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SÉMANTIQUE VERBALE

4. Axes énonciatifs

Marqueurs de types d’énonciation, les formes temporelles ne sont pas exploitées de la même manière et avec la même finalité dans les différents registres qu’elles structurent. Un rapide aperçu des conceptions différenciant les registres ou coordonnées énonciatifs permettra de situer avec davantage de précision la question des temps verbaux non seulement d’un point de vue temporel et aspectuel mais aussi en fonction de leur aptitude à participer à l’élaboration de la textualité d’un ensemble cohérent de phrases.

4.1. « Plan du discours » vs « plan de l’histoire »

Benveniste (1966 : 238) oppose le « plan du discours » au « plan de l’histoire ». Le premier, parole subjective, emploie librement toutes les formes personnelles du verbe et tous les temps (les principaux temps impliqués étant le présent, le futur et le parfait) à l’exception de l’aoriste, « banni aujourd’hui de ce plan d’énonciation alors qu’il est la forme typique de l’histoire » (p. 243). Le second exclut toute forme linguistique « autobiographique » et est poursuivi uniquement avec les formes des 3e personnes. Quant à l’expression temporelle, elle est structurée au moyen de l’aoriste, de l’imparfait (y compris le conditionnel), du plus-que-parfait et du prospectif. Le présent en est exclu, « à l’exception Ŕ très rare Ŕ d’un présent intemporel tel que le présent de définition » (p. 239). Sont également exclus de ce plan le parfait et les futurs simple et composé. Situés sur le

99 plan de l’histoire, « les événements semblent se raconter eux-mêmes » (p. 241), ce qui correspond à une perspective objective et impersonnelle.

4.2. « Discours » vs « Récit »

La distinction établie par Benveniste est reprise par Weinrich, qui l’exprime en recourant aux termes Beschprechen, « discours » et Erzählen, « récit ». La différence fondamentale entre les deux positions réside dans le refus de Weinrich d’attribuer aux temps un rôle temporel et modal. À titre d’exemple, même le passé simple, selon l’approche de Weinrich, ne marque pas le passé, son unique rôle étant celui de signaler qu’on est en présence de récit. Très pragmatique et extrême, cette position ne voit dans les temps que des « signes obstinés », répétant toujours, de façon redondante, d’une phrase à l’autre ou à l’intérieur d’une phrase, la même information, et suggérant au destinataire l’attitude à adopter par rapport au contenu en fonction de leur appartenance au besprochene Welt, « mode commenté », ou au erzählte Welt, « mode raconté ». L’opposition entre l’imparfait et le passé simple est explicitée selon la présence ou non de « relief » : le passé simple possède le trait [+relief] alors que l’imparfait est le terme non marqué de l’opposition.

4.3. « Registre énonciatif » vs « registre du non-actualisé »

Considérant que les distinctions habituellement opérées ne sont pas à même de s’appliquer au système aspecto-temporel du bulgare, et en particulier à la description de l’aoriste, Guentchéva (1990 : 43-50) oppose le registre énonciatif au registre du non-actualisé. Dans le registre énonciatif où s’inscrivent des événements repérables par rapport à la situation d’énonciation, des relations aspectuelles comme la distinction entre l’accompli et l’inaccompli peuvent être exprimées par des temps comme le parfait et le plus-que-parfait.

Les événements non repérables par rapport à l’origine temporelle dépendant de l’énonciateur se placent dans un autre registre qui est « en rupture » par rapport au registre énonciatif. Il s’agit du registre du non-actualisé.

100 L’appréhension de ces deux registres nécessite la définition de deux types de structures, la structure de succession, comparable à une structure chronologique, et la structure énonciative. Il est important de signaler, pour le fonctionnement d’un événement situé dans le registre du non-actualisé, la nécessité de son insertion dans une chaîne, une série d’événements, événements qui à l’origine ne sont pas reliés aux repères temporels dépendant de l’énonciateur.

La structure de succession, dans laquelle les événements ne peuvent pas se chevaucher, peut caractériser les deux registres, le registre énonciatif et le registre du non-actualisé. En revanche, dans la structure énonciative, compatible uniquement avec le registre énonciatif, il peut y avoir chevauchement d’événements, phénomène qui permet par ailleurs de représenter la valeur du parfait : « état résultant mené jusqu’à un certain accomplissement ou un achèvement ».

4.4. « Sphère de distanciation » vs « sphère de non-distanciation »

Appliquées au bulgare, les deux dimensions énonciatives peuvent également être définies en termes de « sphères » (Feuillet 1996 : 93) : ainsi, à la sphère de non-distanciation, comprenant les temps morphologiquement apparentés au groupe du présent (présent, parfait, futur, futur antérieur) et fonctionnant selon une double opposition d’accomplissement d’une part (présent et futur appartenant au non-accompli, parfait et futur antérieur, à l’accompli) et de repère temporel (présent et parfait faisant partie du « centre », futur et futur antérieur, de l’ « ultérieur »), s’oppose la sphère de distanciation, dotée d’une structure plus complexe. Une troisième opposition y figure, l’opposition de dynamisme impliquant l’imparfait et l’aoriste, à côté de l’opposition d’accomplissement où l’imparfait s’oppose au plus-que-parfait et le futur conditionnel au futur conditionnel antérieur, et de l’opposition de repère temporel, dans laquelle les deux temps futurs mentionnés s’opposent à l’imparfait, à l’aoriste et au plus-que-parfait, les premiers appartenant à l’ « ultérieur » et les seconds, au « centre ». Ne participant pas à l’opposition de phase (ou d’accomplissement), l’aoriste demeure isolé.

101 Les temps relevant de la sphère de non-distanciation (à l’exception du parfait qui nécessite un traitement particulier), choisis pour faire référence à l’actualité du locuteur, « indiquent que la situation temporelle du procès n’est pas antérieure à son expression linguistique », ils dénotent des événements aussi bien concomitants au moment de l’énonciation que postérieurs à celui-ci. En ce qui concerne les temps de la distanciation, ils sont considérés comme « les temps de base du récit » et s’emploient dans les romans historiques ou dans les nouvelles dues à la plume d’un romancier et non d’un historien (relatant donc une histoire romancée, puisque leur utilisation n’est pas possible s’il s’agit de l’histoire vraie).

Avec la valeur de « passé réel », ils permettent de « situer les procès dans un moment antérieur à celui de l’énonciation », ils représentent « un signal explicite de l’antériorité des événements par rapport au nunc » (Feuillet 1996 : 100).

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CHAPITRE IV.