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SECTION I : ETAT DE L’ART

I.2. Gestes, intonations et mots en interaction

I.2.3. Marques morphosyntaxiques

2.3.1. Le paragraphe intonatif

2.3.1- 1- Définition du paragraphe intonatif

Le paragraphe intonatif est l’unité à l’oral qui est identifiée par la chute de la mélodie sur la syllabe finale.

MOREL M.-A., 2010, (La déflexivité…) - Concernant l’unité d’analyse de l’oral, la phrase n’étant pas — c’est un fait bien connu — une unité d’analyse pertinente à l’oral, c’est le paragraphe intonatif que je retiens. Il est identifié par la chute de la mélodie (souvent associée à une chute de l’intensité) sur la syllabe finale (Morel & Danon-Boileau 1998).

2.3.1- 2- Les composants du paragraphe oral

Le paragraphe intonatif est composé de deux constituants : le préambule et le rhème :

MOREL M.-A., 2010, (La déflexivité…) - le paragraphe intonatif est […] analysable en deux grands constituants (intonatifs et discursifs), de nature et de fonction différentes, issus de la décondensation des marques énonciatives, des modalités et des constructions référentielles : le préambule et le rhème. […]

Selon Morel, le préambule est le constituant initial du paragraphe intonatif. Il est composé de plusieurs éléments qui véhiculent dans leur ensemble la construction d’une base consensuelle pour ce qui va suivre dans le rhème :

MOREL M.-A., 2010, (La déflexivité…) - Le préambule du paragraphe intonatif est […]

composé de plusieurs éléments qui disposent, chacun, d’un rôle énonciatif et coénonciatif bien défini, en fonction des anticipations que fait le parleur des réactions possibles de l’écouteur, des connaissances partagées, des divergences possible, etc.

Les éléments qui composent le préambule sont les suivants : le ligateur ; le point de vue ; le modus dissocié ; le cadre et enfin le support lexical disjoint. Nous allons parler brièvement de chaque composant, ci-dessous :

Le ligateur

Le ligateur fait le lien entre l’énoncé à venir et son contexte. Il se situe à l’initiale du préambule. Des mots comme donc, mais, et, parce que, tu vois, en fait… sont des ligateurs.

Morel distingue des ligateurs énonciatifs, des ligateurs discursifs et des ligateurs balises : MOREL, M.-A., 2004, - Les ligateurs se subdivisent en trois grandes classes :

o les ligateurs énonciatifs qui explicitent l’état de la coénonciation: tu vois, écoute

o les ligateurs discursifs qui construisent des liens de nature anaphorique (parce que, par exemple …)

o les ligateurs balises qui soulignent les articulations de la structure textuelle (tout d’abord, et puis …) (p. 338)

Le point de vue et le modus dissocié

Le point de vue présente le marquage subjectif du point de vue du parleur ou indique une source autre de l’énonciation :

MOREL M.-A., 2010, (La déflexivité…) - On retrouve là […]

- marquage subjectif du « point de vue » du parleur (moi, pour moi, moi pour moi) - ou indication d’une source autre de l’énonciation (il paraît, elle dit…).

Ainsi, le point de vue propre au parleur met en jeu des marques de formulation :

- Le point de vue propre du parleur se manifeste dans des constructions très décondensées et par la présence de marques de travail de formulation.

Alors qu’un point de vue autre lequel le parleur rejette se manifeste par des variations mélodiques :

- Un point de vue autre auquel il ne souhaite pas s’associer se manifeste au contraire par un changement de plage mélodique, vers le haut dans le dialogue à bâtons rompus, vers le bas (en incise) dans le débat.

De la même façon que le point de vue, le modus dissocié peut aussi expliciter la nature de la modalité incidente à ce qui va suivre. De plus, il peut détenir une valeur épistémique ou appréciative explicite :

Le « modus dissocié » peut aussi détenir une valeur épistémique (c’est vrai, je trouve…) ou appréciative (fantastique, heureusement…) explicite ; il est dans tous les cas marqué par une mélodie montante sur la finale de l’élément modal.

Le cadre et le support lexical disjoint

En fin de préambule on trouve les constituants référentiels thématiques. Ils définissent progressivement ce sur quoi va porter le segment qui va suivre, donc le rhème.

MOREL M.-A., 2010, (La déflexivité…) - Le cadre a pour rôle propre de délimiter un ensemble de champs événementiels ou de zones de sens, ouvrant la classe paradigmatique de tous les rhèmes pouvant leur être associés. A sa suite, le support lexical disjoint, placé immédiatement avant le rhème, et nécessairement repris par un pronom auprès du verbe du rhème, correspond à la construction d’un objet de discours dans une zone de sens déjà constituée.

Le préambule, qui présente le début de l’énoncé, a ainsi besoin du rhème qui est le deuxième constituant du paragraphe et aussi le segment qui le suit le préambule, dans la plupart des cas.

Comme l’explique Laurent Danon-Boileau (2010), l’intonation montante sur la syllabe finale du début d’énoncé marque

DANON-BOILEAU, L., 2010, - « l'inachèvement, la dépendance de ce segment par rapport à celui qui le suit ». (p. 41)

Le rhème est le constituant du paragraphe intonatif où l’énonciateur énonce son point de vue différencié par rapport à la position qu’il prête au coénonciateur. Un ponctuant peut occuper la fin du rhème :

MOREL M.-A., 2004,

- Le rhème est généralement très bref. Le rhème se définit en fait comme constituant dans lequel l’énonciateur énonce un point de vue différencié par rapport à la position qu’il prête au coénonciateur. Il peut être terminé par un ponctuant (« quoi », « hein »,

« bon » « d’accord29 »…) qui réitère en la condensant la valeur de cette position modale différenciée. (p. 338)

2.3.1- 3- Le fonctionnement de chaque composant

M.-A. Morel souligne que le fonctionnement du préambule diffère par rapport au fonctionnement du rhème :

o dans le préambule l’énonciateur cherche à mettre en place un consensus, une convergence de points de vue sur l’objet du discours, tandis que

o dans le rhème, il exprime sa position différenciée par rapport aux attentes et aux connaissances qu'il prête au coénonciateur

MOREL M.-A., 2004, - Dans le préambule on effectue deux opérations conjointement :

1) on façonne l’objet de discours, et on séquencialise la suite morphosyntaxique ; 2) on cherche à établir une base de connaissances partagées en consensus avec l’autre.

[…] pour positionner cet objet de discours dans la coénonciation, on a recours à une autre modalité : la mélodie (en fin de préambule).

- Dans le rhème, on effectue une seule opération, on exprime un jugement différencié, dans une séquence morphosyntaxiquement organisée, le consensus sur les préalables étant supposé acquis. (p. 338)

Voici maintenant un exemple de paragraphe intonatif qu’elle analyse :

[ligateur + point de vue + modus dissocié + cadre + support lexical disjoint] + [rhème]

[tu vois+je trouve fantastique+que dans le livre+le héros] + [il reste pas comme ça]

2.3.1- 4- Les différents types de paragraphe intonatif

Morel distingue 2 types de paragraphe intonatif : Binaire (simple ou complexe) et ternaire :

MOREL M.-A., 2004, - Le paragraphe oral

1) du type binaire : préambule + rhème binaire simple : exemple cité ci-dessus

binaire complexe : marqué par la recatégorisation d’un rhème en préambule pour la suite du paragraphe binaire, sous l’effet de la remontée de F0 sur la syllabe finale du rhème.

2) Le paragraphe du type ternaire présente une structure fixe à trois constituant : <préambule + rhème + postrhème> ; il se caractérise par la non-réduplication des constituants et par la brièveté de son préambule. Il provoque toujours une rupture dans le continu discursif et dialogal : il se rencontre soit à la clôture d’un épisode narratif, soit pour boucler une séquence argumentative ou dialogale. (p. 339-340)

2.3.1- 5- Le paragraphe intonatif et le regard

Parmi les gestes, le regard joue un rôle très important dans la gestion de la coénonciation dans le dialogue oral en français.

Les directions du regard changent en fonction de ce que l’on est dans le préambule ou dans le rhème. Morel explique que l’énonciateur ne regarde pas le co énonciateur dans le préambule : MOREL M.-A., 2010, (La déflexivité…) - Jusqu’à présent, l’hypothèse que je formulais était qu’on regarde l’autre pour l’accrocher, pour retenir son attention. Or, dans le préambule, on ne regarde pas l’autre, parce qu’on a son regard fixé sur son objet de pensée pour le façonner et le modeler.

De plus, elle s’intéresse à la conjonction du regard et de la mélodie dans l’expression d’une attitude coénonciative :

- Le regard et la mélodie donnent donc tous les deux des informations sur l’attitude coénonciative, mais de façon différente : 1) le regard traduit le rapport du parleur avec sa pensée, qu’on pourrait gloser de la manière suivante « je cherche à mieux dire pour toi, pour rendre l’interprétation plus facile, je te quitte mais je vais revenir », 2) la variation de la mélodie vers le haut est, pour sa part, iconique du mouvement du parleur en direction de l’écouteur, glosable ainsi « je vais vers toi, je ne t’abandonne pas ».

Concernant la direction du regard dans le rhème, selon Morel, le regard du parleur revient sur l’écouteur avant la fin du rhème :

MOREL, M.-A., 2011, - Les mouvements du regard ont un rôle important dans la gestion de la coénonciation et du marquage de la position de l’énonciateur à l’égard du coénonciateur. En règle générale, le regard du parleur se détourne de l’écouteur avant le début du préambule, et revient sur lui avant la fin du rhème ; il quitte également, le plus souvent, l’écouteur lors d’un travail de formulation marqué par des indices des deux autres plans ; le regard de l’écouteur reste fixé sur le parleur. (à paraître)

2.3.2. Les marqueurs dans le plan morphosyntaxique