qui a « une tâche à accomplir et des responsabilités à assumer » pour le bien de la communauté (Ebacher & Lalancette, 2012). Les deux stratégies les plus fréquemment utilisées sont l’autopromotion et les bonnes grâces ; en effet, toujours dans un souci de performance sur les trois scènes, les acteurs politiques « […] s’assurent, d’un côté, d’apparaître comme étant compétents et, de l’autre côté, comme étant sympathiques ; d’un côté, ils veulent parvenir à imposer le respect et, de l’autre côté, à créer le lien » (Ebacher & Lalancette, 2012). Ces acteurs vont ainsi mettre en avant des arguments bien évidemment à leurs avantages et autopromotionnels, tout en discréditant dans la mesure du possible leurs adversaires.

Les stratégies argumentaires s’inscrivent fréquemment voire tout le temps dans une stratégie comparative de l’adversaire. Un rapport de force constant s’inscrit entre deux politiciens, de deux manières. Soit les politiciens se mettent en avant, se comparent de manière positive à l’autre, en vantant leurs succès. Soit, au contraire, ils choisissent d’attaquer frontalement l’adversaire. Ce qu’ils recherchent alors ce n’est pas l’autopromotion mais le discrédit de l’autre de manière directe et à charge. Dans cette seconde option, l’agenda politique n’est plus primordial (Ebacher & Lalancette, 2012).

Néanmoins, les auteurs relèvent que les politiciens choisissent rarement la seconde option et préfèrent une stratégie d’autopromotion, afin de ne pas montrer une image négative.

L’analyse de ces deux articles nous a permis de constater que les hommes politiques vont adopter des postures, notamment par leurs argumentaires, dans un but performatif et in fine de captation de l’électorat.

Afin de comprendre ces enjeux de positionnement, intéressons-nous également aux discours journalistiques et à leurs positionnements énonciatifs.

Dans Discours journalistiques et positionnements énonciatifs : frontières et dérive (Charaudeau, 2006), l’auteur distingue le contrat de communication médiatique du contrat d’énonciation journalistique. Il explique en préambule que tout échange entre deux personnes est un contrat de communication qui peut être publicitaire, politique, médiatique, etc. Il souligne ensuite que le contrat d’énonciation va différer du contrat médiatique dans le sens où le contrat d’énonciation « […] correspond à la façon dont l’énonciateur journaliste met en scène le discours d’information et l’adresse d’un destinataire imposé en partie par le dispositif et en plus imaginé et construit par lui » (Charaudeau, 2006). Ce qui nous semble surtout pertinent de relever c’est la

distinction que l’auteur fait entre l’énonciateur journalistique et l’énonciateur politique dont nous avons parlé longuement précédemment. A l’inverse du discours politique, où l’énonciateur cherche à séduire et à se construire une certaine puissance et une certaine crédibilité, le discours journalistique va quant à lui se baser uniquement sur des affirmations : c’est un discours purement explicatif. Ainsi, le positionnement du journaliste devrait, si l’on considère qu’il n’y a aucune dérive, se situer dans une stratégie de crédibilité sans restriction à l’égard des lecteurs (Charaudeau, 2006).

Toutefois, il paraît peu sensé de ne pas imaginer, au-delà du pur enjeu informatif, quelques dérives du journaliste dans un but de captation. En ce sens, l’auteur conclut que :

« Le positionnement du journaliste énonciateur ne doit pas être évalué à la seule aune des marques d’énonciation explicite qu’il emploie. […] Le positionnement du sujet énonciateur, d’abord n’est pas toujours manifesté de façon explicite, et peut même jouer sur des apparences trompeuses en ayant l’air de s’effacer dans l’instant même où il impose son point de vue en assignant certaines places à son destinataire. Son positionnement dépend d’un ensemble de procédés discursifs (descriptifs, narratifs, argumentatifs) et d’un ensemble de mots dont le sémantisme est révélateur de son positionnement au regard de certaines valeurs, le tout en rapport avec les conditions situationnelles de production ».

(Charaudeau, 2006) Pour approfondir notre réflexion sur la posture journaliste, il nous semble pertinent d’analyser la spécificité de l’énonciation des locuteurs profanes par opposition aux locuteurs experts, cette théorie permettant un élargissement par la suite à notre cas d’étude. Pour ce faire, nous avons lu l’article L’énonciation profane dans le débat sur l’énergie nucléaire en Suisse du Professeur Amey (2002). L’auteur base son analyse sur le courrier des lecteurs en Suisse ; ce type de support est choisi car il représente les discours de non-spécialistes. Le constat que fait d’entrée de jeu l’auteur est l’«

hétérogénéité des stratégies énonciatives » (Amey, 2002) puisque qu’il y a une opposition entre les discours des experts et ceux des profanes ; les non-spécialistes vont devoir user de stratégies énonciatives diverses. Amey (2002) distingue trois rôles de profane :

• Le « profane autodéclaré » qui se sait dans une position inférieure dans son discours et en use et en abuse pour se présenter comme une « émanation d’une base populaire et citoyenne » ;

• Le « profane générique » qui se place au-delà de la dichotomie expert vs non-expert pour représenter un « méta-énonciateur » ; il s’adresse par conséquent aux hommes ou aux citoyens en termes très généraux ;

• Le « profane autodidacte » ne parle que pour lui ; il met en avant ses qualités personnelles et ses compétences de réflexion et d’analyse.

(Amey, 2002) Au-delà du positionnement, l’énonciateur va adopter diverses stratégies pour arriver à ses fins, telles qu’une stratégie d’adhésion au discours des experts ou à l’inverse de

contestation, des stratégies d’atténuation ou d’escalade du conflit, et/ou des stratégies de proximité ou de distanciation (Amey, 2002).

Ces rôles sont endossés dans un but de séduction du lectorat, ils sont fondamentaux et omniprésents dans le courrier des lecteurs. Il est important de souligner que le courrier des lecteurs relève du dialogisme pur. La plupart du temps, les interventions réagissent à des interventions antérieures ; en ce sens, nous pouvons penser que le courrier des lecteurs est assimilable à un débat de type politique (Amey, 2002). Les stratégies utilisées par les locuteurs experts ou profanes prennent donc tout leur sens pour notre cas d’analyse.