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4. Méthodologie

4.3 Choix du médium

Nous pouvons également nous pencher sur la posture légitime du locuteur en nous basant sur l’apport théorique d’Amey (2002) qui distingue trois types de profanes, représentant alors nos trois variables pour cette dimension :

1. Le profane autodéclaré : le locuteur occupe dans ce cas une position basse dans le discours ; il va utiliser cette position pour se présenter comme une émanation de la base citoyenne.

2. Le profane générique : le locuteur a sur ce point une figure de méta-énonciateur ; il va s’adresser à un « nous » collectif au détriment d’un « je » individuel.

3. Le profane autodidacte : le locuteur ne parle que de lui. Il construit son discours de manière à se mettre en avant et à vanter ses qualités personnelles et ses compétences.

En conclusion, notre grille d’analyse, à travers ces diverses dimensions, nous permet d’aborder les discours prononcés par les élus populistes de manière précise et méthodique. Nous pouvons recenser les stratégies langagières de ces élus et le type de populisme et/ou le type de charisme qui caractérisent le leader. Nous pouvons ensuite comparer les usages qu’en font nos deux élus et voir si les stratégies d’activation du pathos sont utilisées ou non.

4.3 Choix du médium

Dans le cadre de ce travail de recherche, il nous a semblé particulièrement pertinent de choisir le médium télévision. En effet, nous avons remarqué que les chaînes de télévision se sont appropriés l’événement et l’ont relaté heure par heure, minute par minute. Pour analyser les interventions des élus populistes, ce médium nous semble donc être le choix optimal.

Comme nous l’avons souligné dans la partie Cadre théorique (partie 2 du travail), les médias garantissent une excellente couverture médiatique aux événements.

Arquembourg (2003) explique le lien important entre événement médiatique et espace public démocratique. Nous comprenons qu’à travers un événement médiatique va se mettre en place une expérience publique. Les médias captent l’événement – sans pour autant le dénaturer – et le retranscrivent fidèlement aux téléspectateurs. Les retransmissions télévisées en direct sont le médium idéal pour cela. Pour qu’il y ait un événement, il faut que les faits soient connus ; les médias permettent de garantir cette connaissance (Neveu & Quéré, 1996) et notamment la télévision à travers les retransmissions en direct et/ou en différé. Il faut néanmoins préciser que les médias

ne vont pas créer de manière artificielle des événements médiatiques. Toutefois, par leur manière de les traiter et leur recherche, ils créent en continu « une faim d’événements » (Neveu & Quéré, 1996). Depuis la retransmission en direct du couronnement d’Elizabeth II dans les années 50, les médias ont pris une importance considérable dans la narration et la construction des événements. Ce phénomène a pris de l’ampleur pour devenir une habitude généralisée (Arquembourg, 2003).

Dans la construction de ces événements médiatiques, deux étapes sont à relever. Tout d’abord, la survenance de l’événement, qui va provoquer l’intérêt d’un public. Puis, ce public mais surtout les médias vont s’approprier cet événement. A ces deux acteurs, s’ajoutent les hommes politiques qui font leur apparition sur la scène médiatique. Ils s’approprient également l’événement et s’expriment en direct dans l’espace public, à travers la télévision qui leur assure une plateforme de dialogue plus directe et simplifiée avec leur auditoire que dans le cadre politique habituel (Arquembourg, 2003). Le choix de la télévision, dans le cas présent, prend donc tout son sens, et particulièrement dans le cadre de la crise des Gilets Jaunes, où nous le verrons, la couverture médiatique fut particulièrement intense.

Nous le constatons, la télévision est un médium important pour la construction et la narration des événements, spécialement les chaînes d’informations et encore plus les chaînes d’informations en continu qui diffusent les événements de manière continue et en direct mais, avec comme corollaire, une routinisation des événements.

Arquembourg (1996) prend l’exemple du traitement médiatique de la guerre du Golfe.

CNN notamment a couvert l’événement à travers des directs, des flashs spéciaux, etc.

en routinisant au quotidien les informations relatives à la guerre. Avec ce procédé, la chaîne a pu couvrir toute l’information et tout le conflit, en s’adaptant à toutes les situations et en évitant de passer à côté d’une information cruciale.

L’information en direct et en continu permet de fragmenter l’événement en « micro-intrigues » et par conséquent de construire une trame narrative autour de ce dernier (Arquembourg, 1996). Le téléspectateur est plongé dans une tension continue, avec un enchaînement de réactions et de « coups stratégiques » destinés à être au plus près de l’information (Arquembourg, 1996).

Avec un événement tel que le mouvement des Gilets Jaunes, qui se déroule sur plusieurs mois, nous comprenons toute la nécessité d’établir une couverture en direct et en continu qui permet d’être au plus proche de l’action, de routiniser l’événement, mais également de recueillir témoignages et avis à chaud.

C’est pour ces raisons que nous avons choisi comme cadre d’analyse les prises de paroles des élus populistes sur les chaînes d’information en continu. Pour concentrer notre analyse, nous avons décidé de nous intéresser à ces prises de paroles sur la chaîne française BFM TV. Cette chaîne nous est apparue comme un choix évident de par sa notoriété et sa couverture médiatique de l’événement en question.

Revenons tout d’abord brièvement sur la chaîne de télévision en elle-même. BFM TV apparaît dans le paysage médiatique français en novembre 2005, en voulant proposer une information très réactive à l’actualité (Les Echos, 2015). Ce n’est pas la première chaîne d’informations en continu. Il existait déjà d’autres chaînes telles que LCI (Les Echos, 2015). Cependant, BFM TV va très vite monter en puissance, en couvrant certains événements à fort potentiel médiatique comme l’affaire DSK ou les

dramatiques attentats en France tels que celui de l’Hypercacher (Les Echos, 2015).

La chaîne se distingue par son hyper réactivité mais aussi son omniprésence sur le terrain à travers la mise en place de duplex et d’éditions spéciales. Nous voyons que le mode de fabrique de BFM TV est de construire des événements à la manière du marketing (L’OBS, 2016). Dans sa construction et son approche de l’information, Devars (2015) souligne que :

« Plus frénétique, en direct et plus spectaculaire, l’information sur BFMT TV se métamorphose et rompt avec les codes énonciatifs classiques des chaînes hertziennes. L’information made in BFM TV est celle qui accorde plus de place à l’actualité qu’à une grille de programmes stricte ».

Cette métamorphose se traduit notamment par la manière dont vont être abordés les événements sociaux ou politiques : la chaîne s’éloigne des traitements traditionnels de l’information pour une « politique spectacle » (Devars, 2015). Dans cette perspective, la captation du téléspectateur est l’objectif numéro un ; cette stratégie de séduction va donc se caractériser par la diffusion d’une multitude d’images et d’informations, évidemment toujours en direct pour caler au plus proche de la réalité (Devars, 2015). Les politiciens l’ont évidemment bien compris : BFM TV devient alors une plateforme privilégiée pour leurs interventions en direct (Devars, 2015). Comme le souligne l’auteur : « Les acteurs politiques désireux d’accéder à une plateforme visible doivent ainsi s’adapter à BFM TV et à sa façon de transformer chaque fait en un événement et en une histoire » (Devars, 2015). Dans ce contexte, il s’agit pour les élus de jouer à ce jeu médiatique, de participer à ce storytelling que construit la chaîne.

Nous constatons que cette manière de faire et les règles établies par BFM TV sont tout à fait applicables au traitement médiatique de la crise des Gilets Jaunes.

En 2019 l’INA – la revue des médias - a réalisé une étude sur la couverture médiatique de cette crise et notamment sur la couverture faite par des chaînes d’information en continu dont BFM TV. L’étude s’est tout d’abord intéressée à la couverture médiatique des journaux télévisés. Il est ressorti qu’entre novembre 2018 et mars 2019, un sujet sur cinq était consacré à la crise des Gilets Jaunes, avec par ailleurs un pic en décembre avec 842 sujets durant ce mois (INA, 2019).

Figure 3 : Graphique indiquant le nombre de sujets relatifs aux Gilets Jaunes à la TV

Les recherches ont démontré également que la crise des Gilets Jaunes permettait d’aborder plusieurs thématiques sociétales telles que la politique, la sécurité ou l’économie (INA, 2015). Ces thématiques ont surtout été abordées à travers de nombreuses prises de paroles qui ont – avec les images des manifestations – permis de construire le récit de l’événement. L’étude recense en effet un nombre de prises de parole très important sur BFM TV pour commenter l’actualité, avec 1204 prises de parole condensées sur sept semaines (INA, 2015).

BFM TV a suivi la stratégie de traitement de l’information de la chaîne notamment en donnant la parole à des experts, des journalistes et des hommes politiques, que ce soit lors de duplex en plateau ou alors sur les lieux-mêmes des manifestations (L’OBS, 2016).

Pendant cette période sur BFM TV, plus de 450 intervenants ont pris la parole (INA, 2015). Nous retrouvons bien évidemment des manifestants et figures des Gilets Jaunes, des experts mais aussi et surtout des politiciens tels que les membres du gouvernement ou diverses personnalités politiques. Sur la figure 4, Marine Le Pen arrive en troisième position, suivie de Jean-Luc Mélenchon en sixième position des personnalités ayant fait le plus d’apparitions télévisées en lien avec cette crise (INA, 2015).

Figure 4 : Graphique du classement des personnalités ayant fait le plus d’apparitions TV

Nous comprenons tout d’abord que BFM TV a été une plateforme de choix pour les personnalités politiques qui désiraient s’exprimer sur le sujet ; nous observons ensuite que BFM TV a joui d’une forte présence médiatique de l’événement puisque la chaîne a assuré de nombreux directs lors des manifestations et événements relatifs. A relever toutefois que pour certains, la présence de BFM TV a été qualifiée de surprésence et qu’une surreprésentation du temps d’antenne a été octroyée aux Gilets Jaunes sur cette chaîne. Mercier (2019) réfute cette surprésence de la chaîne notamment en soulignant l’objectif légitime de communication de la part des politiques et plus particulièrement du gouvernement.

Par son traitement médiatique mais également sa couverture, BFM TV nous est donc apparu naturellement comme un choix optimal pour la présente analyse. Et d’autant plus que les prises de parole des politiciens ont été en nombre sur cette chaîne, et ce notamment des deux personnalités qui nous intéressent pour notre analyse, à savoir Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.