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I Les pratiques langagières des élèves alloglottes nés en France : le point de vue de l’Institution et de la recherche

Chapitre 1. La maîtrise de la langue de scolarisation/l’éducation plurilingue et pluriculturelle : chronique d’une rencontre annoncée ?

1.3. L’Institution : vers une prise en compte du plurilinguisme des élèves alloglottes ?

1.3.1. Le ministère de l’Éducation nationale (MEN)

Nous disions au début de ce chapitre que le ministère de l’Éducation nationale ne reconnait pas le plurilinguisme des élèves alloglottes nés en France. Si elle l’a reconnu pour les allophones nouvellement arrivés, ce n’était pas comme un atout mais davantage pour souligner la nécessité de maîtriser la langue française. Ainsi, l’objectif de départ des Elco, des Upe2A était de faire 31 Le rapport d’enquête « Analyse des besoins des employeurs au regard des compétences en langues vivantes

étrangères » interroge le lien entre langues étrangères et employabilité en France. Il repose sur 801 questionnaires d’entreprises, 14 entretiens avec des directeurs d’entreprises et 1529 annonces d’emploi. Pour plus de détails cf. http://www.ciep.fr/sites/default/files/atoms/files/courriel-europeen-des-langues-juillet-2015.pdf

acquérir le français le plus rapidement possible pour l’apprentissage du français scolaire. Ainsi, même si réside au départ une volonté de faire connaitre les langues et cultures d’origine aux élèves, c’était toujours en vue de les amener à s’adapter aux classes de français (Varro, 2000). En revanche, la réalité du plurilinguisme comme atout est reconnue pour les langues vivantes étrangères et les langues régionales (Pégaz-Paquet, 2016). En effet, le nouveau programme d’enseignement de la maternelle de 2015 (JO du 12 mars 201532) promeut l’éveil à la diversité

linguistique en donnant des exemples comme les langues régionales, les langues étrangères et la langue des signes française.

Le contexte économique actuel, notamment la mondialisation, contribue à changer la donne et ce, en faveur du plurilinguisme des élèves alloglottes. La nécessité d’acquérir des compétences langagières en langues vivantes étrangères pour l’employabilité des jeunes à l’intérieur du pays et à l’étranger contribue à favoriser le plurilinguisme chez tous les élèves. Dans cet esprit, le ministère de l’Éducation a pris des mesures pour mieux enseigner les langues étrangères aux élèves. Ainsi, depuis la rentrée 2016, les Elco évoluent vers un dispositif qui s’inspire des sections internationales : les enseignements internationaux de langues étrangères (Eile). Ces enseignements facultatifs et ouverts à tous les élèves volontaires des écoles sont proposés à partir de la classe du Cours élémentaire 1re année (CE1), à raison d’une heure et demie chaque semaine. Les Elco sont voués à disparaître progressivement dans la période de transition de 2016 à 2018. Le passage d’une dénomination renvoyant aux origines à une ouverture internationale, ainsi que l’accessibilité de ces enseignements à tous les élèves (et non uniquement aux élèves concernés directement ou indirectement par la migration) valorisent davantage des langues comme l’arabe, le turc, le serbe et le croate. Ce passage correspond d’abord à l’objectif premier d’offrir un meilleur apprentissage des langues pour les élèves à travers un changement des conditions d’enseignement-apprentissage au sein des Elco. Ces derniers étaient souvent décriés pour plusieurs raisons, telles que le fait que les enseignements étaient réservés aux enfants des immigrés, les professeurs ne faisaient pas partie de l'équipe pédagogique et, parfois, l'enseignement de la langue devenait un enseignement religieux. Pour

pallier les difficultés intrinsèques au dispositif, Najat Vallaud-Bellkacem a proposé plusieurs mesures33 :

• l’intégration des professeurs à l’équipe pédagogique des établissements scolaires ; • le contrôle des programmes des cours ;

• l’inspection des professeurs ; • l’évaluation des élèves ;

• l’obtention d’une certification des compétences des élèves qui leur permette de les approfondir au collège.

Quant à l’enseignement obligatoire, concernant l’école maternelle, l’accent est mis sur les capacités des enfants à acquérir très tôt des compétences langagières (en réception et en production orale) dans d’autres langues : les professeurs sont encouragés à faire écouter des chants et des comptines dans d’autres langues et faire produire des éléments lors de petites interactions verbales. Ici, il est question de développer des compétences plurilingues chez tous les jeunes enfants et dans toutes les langues (régionales, étrangères et la langue des signes française). Cette proposition d’éveil aux langues était déjà présente dans le programme antérieur : « la classe et le groupe constituent une communauté d'apprentissage qui établit les bases de la construction d'une citoyenneté respectueuse des règles de la laïcité et ouverte sur la pluralité des cultures dans le monde » (BO spécial n° 2 du 26 mars 2015). Dans le même esprit, le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation (JO du 18 juillet 2013) évoque la prise en compte de la diversité des élèves.

En comparaison avec ce qui se fait avec d’autres langues (anglais, allemand, espagnol et italien), ces avancées constituent davantage une valorisation des langues plutôt qu’une reconnaissance du plurilinguisme comme bénéfice cognitif. En effet, les langues d’origine des élèves y sont très peu enseignées face aux langues comme l’anglais, l’espagnol et l’allemand (Krüger, 2016). À titre d’exemple, en 2017, un collège marseillais propose aux élèves de découvrir au cours d’une semaine les cultures et les langues à travers diverses activités

33 Voir son allocution à l’Assemblée « Vers la fin des ELCO (Enseignements des langues et cultures d’origine), qui

entreront dans le droit commun – Question au Gouvernement » (28 avril 2016). Disponible sur : http://www.najat- vallaud-belkacem.com/2016/04/28/vers-la-fin-des-elco-enseignements-des-langues-et-cultures-dorigine-qui- entreront-dans-le-droit-commun-question-au-gouvernement/

linguistiques, gastronomiques... Les objectifs, entre autres, de la « Semaine des langues » est de mettre en lumière les langues et la diversité linguistique présente dans et en dehors des écoles. Les langues proposées étaient l’allemand, l’espagnol, l’italien et l’anglais, des langues qui ne représentent pas la majorité des langues d’origine des élèves. Force est de constater qu’il y a plurilinguisme et plurilinguisme34. L’institution reconnait certaines langues et en ignorent d’autres, de la même façon qu’à l’intérieur du Français une langue est dominante, l’autre est dominée (Bourdieu, 2001 ; Bourdieu & Boltanski, 1975). La conséquence la plus directe étant le bilinguisme soustractif où la langue dominante/reconnue prend le dessus sur la langue d’origine (Vigner, 2015).

À quoi cela est-il dû ? Il existe plusieurs raisons qui expliquent cette différence. Nous pouvons avancer l’argument déjà évoqué que l’école a la charge de doter les élèves de savoirs utiles pour préparer leur avenir professionnel au sein de la société. Quels sont les besoins de la société et en particulier du monde du travail en termes de langues étrangères ? L’étude menée par le centre international d’études pédagogiques (CIEP) (juillet 2015 ; cf. note 32) montre que si la nécessité d’une plus grande diversité linguistique apparaît comme primordiale, l’anglais suivi de l’allemand, l’espagnol et l’italien restent les langues les plus utilisées en entreprise.

1.3.2. Le ministère de la Culture : La délégation générale à la langue française et aux