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Enregistrement vidéo

5.2.4. Les effets des questions éthiques et juridiques à l’usage de l’enregistrement vidéo

5.2.4.1 Autorisations de droit à l’image

La demande d’autorisation pour filmer les professeurs est consultable en annexe (cf. annexe 5, p. 10). Les réticences des professeurs à participer à une recherche ou bien encore à être filmé ont des impacts non négligeables sur la recherche. Nous avons été confrontée à ces réticences en Master. Évidemment pour la thèse, nous les avons prises en compte dans la conception du dispositif. Par conséquent, nous avons décidé de ne pas imposer un dispositif trop lourd aux professeurs pour gagner leur adhésion.

Pour cela, nous avons décidé d’être le moins intrusive possible. Ainsi, au lieu de deux caméras (l’une dirigée vers le professeur, l’autre vers les élèves), nous avons opté pour une seule, car plusieurs caméras peuvent donner l’impression d’un dispositif de surveillance (Mondada, 2005). Celle-ci était fixée sur un trépied en direction des élèves avec une source audio pour des raisons de sécurité (dysfonctionnement enregistrement vidéo) et de qualité (pour couvrir le verbal non enregistré par la caméra). Pour davantage de discrétion, nous avons installé le matériel avant que les élèves n’entrent en classe. L’invasivité minimale répond aussi au principe de naturalité, car si l’objectif est de mettre à l’aise les professeurs, c’est pour mieux favoriser des comportements « naturels ». La direction de la caméra ne va pas à l’encontre de notre question de recherche qui fixe d’abord son attention sur les élèves. Aussi, avait-on plus de chances de voir le professeur circuler dans la classe et entrer dans le champ de la caméra que les élèves. Pour compenser la perte des données quant aux actions des professeurs en hors champ (leur discours verbal étant doublement enregistré audio caméra + dictaphone), nous

notions leurs actions sur notre journal d’observation183. Quoiqu’il en soit, l’ubiquité d’un

enregistrement vidéo présente toujours des limites ; dans le cas de l’utilisation d’un dispositif simple des pertes, de données ont lieu lors d’une interaction proche entre professeur et élèves184,

quand le professeur s’adresse doucement à un élève. Recueillir ce type d’interaction nécessite une caméra mobile ou un micro-cravate fixé chez le professeur. Une fois de plus, les réticences des professeurs ne nous permettaient pas un tel choix technique.

Les modalités d’enregistrement que nous venons de décrire résultent de nos choix, d’autres modalités déterminées par l’autorisation de droit à l’image se sont imposées de par les parents d’élèves et les professeurs, car « quelle que soit la nature [des relations avec les enquêtés] (plus ou moins amicales, plus ou moins distantes), elles ne peuvent pas ne pas influer sur le déroulement de l’enquête » (Marchive, 2012, p. 8). Aux changements de configuration classique d’une action didactique (mouvement des acteurs, manipulation des objets matériels et symboliques) peuvent s’en ajouter d’autres :

Changements de configuration spatiale de la classe

Les élèves dont les parents ont refusé le film ont été placés hors champ, cela a eu pour conséquence la réorganisation spatiale (plus ou moins importante) de la classe. Les interactions didactiques étant circonscrites dans le temps et dans l’espace, cela peut produire des effets sur les transactions didactiques habituelles entre professeurs/élèves et élèves entre eux. De manière concrète, une nouvelle disposition peut avoir des effets sur la « circulation » du professeur dans la classe et ainsi sur ses manières de réguler l’action en cour auprès des élèves185. Hormis le

positionnement hors champ de certains élèves, la nécessité d’enregistrer un plan large de la classe conditionné par l’usage d’une seule caméra statique a renforcé les modifications au niveau de l’organisation spatiale. La limitation à la collecte de données naturelles réside ici dans le changement de place « habituelle » des élèves et les déplacements des professeurs.

Déplacements du professeur (champ/hors champ)

Les effets des questions éthiques et juridiques liées à l’enregistrement vidéo sont encore plus manifestes et ont davantage de conséquences sur la nature des données recueillies lorsque c’est le professeur qui refuse d’être filmé. Dans notre cas d’étude, deux professeurs ont refusé d’être

183 Bien que non intentionnel, le fait de nous éloigner de la caméra a permis aux professeurs les plus réticents à

« l’oublier ».

184 Dans ce type d’interactions, la voix de l’enseignant est souvent perceptible, celle de l’élève moins. 185 Le professeur Claire confie avoir été gêné dans ses régulations par la réorganisation spatiale de la classe.

filmés, Capucine et Katelyne. Étant donné que « l’observation ne doit pas devenir l'intrusion et (que) l’autorisation accordée à l’ethnographe ne lui donne pas tous les droits » (Marchive, 2005, p. 81), nous avons scrupuleusement respecté leurs souhaits et nous nous sommes adaptée aux circonstances d’enregistrement. Les professeurs se sont positionnés à côté ou derrière la caméra, mais cela n’allait pas sans poser problème lors de l’enregistrement des séances. Ils s’interdisaient de venir en aide aux élèves de manière individuelle puis, n’y parvenant pas, ils nous demandaient d’interrompre l’enregistrement pour réguler l’action en cours186. Outre le fait

d’avoir redoublé d’attention pour la prise de notes des actions des professeurs au moment de la régulation, le film de ces séances ne représente pas fidèlement les transactions didactiques habituelles. La perte des données relatives aux actions parfois « empêchées » de ces deux professeurs sera prise en compte au moment de l’analyse, surtout qu’il s’agira de comparer avec un professeur qui, lui, a été filmé.

En résumé, les effets de l’enregistrement vidéo sur la nature et le contenu des transactions didactiques nous incitent à retenir, au moment de l’analyse, que si le film permet de décrire en profondeur l’action didactique conjointe à travers une quantification objective, il le fait dans les limites du champ filmé :

Tableau 5 : Limites de l’enregistrement vidéo

186 Si le droit de rétractation post hoc n’a pas été inclus dans les documents d’autorisation de filmer, nous avons

pris en considération les souhaits des professeurs tout au long de la recherche.

champ

filmé

hors

champ

observé

Action

en cours

Ainsi, le film d’étude permet l’analyse d’une partie plus ou moins importante (en fonction du matériel) de l’action didactique. Toutefois, dans notre cas, il ne prend pas en compte l’intégralité des interactions didactiques. Le champ non inclus dans l’enregistrement relève donc de l’observation avec une prise de notes. Les données recueillies relatives aux séances sont alors hybrides. Et si l’on considère que l’action didactique filmée présente davantage de potentialités par rapport à celle qui est observée, les actions didactiques enregistrées en audio (car hors champ) n’offriront pas la même densité d’analyse que celles proposées par le film d’étude.

C’est dans ces limites qu’il faut saisir que le « montré » du film n’est pas le produit de l’action didactique (Guernier & Sautot, 2010). Comme le souligne Sensevy (2008) le film de l’action n’est pas l’action.

Ce sont aussi ces limites qui nous ont conduite à faire appel aux professeurs à différents moments (explication des actions à travers les entretiens de vidéoscopie, interprétation des résultats). En effet, l’association de ces derniers à la reconstruction du sens des interactions didactiques produites suivait l’objectif de comprendre ce qui n’était pas disponible immédiatement (champ observé et filmé). « Le chercheur aura beau observer attentivement une action, il verra certes des choses qu’aucun discours n’exprimera […] mais risque aussi d’être incapable de saisir la signification même de cette action » (Piette, 1996, p. 50). Comme nous le disions au départ (cf. chapitre 5.1, 5.1.1), les détails des pratiques sont significatifs pour l’organisation de l’action avant tout pour les participants eux-mêmes. Nous avons procédé ainsi pour accéder à la signification des actions pour l’acteur. D’une certaine manière, notre recherche s’apparente à une recherche collaborative avec et pour les professeurs.

Pour résumer, nous pouvons dire que nous avons adapté le dispositif aux conditions et contraintes imposées par l’ensemble des acteurs. La figure ci-après décrit la mise en place du dispositif sur le terrain concernant l’observation filmée des séances de classe :

Figure 12 : Données complémentaires à l’enregistrement vidéo

La nécessité d’un temps court d’observation était envisagée dès la conceptualisation du dispositif de recherche en vue d’obtenir l’autorisation des IEN et des professeurs. Elle correspondait également à l’ambition (l’écueil) de l’apprenti-chercheur. Le recueil des fiches de préparation des séances filmées, ainsi que des entretiens non enregistrés « à chaud » après les séances, était pensé comme respectivement des entretiens ante et post séance pour ne pas trop solliciter les professeurs au niveau du temps.

Lors des premières analyses, les limites liées aux informations recueillies ont conduit à mener des entretiens de vidéoscopie pour mieux comprendre les interactions didactiques. Les questions juridiques et éthiques liées au droit à l’image implique évidemment de respecter les choix des professeurs, donc leur refus à être filmé. Ne pas pouvoir filmer les élèves dont les parents n’ont pas donné leur accord et les deux professeurs qui s’y sont refusés implique une réorganisation spatiale de la classe et le film d’un champ d’action qui ne reflète pas totalement les interactions habituelles de la classe. Cela a des conséquences sur la nature et le contenu des interactions didactiques filmées. Les entretiens de vidéoscopie en ce qu’ils mobilisent un

discours du professeur sur « l’habitus » avec sa classe compense en partie cette limite de l’observation filmée. C’est dans cette mesure que ce qui nous est apparu comme des contraintes sur le terrain s’est révélé par la suite comme une liberté dans la mesure où nous accédons à davantage de données. Nous présentons ici l’entretien de vidéoscopie.