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6. Analyse des résultats et discussion

6.3 Analyse comparative et discussion

légitime puisque nous avons remarqué la présence d’indicateurs relevant de la posture du profane générique (1er décembre 2018) et du profane autodéclaré (26 novembre 2018). A nouveau, les indicateurs ne sont pas présents en suffisance et de manière systématique pour opter pour l’une ou l’autre de ces postures

6.3 Analyse comparative et discussion

Maintenant que nous avons regroupé et synthétisé les analyses des prises de parole de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen, il nous semble pertinent de croiser ces résultats afin de répondre aux hypothèses formulées au début de ce travail de recherche, et ce en regard de notre cadre théorique.

6.3.1 Stratégie de pathémisation

Comme nous l’avons évoqué dans la partie 2 du travail, il est difficile de se pencher sur les effets induits par l’usage de l’émotion dans le discours (Charaudeau, 2000). En revanche, la tâche semble plus aisée quand il s’agit de comprendre les effets visés par les discours de type pathémique (Charaudeau, 2000). Dans nos diverses analyses des prises de parole de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen, il a été en effet plutôt évident d’observer la présence de stratégies pathémiques dans les discours de l’un et l’autre, bien que nous ne sommes pas en mesure de savoir quelles furent les réactions de l’auditoire, récepteur de ces discours.

Comme le souligne Chabrol (2000), les « effets perlocutoires » peuvent être induits par le choix des arguments, l’ordre de disposition ou les mots utilisés. A cet effet, nous avons remarqué autant chez l’un que chez l’autre la présence de termes ou de mots à forte connotation pathémique que ce soit sur l’axe émotionnel de l’ordre de l’agréable (« bonheur », « gentil », etc.) ou celui de l’ordre du désagréable (« souffrance »,

« colère », etc.). Parfois les mots sont neutres et ne sont pas intrinsèquement porteurs d’émotion mais deviennent des émetteurs d’émotions en raison du contexte dans lequel ils sont prononcés (Charaudeau, 2000). Nous l’avons remarqué systématiquement dans les six prises de parole. Les deux élus populistes ont en effet compris la tension extrême de cette crise et la souffrance des Gilets Jaunes et du peuple français de manière générale par rapport à l’augmentation du coût de la vie, en l’occurrence de la taxe sur le carburant. L’un et l’autre ont profité de cette situation sociale difficile, en construisant des discours adaptés au contexte pour susciter une forte émotion : par exemple quand Jean-Luc Mélenchon dit que les français ont atteint la limite de ce qu’ils peuvent supporter et qu’ils n’en peuvent plus, ou quand Marine Le Pen évoque le fait que les Gilets Jaunes se sentent humiliés et qu’ils ne peuvent financièrement et physiquement plus faire face.

Les deux politiciens ont utilisé des déclencheurs langagiers d’émotion, les triggers, à chacune de leurs prises de parole et ont systématiquement amplifié (Mimésis) leurs propos que ce soit à travers des répétitions de mots ou de phrases ou à travers l’usage de superlatifs.

Nous avons remarqué chez l’un et chez l’autre la présence des mêmes variables répertoriés dans notre grille d’analyse pour le concept Stratégie de pathémisation, à l’exception des variables Mythification et Présentation et Représentation de l’émotion qui toutes deux n’apparaissent pas dans les discours de Marine Le Pen.

Nous pouvons donc affirmer que ces deux politiciens populistes recourent aux mêmes stratégies langagières d’activation du pathos dans leurs discours et ce à des fins de séduction et de manipulations de l’auditoire captif.

6.3.2 Positionnement énonciatif

L’analyse des discours prononcés par Marine Le Pen et par Jean-Luc Mélenchon sur BFM TV entre le 26 novembre 2018 et le 2 décembre 2018, montrent des positionnements énonciatifs systématiquement équivalents.

A chaque intervention, les deux élus populistes ont adopté un positionnement vis-à-vis du pouvoir et un positionnement vis-à-vis-à-vis-à-vis du peuple, d’après notre grille d’analyse.

Comme nous l’avons expliqué longuement dans la partie Retranscription et résultats, les deux élus remettent systématiquement en question la légitimité du pouvoir en place et in fine les personnalités qui représentent ce pouvoir, soit le Président de la République, le premier ministre, le ministre de l’Intérieur et plus largement le gouvernement de manière générale.

Que ce soit avant le fameux samedi noir dit l’« Acte III » des Gilets Jaunes, ou après, ces personnalités politiques ont senti que la crise remettait en cause la légitimité du pouvoir en place et sa capacité à gérer la crise à laquelle il devait faire face. Ils l’ont compris, et en jouent de manière stratégique en s’attaquant à chaque fois soit aux personnes qui incarnent ce pouvoir, en remettant en question les décisions et les stratégies adoptées, soit directement le pouvoir en remettant en cause son existence, la manière dont il est organisé et même la politique et son fonctionnement de manière générale. Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen adoptent donc les mêmes stratégies de positionnement pour remettre la légitimité du pouvoir en cause mais aussi, et ils en profitent, pour se profiler et se mettre en avant politiquement. Nous constatons cette attitude dans toutes les prises de parole de Jean-Luc Mélenchon et dans le long entretien que Marine Le Pen a accordé à Jean-Jacques Bourdin. En effet, sur ses prises de paroles, les deux élus attaquent le pouvoir et les politiciens au pouvoir de manière personnelle, avec respectivement des arguments ad hominem et ad personam et parallèlement adoptent des stratégies de présentation de soi, au sens d’Ebacher & Lalancette (2012). De fait, les deux élus recourent à une stratégie d’autopromotion de soi. Cela passe alors par la mise en avant de leurs propres programmes politiques, de leurs combats, des solutions qu’ils proposent et de la valorisation de leurs compétences personnelles.

La seule différence que nous avons pu constater dans leur positionnement énonciatif est la mise en place d’un positionnement vis-à-vis d’un devoir-faire que nous retrouvons de manière assez présente chez Jean-Luc Mélenchon, lorsqu’il évoque notamment Mai 68 ou la Révolution française. A l’inverse, cette notion n’est pas présente dans la stratégie discursive de Marine Le Pen.

6.3.3 Partis populistes

Comme nous l’avons évoqué dans la deuxième partie de notre travail de recherche (cadre théorique), il est difficile d’apposer une seule et unique définition ou signification au populisme, bien qu’il semble y avoir un trait commun à tout type de populisme, à savoir l’opposition entre riches et pauvres sur la base de discours la plupart du temps

démagogiques (Taguieff, 1997). Nous avons constaté ces deux points à travers notre analyse. En effet, tant Marine Le Pen que Jean-Luc Mélenchon s’emploie à rejeter les élites françaises au profit des couches populaires. Ils ont tous les deux constamment pris parti pour le peuple français dans sa signification la plus primaire et ce en opposition aux élites, aux « riches ». Cependant, et consécutivement à ce que nous venons d’évoquer, il a été difficile d’identifier un type de populisme relatif à la typologie proposée par Taguieff (1997). De la même manière qu’il est difficile de calquer un type donné sur chaque politicien, il est encore plus difficile de trouver un type de populisme commun à Jean-Luc Mélenchon et à Marine Le Pen.

Toutefois, le type de populisme le plus présent dans les six interventions confondues est le populisme-mouvement, avec comme indicateurs principaux le nationalisme et la protestation : quasiment systématiquement, les deux élus populistes adoptent le même comportement, à savoir la priorité au peuple français et la protestation contre le pouvoir et le gouvernement en place.

6.3.4 Communication conflictuelle

Au vu des observations faites aux points 6.1.4 et 6.2.4, il nous semble évident que le leader de La France Insoumise et la leader du Rassemblement National usent tous deux du discours polémique au sein de leurs prises de parole. Ils tentent tous les deux de disqualifier leur adversaire en utilisant des arguments ad personam, le discours rapporté et l’ironie. Bien que les autres indicateurs ne se retrouvent pas systématiquement chez l’un et/ou l’autre, nous pensons malgré tout qu’ils adoptent sur ce point la même posture et font usage et l’un et l’autre d’une communication dite conflictuelle.

6.3.5 Légitimité

Charaudeau dans son ouvrage Le charisme comme condition du leadership (2015) s’intéresse à la question du leadership en politique qui implique forcément la présence d’un leader au charisme incontesté. L’auteur évoque à cet effet cinq types de charisme qui peuvent être tour à tour utilisés par le leader en fonction du public auquel il s’adresse (Charaudeau, 2015). Cela confirme le fait que nous n’avons pas pu identifier un seul type de charisme caractérisant l’un ou l’autre des leaders car plusieurs types de charisme sont mélangés.

Néanmoins, notre analyse permet de déduire l’existence d’un charisme « commun » bien qu’il ne soit pas le seul à les définir : à chaque prise de parole (sauf celles de Marine Le Pen du 1er et 2 décembre) le charisme césariste, caractérisé notamment par l’usage de l’ironie et le fait de parler au nom du peuple, est présent. Ces deux indicateurs se rencontrent chez l’un et l’autre des politiciens.

De la même manière, nous avons examiné les postures légitimes adoptées par les élus dans un but de séduction, à travers trois types de postures, le profane autodéclaré, le profane autodidacte et le profane générique (Amey, 2002).

Comme pour le type de charisme, il a été difficile de distinguer un seul type de profane pour chaque intervention.

Nous avons cependant remarqué la présence d’indicateurs relevant du profane générique chez Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen lors de leurs interventions

respectives du 1er décembre et du 2 décembre, à savoir l’interpellation et l’usage d’un devoir-faire.

6.3.6 Réponses à nos hypothèses

A travers l’analyse et les constats que nous venons de faire, il nous semble évident que nos deux hypothèses tendent à se confirmer.

En effet, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont recouru lors de leurs prises de parole en lien avec l’« Acte III » des Gilets Jaunes qui remettaient en cause la légitimité d’exercice du pouvoir, aux mêmes stratégies d’activation du pathos pour toucher et émouvoir l’auditoire captif. En effet, et nous l’avons dit, autant l’un que l’autre a utilisé les variables activant le pathos, répertoriées dans notre grille d’analyse : la variable de connivence, l’usage de mimésis, de triggers, etc.

De la même manière, nous constatons que face à un événement qui remet en cause la légitimité du pouvoir, ces leaders de partis populistes ont exploité cet événement en adoptant des positionnements énonciatifs équivalents, à savoir un positionnement vis-à-vis du peuple avec l’usage d’arguments ad personam et un positionnement vis-vis-à-vis du pouvoir avec l’usage d’arguments ad hominem.

Bien que nous n’ayons pas pu trouver un type de populisme et un concept de légitimité (charisme et posture légitime) communs, nous voyons que ces deux leaders populistes adoptent les mêmes stratégies d’activation du pathos et les mêmes positionnements énonciatifs.

En ce sens, nous pouvons confirmer et corroborer nos deux hypothèses. Ainsi, le citoyen est l’enjeu de ces stratégies de manipulation et de séduction qui visent in fine à capter des voix électorales.