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SECTION I : ETAT DE L’ART

II.I. 1.3. Le geste napolitain

Doctorat de Paola dell’Erba et classification proposée par Morel et Danon-Boileau (2001)

« Le geste dans une conversation entre quatre jeunes Napolitains

Le travail est parti d’une réflexion à partir de l’ouvrage de De Jorio (1832) sur le geste à Naples : il établit un lien entre les gestes peints sur les vases grecs de la Grèce antique, les gestes représentés sur les estampes du 18e et les gestes de ses contemporains.

Puis un corpus (conversation ordinaire entre quatre jeunes gens : deux hommes et deux femmes) a été filmé par Paola dell’Erba pour voir ce qu’il en était aujourd’hui ; le titre de sa thèse « Communication non verbale et aspects de la culture méridionale ». Elle a proposé dans sa thèse une classification des gestes en 17 catégories ; les critères de cette classification sont hétérogènes, et reposent tantôt sur la forme (main en forme de bourse, main en forme de mur) tantôt sur la fonction (séparation des thèmes) tantôt sur le contenu du discours (concept abstrait).

Les gestes qui ont été pris en compte, du point de vue du signifiant, sont plus centrés sur les mains que sur le regard. Peut-être parce que le geste napolitain est l’héritier du geste de grande Grèce et non l’héritier du geste latin. Le geste dont il s’agit est celui de l’agora, de la discussion entre pairs, à plus de deux. Pas de la discussion à deux, ni de la parole devant un auditoire du haut d’une tribune (comme c’est le cas dans le forum romain du haut des rostres). A partir du moment où l’on est plus de deux, le regard sert moins dans l’interaction : on ne peut regarder qu’une seule personne à la fois), et ce

54 Voir l’article de Colletta « Les coverbaux de l’explication chez l’enfant âgé de 3 à 11 ans » : http://gesture-lyon2005.ens-lsh.fr/IMG/pdf/Collettab.pdf

Voir aussi D. BOUVET 1996

sont les mains qui pour une part remplacent les indications du regard. Car ce que disent les mains peut être vu par tous en même temps.

La catégorisation proposée est une catégorisation à partir des différentes fonctions du geste. Elle a plusieurs caractéristiques. D’abord, elle repose sur des oppositions simples: que celui qui parle doit avoir des gestes en relation avec l’autre d’un côté, et en relation avec son activité de pensée de l’autre. Ensuite, dans le détail, elle reprend des oppositions qui ont déjà fait leurs preuves soit lorsqu’il s’agit de la relation à l’autre, dans le registre de l’analyse énonciative de la parole et de l’intonation, soit lorsqu’il s’agit de la relation à la pensée, dans la rhétorique classique.

Les gestes qui traduisent quelque chose en relation à l’autre sont surtout d’essence communicative.

En revanche, les gestes qui traduisent quelque chose en relation à sa pensée, à sa formulation ont tout autant pour objet de favoriser la communication que d’aider celui qui s’exprime à trouver ce qu’il veut dire et comment le dire.

Un geste doit correspondre à un signifiant et à un signifié. Pour nous, ce signifié n’est pas un contenu référentiel (une chose comme une table ou une chaise), mais une relation.

De plus, le signifiant est variable mais il doit avoir des traits minimaux fixes, notamment :

-forme prise par la main et les doigts -position par rapport au corps

-le mouvement : le point culminant du geste correspond au pic d’intensité du discours qu’il accompagne

Quand on parle du mouvement d’un geste il convient de distinguer entre mouvement nécessaire à la réalisation de la configuration du geste et mouvement constituant une caractéristique du geste. En effet, tout geste implique un mouvement de réalisation .Un geste n’est jamais « fixe » il commence, atteint son apogée, sa configuration typique, puis décroît. Si un geste n’est que l’effet de ce type de mouvement, on tentera de le définir comme une posture fixe, en caractérisant alors la forme qui le constitue à son apogée. Pour savoir où « prendre » cette apogée, où la situer, on ira chercher un indice dans la variation significative au niveau de l’intensité (sur le registre de l’intonation, donc et non sur le geste lui-même). L’acmé du geste sera située par rapport au pic d’intensité de l’intonation qui l’accompagne. Tout geste implique un mouvement qui permet de le réaliser, puis de le défaire, de le résorber. Nous ne prendrons pas en compte ce type de mouvement. Nous ne prendrons en compte qu’un mouvement constituant une partie intégrante du geste lui-même (comme celui de décrire un cercle au niveau de la tempe pour renvoyer à la notion d’une pensée en mouvement en gestation). Quand le mouvement est un trait caractéristique du geste il est en général répété (et que cette répétition n’apparaît pas à titre de variante).

-la position par rapport au corps.

Ne seront mentionnés que les éléments pertinents de ces traits

Le signifié est toujours « abstrait ». Pour le déterminer on se fonde sur la manière dont un geste peut être glosé par des locuteurs natifs de la culture où le geste est observé.

On cherche aussi à argumenter en fonction du contenu linguistique avec lequel on peut le mettre en rapport.

Ce qui est important donc c’est l’orientation du geste ; il faut distinguer les gestes orientés vers soi-même en tant que parleur (par exemple : main gauche fermée touchant sa poitrine), et les gestes orientés vers l’auditoire (par ex. : main gauche levée avec les doigts écartés paume tournée vers l’auditoire), ou vers tel ou tel écouteur de l’auditoire.

Voici la grille générale que nous souhaitons proposer et son contenu. Elle a été établie pour classer les gestes relevés par Paola dell’erba dans des conversations naturelles entre jeunes napolitains. La classification ici proposée n’a pas été constituée à priori.

Elle a été proposée au vu des gestes relevés et du sens qui leur a été attribué par la chercheuse du relevé.

Classification générale : trois grandes catégories

1) les gestes qui révèlent quelque chose de la relation du parleur à son interlocuteur : ils permettent de gérer le droit à la parole et les tours de parole (par exemple bras tendus à l’horizontale à la hauteur des épaules pour garder le droit à la parole) ; et aussi ils sont utilisés comme régulateurs de l’anticipation de la pensée de l’autre : ils manifestent de quelle façon le parleur pense que ce qu’il dit va être pris en compte, accepté ou refusé, par l’interlocuteur ;

2) les gestes qui révèlent quelque chose de la relation entre le parleur et sa propre pensée : ils sont liés au processus de la pensée ou de la parole ; ils aident le parleur à stabiliser ses pensées (main dirigée vers le front) et à trouver ses mots (main gauche en forme de coupe paume vers le bas – geste de capture) ;

3) les gestes liés à l’organisation interne des objets de discours : ils aident à la fois le parleur et l’écouteur à organiser le contenu du discours (par exemple main droite à la verticale, doigts serrés mais pouce écarté paume tournée vers les autres) ; ce sont des gestes de séparation ; ils montrent différents aspects d’un même objet (numération, disposition dans l’espace ou dans le temps).

I- Les gestes qui traduisent quelque chose de la relation à l’autre (thèse p 232)

A-les gestes de colocution :

La colocution est un terme qui montre que l’on s’intéresse à l’échange de parole comme à une alternance de prises de parole, comme à un mouvement matériel.

Les gestes relatifs à la colocution indiquent que celui qui parle veut établir son tour de parole ou le maintenir quand l’autre veut l’interrompre ; ils ont pour objet de conforter ou d’établir le statut de locuteur de celui qui parle. Ici la parole de celui qui parle est un acte, qui implique que l’autre se taise et prête son attention.

Ils sont réalisés avec les deux mains.

- geste d’ouverture d’une prise de parole, demande d’attention (organisation du discours : OD)

-geste de maintien du tour de parole en cas de risque d’interruption (mano per trurno di parola : MTP

B-les gestes de coénonciation :

Ils n’ont plus trait à l’échange comme activité. Ils indiquent la position qu’adopte celui qui parle par rapport à la pensée qu’il prête à l’autre, la façon dont il pense que ce qu’il dit va être pris en compte et accepté par celui auquel il s’adresse.

1- gestes de recherche de consensus et d’adhésion

Ici celui qui parle cherche à établir un accord avec l’auditeur :

+cette recherche d’accord peut toucher le contenu de ce qui est dit. Ici ce que recherche le locuteur est une attention partagée avec l’autre sur le dictum, le contenu de ce qu’il dit. Ce que redoute celui qui parle c’est que l’autre puisse ne pas voir ce qu’il tente de lui faire voir, de porter à sa connaissance. Ce qu’il redoute, c’est son incompréhension plus que sa désapprobation. C’est cela que le geste veut écarter, même s’il peut y avoir ensuite dérive sur la valeur du geste (dita ad annello : DA). On craint que l’autre ne saisisse pas ce que l’on veut porter à sa connaissance, qu’il le méconnaisse. Cette fonction est réalisée avec une seule main.

+mais la recherche d’accord peut aussi être une demande d’adhésion et de reconnaissance du point de vue que défend celui qui parle. Celui qui parle prie celui qui l’écoute d’admettre un point de vue dont il craint qu’il soit différent du sien. On attend d’autrui qu’il admette le jugement qu’on lui propose ou la position que l’on défend (Mani guiunte : MG). On ne craint pas que le sens de ce que l’on dit lui échappe.

2-gestes qui marquent un désaccord anticipé :

+quand celui qui parle imagine la position de l’autre, rejette par avance cette position, et part de ce rejet de la position qu’il attribue à l’autre pour exprimer sa position à lui (MAB : mano a borsa).

+quand celui qui parle donne son avis, mais craint que celui auquel il s’adresse ne dénature ou ne distorde ce que lui-même est en train d’exprimer. Il fait alors le geste de « mano a muro » pour repousser tout risque de dénaturation de la part de l’autre (mano a muro : MAM).

II- Les gestes qui traduisent quelque chose de la relation que le locuteur entretien avec sa pensée, sa mise en mots, ou les produits de sa pensée :

A-les gestes en relation avec le processus de pensée ou de verbalisation

Tous ces gestes sont à la fois méta et infracognitifs. En effet, ils aident celui qui les exécute dans son propre processus de verbalisation et de conception (ils l’aident à

penser et à trouver ses mots. Ils constituent un amorçage moteur. Mais en même temps ils constituent un commentaire du locuteur sur son propre processus de verbalisation et de conception destiné aussi à la communication à l’autre. Ils ont ce double statut, contrairement aux gestes de type I qui ne sont que des gestes destinés à la communication.

1-les gestes qui visent le processus de pensée -CA : concetti astratti

le locuteur montre qu’il a du mal à stabiliser à saisir sa propre pensée (le geste de capture est incertain, la main bouge indiquant un processus de pensée en cours et les doigts ouverts ne peuvent pas saisir la pensée de celui qui est en train de penser) -MFP : mani a Fronte pensiero

le locuteur marque sa difficulté à comprendre ce que l’autre veut lui dire.

Les gestes liés à cette fonction sont réalisés en direction de la tête ou du front (en relation avec la pensée), ou bien au niveau de la poitrine et du cœur s’ils sont liés à l’intimité et à l’affect.

2-les gestes qui visent le processus de mise en mots, d’expression, de verbalisation.

-GM : gesto métaphorico

il exprime le fait qu’une pensée doit « sortir » de la poitrine, ou au contraire qu’il faut

« couper » ce que l’on est en train d’énoncer.

B-les gestes relatifs à l’organisation interne des topoi, des objets de discours

Tous ces gestes indiquent comment l’orateur organise les différents éléments de l’objet de discours qu’il doit mettre en jeu et le lien qu’ils entretiennent les uns avec les autres. Comment il discerne ces éléments, comment il les différencie les uns des autres et passe d’un objet de discours nébuleux flou et total à des éléments différenciés, entre lesquels il est possible d’établir des liens (les liens entre les objets ne peuvent évidemment apparaître que si les objets sont distincts). S’il y a seulement deux éléments ils peuvent s’opposer. S’il y en a plus de deux, on peut simplement les énumérer . On peut aussi les distinguer par leur localisation, ou leur statut temporel.

1-opposition serparazione degli aspetti (SA) 2-énumération Dita per numerazioni (DN) 3-position dans l’espace (MNS)

4-position dans le temps (MNT) »