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La conformité aux instructions grammaticales de l’original

« figures de traduction »

5. La conformité aux instructions grammaticales de l’original

L’évaluation d’une traduction n’implique pas seulement la détermination de l’appartenance de l’original à un genre textuel mais également la prise en considération des normes strictement linguistiques auxquelles obéit le texte-source Ŕ instructions sémantiques, lexicales, grammaticales et stylistiques Ŕ et des moyens dont dispose la langue-cible pour les reproduire. Les paramètres extralinguistiques doivent également être examinés. Il s’agit

« d’examiner en détail les manifestations dans la version-cible du processus de traduction, envisagé comme la recherche d’équivalents pour les unités de traduction définies dans la langue-source »40.

La traduction est ainsi définie par Reiss comme « la recherche d’équivalents potentiels suivie du choix de l’équivalent optimal » (2002 : 71), choix dépendant aussi bien de l’insertion du mot dans le contexte linguistique (le vocable isolé pouvant être polysémique, c’est le contexte qui fige la signification et détermine le choix de traduction) que des instructions extra-linguistiques, situationnelles. C’est la situation de parole qui permettra de fixer une unique signification parmi plusieurs possibles, d’actualiser l’emploi d’un terme en conformité avec les habitudes langagières des locuteurs de la langue-cible.

On voit combien, dans l’optique traductologique, la notion d’équivalence est problématique. Les tentatives de la qualifier Ŕ potentielle, optimale ou adéquate Ŕ soulignent la perplexité des traducteurs et des théoriciens de la traduction devant cette prétendue équivalence ainsi que l’absence de critères précis pour la définir.

Nous préférons ne pas parler d’équivalence, ou de recherche d’équivalences, mais confronter les originaux avec leurs traductions en nous appuyant sur l’existence, dans le système du bulgare, de la notion d’aspect, et évaluer les

40Reiss (2002 : 69) précise, en s’appuyant sur Otto Kade, qu’il ne faut entendre par unité de traduction ni unité lexicale, ni unité syntaxique, mais une unité de sens ; en outre, ce qui détermine le découpage d’un texte en unités de sens ne sont pas seulement les structures de la langue-source mais aussi le micro-contexte.

74 possibilités de manifestation de cette notion dans les textes traduits. L’aspect développé dans la morphologie verbale du bulgare n’étant pas exprimé de la même manière en français, il est légitime de se demander où et comment il se manifeste et dans quelle mesure son existence dans la langue de l’original est susceptible de déterminer les décisions des traducteurs.

Nous examinerons plus en détail les traductions du point de vue de la prise en considération des instructions grammaticales, et plus précisément aspectuelles et temporelles, imposées par l’original. Il s’agira de se prononcer sur la compréhension juste, probe, des déterminants grammaticaux du texte-source et sur leur restitution adéquate en langue d’arrivée, en évaluant la conformité aux particularités morphologiques et syntaxiques de la langue-cible. Le critère de correction grammaticale doit en effet s’appliquer aux deux termes de l’analyse Ŕ texte original et texte d’arrivée Ŕ, la correction étant, dans le premier cas, envisagée comme compréhension juste de l’original et, dans l’autre, comme expression conforme au système linguistique d’arrivée.

Sera considérée comme écart non justifié, non nécessaire (et donc qui aurait pu être évité), toute transformation découlant d’un choix temporel ou aspectuel que le système linguistique d’arrivée n’exige pas, pour laquelle on ne décèle aucune raison d’être strictement linguistique.

Nous nous proposons, dans les analyses ultérieures, de nous focaliser sur les rapports entre traduction, aspectualité et temporalité, sur les démarches traductives qu’ils peuvent déterminer, sur les cas d’intraduisibilité que le traducteur doit affronter. Ce point de départ implique la description de certains paradigmes temporels des deux langues en vue de dégager les valeurs qui leur sont associées. Il s’agira ensuite de relever et d’analyser les appréhensions différentes des événements, les cas de conceptualisations divergentes dans l’espace verbal.

Accorder une attention particulière aux instructions grammaticales des textes bulgares est un choix qui découle d’une part de la visée de ce travail Ŕ il ne s’agit pas à proprement parler de critiquer les traductions existantes et un critère

75 peut alors être envisagé avec plus d’acuité que d’autres41 Ŕ et, de l’autre, de la spécificité du système aspecto-temporel de cette langue. D’une remarquable complexité, il mérite qu’on l’examine avec précision et qu’on lui consacre les pages qui vont suivre afin de situer l’examen des traductions dans un cadre théorique bien défini.

Nous présenterons d’abord les mécanismes de l’aspectualité en bulgare pour nous interroger ensuite sur les possibilités d’application de concepts issus du domaine slave aux langues romanes et au français en particulier. Mais auparavant, il est indispensable de définir la notion d’aspect en développant les distinctions à opérer entre aspectualité lexicale et aspectualité verbale.

41 Parmi les critères intra-linguistiques, Reiss (2002) distingue les instructions d’ordre sémantique, les instructions d’ordre lexical, les instructions grammaticales, les instructions stylistiques ; l’auteur place dans le cadre des déterminants extra-linguistiques la référence à la micro-situation, la référence à la matière traitée, la référence au temps, la référence au lieu, la référence au récepteur, la marque du sujet parlant, les implications d’ordre affectif. Les déterminants intra-linguistiques sont considérés comme une catégorie linguistique de la critique des traductions, alors que les déterminants extra-linguistiques ont le statut de catégorie pragmatique.

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CHAPITRE III.