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ASPECTUALITÉ ET TEMPORALITÉ EN BULGARE

4. Quelques paradigmes temporels

4.2.1. Le parfait résultatif

La définition proposée par Guentchéva (1990 : 149) se veut indépendante de tout critère relevant des modes d’action. Le parfait résultatif exprime fondamentalement

« l’état attribué au sujet de la relation prédicative. Il [ce dernier] est adjacent au processus accompli qui lui a donné naissance. La valeur définie comme parfait résultatif est plutôt caractéristique de la forme perfective, ce qui n’exclut pas la forme imperfective. »

Deux facteurs importants interviennent dans l’étude de cette valeur : le

89 La valeur de reconstruction sera examinée très brièvement. Il s’agit d’un processus reconstruit à partir d’indices, et des coordonnées comme le contexte et le savoir extra-linguistique doivent également être considérées. Pour ce qui est de la valeur de parfait « admiratif », son appréhension n’entraîne pas le consensus : elle est considérée soit comme l’une des valeurs des formes médiatives, soit comme une variante « émotionnelle » des formes non médiatisées.

160 sémantisme du prédicat et la distinction entre construction transitive et construction intransitive.

En fonction de ces critères, plusieurs sous-valeurs du parfait résultatif sont examinées par Guentchéva. Nous les illustrons par nos propres exemples. Nous présenterons d’abord les types de parfait résultatif dans lesquels les parfaits sont de forme perfective et renvoient à des états engendrés par des processus accomplis et achevés :

- état acquis : constructions avec un participe en -l formé sur l’aoriste d’un verbe perfectif transitif ;

- état résultant : constructions avec un participe tiré de l’aoriste d’un verbe perfectif intransitif ;

- état conséquent : constructions employant un verbe transitif ou intransitif.

Ces parfaits de forme perfective ont comme caractéristique fondamentale l’achèvement. En dernier lieu sera examiné le parfait de forme imperfective, dont la valeur est celle d’état résultatif.

4.2.1.1. État acquis

Examinons l’exemple suivant :

(74) Kakăv e toja : s edno oko. Gospod go belezal.

quel est celui-là avec un œil Dieu le marqué.PPa

Po-daleko ot takiva...

plus loin de tels

− Nemoi, majčice, grexota e da govoriš taka.

non mère péché est da parles.PRÉS.impf ainsi Toj postradal ot turci, bil i na zatočenie. Turci il souffert.PPa de Turcs été et en exil Turcs méd. méd.

sa mu izvadili oko-to.

sont à-lui arrachés.PPa œil-art.

« Et comment il est ! avec un œil. Dieu l’a marqué. Au plus loin on est de tels individus…

« − Arrête, mère, c’est un péché de parler comme ça. Il a souffert à cause de Turcs, a aussi été en exil. Des Turcs lui ont arraché l’œil. »

(Dimităr Talev, Prespanskite kambani) La forme soulignée sa izvadili indique que le processus de transformation a

161 atteint son terme. Puisque celui-ci est conçu comme accompli et achevé, il en résulte d’une part un événement et, de l’autre, un état adjacent à l’événement qui le précède. Le processus de transformation a affecté le personnage : il n’a qu’un œil.

De ce fait, une analogie pourrait être établie entre la construction transitive izvaţdam okoto au parfait et la forme passive okoto e izvadeno, « l’œil est arraché ».

L’exemple ci-dessus illustre la valeur d’état acquis du parfait : la forme perfective signifie « la constatation que le sujet énonciateur fait de l’état bien particulier de l’objet/patient » (Guentchéva 1990 : 152). Le processus de transformation a conduit à un état ; ce processus reste secondaire par rapport à l’état adjacent qui en résulte.

Lorsque ce type de parfait est utilisé pour insister sur le processus lui-même, il exprime un événement et sa valeur est comparable à celle de l’aoriste.

La forme belezal, compte tenu de l’absence de l’auxiliaire, est-elle une forme médiative ? Son sémantisme oriente vers une lecture inférentielle : on voit que la personne a perdu un œil et on énonce comme hypothèse plausible l’action de Dieu qui a laissé une empreinte sur son visage. La valeur d’inférence sera examinée aussi bien dans le cadre du parfait bulgare qu’au moment d’évaluer l’aptitude du passé composé français à exprimer cette valeur.

4.2.1.2. État résultant

Considérons les quelques exemples qui suivent :

(75) − Ami nie sme se zagubili! Po tija ulici ne sme part.én. nous sommes réfl. perdus.PPa par ces rues nég. sommes minavali… […]

passés.PPi

− Viţdam, viţdam, če ste sbărkali.

vois vois que êtes trompées.PPa

« − Mais nous nous sommes perdues ! Nous ne sommes pas passées par ces rues…

Je vois, je vois que vous vous êtes trompées. »

(Dimităr Talev, Ilinden) (76) Ne me e daruval mene godpod s deca, ama i az

nég. me est donné.PPai/i moi Dieu avec enfants mais et je

162 săm izrasăl vo familia xristijanska.

suis grandi.PPa dans famille chrétienne

« Dieu ne m’a pas donné d’enfants, à moi, mais j’ai grandi, moi aussi, dans une famille chrétienne. »

(Dimităr Talev, Prespanskite kambani) (77) Toj e učitel, majko, i e došăl ot čuţdo mjasto.

il est professeur mère et est venu.PPa de autre endroit

« Il est instituteur, mère, il est venu d’ailleurs. »

(Dimităr Talev, Prespanskite kambani) (78) Što ti e? Bolna li si? Otslabnala si. Da

quoi à-toi est malade part.inter. es maigrie.PPa es da idem v Bitolja da te vidi nekoj lekar.

allons à B. da te voit.PRÉS.pf quelque médecin

« Qu’est-ce que tu as ? Tu es malade ? Tu as maigri. Allons à Botolja pour qu’un médecin te voie. »

(Dimităr Talev, Prespanskite kambani)

À l’instar des formes transitives, le parfait construit au moyen du participe issu de l’aoriste d’un verbe perfectif intransitif indique un état qui se trouve en concomitance avec la situation d’énonciation. Le processus, présenté comme accompli et achevé, se situe dans le réalisé. Par la forme perfective, on signale l’impossibilité d’envisager le processus comme se poursuivant au-delà de son terme. On peut représenter cette valeur du parfait de la manière suivante (ici, T indique le terme du processus et l’état engendré est validé dans l’intervalle hachuré) :

[ ]//////////////////[

T=Tf T0

Le test proposé pour différencier l’état acquis de l’état résultant consiste en la possibilité d’ajouter le syntagme prépositionnel composé de ot suivi d’un substantif non déterminé ayant la fonction de circonstanciel de cause. Ainsi, on peut ajouter à otslabnala si, forme de parfait à valeur d’état résultant qu’on trouve dans le quatrième exemple, ot trevoga, « d’inquiétude » ot griţi, « de soucis ». On trouve dans ce dernier exemple l’indication de l’« obtention progressive de l’état affectant l’argument du prédicat » (Guentchéva 1990 : 156),

163 des exemples du type toj e ostarjal, « il a vieilli », kosite mu sa pobeleli, « ses cheveux ont blanchi », peuvent en être rapprochés.

4.2.1.3. État conséquent

Dans l’exemple qui suit, la forme du parfait comporte des valeurs similaires à celles d’état acquis et d’état résultant : le processus prédicatif est antérieur à la situation d’énonciation et donne naissance à un état adjacent :

(79) Ţeni-te sa ot diavol-a… Deto vleze ţena…

femmes-art. sont de diable-art. là-où entre.PRÉS.pf femme

− De, de... Ŕ pobutna go Glaušev s lakăt. Ŕ Da ne bi az da part.én. poussa.A.pf le G. avec coude comme si je da săm trăgnal s djavol-a!

suis parti.PPa avec diable-art.

« Les femmes sont du diable… Là où entre une femme… »

− Allons, allons… Ŕ dit Glaušev en le poussant légèrement du coude. Ŕ Je ne suis quand même pas parti avec le diable ! »

(Dimităr Talev, Prespanskite kambani) (80) Njama da spreš ptička-ta, kojato veče e litnala.

aux.FUT.nég. arrêtes.PRÉS.pf oiseau.dim.-art. qui déjà est envolée.PPa

« Tu n’arrêteras pas l’oiseau qui s’est déjà envolé. »

(Dimităr Talev, Glasovete vi čuvam) (81) Toj e zagovoril/približil nepoznat.

« Il a abordé (adressé la parole à)/s’est approché d’un inconnu. » Il s’agit, comme on le voit, de parfait résultatif. La différence par rapport aux deux formes précédemment illustrées réside dans le fait que début et terme du processus coïncident. De plus, il n’y a aucune indication d’obtention progressive, d’un état par le sujet de la relation prédicative. Il s’agit d’un processus ponctuel accompli et achevé, directement lié au moment de l’énonciation.

De par leur appartenance formelle, certaines formes verbales impliquées dans ce type de valeur peuvent être considérées comme transitives (voir notamment le dernier exemple, qui n’est pas tiré de la littérature mais que nous avons forgé) ; cependant, elles ne possèdent pas toutes les caractéristiques sémantico-syntaxiques d’un verbe transitif. Ces constructions ne peuvent pas être

164 transformées à la forme passive : *Nepoznat e zagovoren/pribliţen est difficilement énonçable en bulgare. La défectivité des formes, c’est-à-dire l’absence de contrepartie passive, qui découle de leur valeur lexicale, est une propriété spécifique de ce type de verbes. De plus, lorsqu’ils comportent l’élément réflexif se, ils peuvent fonctionner comme des verbes intransitifs : on observe une coïncidence sémantique entre forme verbale réflexive et forme verbale non réflexive.

4.2.1.4. État résultatif

Il s’agit d’examiner ici le parfait issu de formes imperfectives. Voici quelques exemples :

(82) − Az ne moga da pravja banici.

je nég. peux da fais.PRÉS.impf banitsi

− Ne moţeš… ne si se učila. Ti si učila kniga.

nég. peux nég. es réfl. étudiée.PPai tu es étudiée.PPai livre

« − Je ne sais pas faire des banitsi90.

− Eh oui, tu ne sais pas… tu n’as pas appris. Tu as étudié dans les livres. »

(Dimităr Talev, Prespanskite kambani) Les deux occurrences du parfait imperfectif učila si signalent que le processus est accompli mais n’apportent pas d’indication sur son achèvement.

Dans les deux cas, le processus peut se poursuivre.

Pour mettre en lumière la différence de valeur des formes perfectives et imperfectives du parfait, prenons l’exemple suivant, où un même verbe est employé d’abord à la forme imperfective et ensuite au perfectif91 :

(83) − E, koj ti e kriv Ŕ podxvărli Avram Nemtur. Ŕ Da si učil.

eh qui à-toi est coupable lança.A.pf A. N. da es étudié.

PPi

− Kolkoto săm naučil, mene mi stiga Ŕostro prozvantja combien suis appris.PPa à-moi me suffit tranchant sonna.A.pf glas-ăt na Benkov.

voix-art. de B.

90 Sorte de feuilleté, généralement au fromage, souvent cuisiné en Bulgarie.

91 Exemple emprunté à Gorgatchev (2003 : 8).

165 «− Alors, à qui la faute Ŕ lança Avram Nemtur. Ŕ Si tu avais étudié…

Ŕ Ce que j’ai appris me suffit Ŕ sonna la voix tranchante de Benkov. » (Dimităr Talev, Ţeleznijat svetilnik/La Lampe de fer) La valeur d’achèvement du processus n’est pas toujours perceptible par la traduction, mais dans cet exemple elle est suggérée par le contexte droit immédiat : mene mi stiga, littéralement « à moi me suffit », construction à complément d’objet redoublé, dénote l’achèvement, ou plutôt la volonté d’achèvement, du processus. Le processus « apprendre »92 ne se poursuit plus, et c’est le contexte qui nous apporte des indications sur son interruption.

4.2.2. Valeur d’expérience