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cultures écrites et orales • anthropologie

1. valorise l’écrit auquel serait indéfectiblement rattachée la distance réflexive ; 2 et, par conséquent, dévalorise l’oral qui serait dépourvu de potentialités réflexives ;

3.4. Les dispositions langagières liées aux langues

3.4.2. L’anxiété langagière, l’insécurité linguistique

3.4.2.2 L’insécurité linguistique

Le concept d’insécurité linguistique, bien qu’étudié dès les années 60, est employé par Labov (1976) et initié au monde francophone par Guenier et al. (1978).

Leconte (1997), pour sa part, décrit les pratiques langagières de familles africaines et souligne que l’insécurité linguistique en français « est corrélée chez les enfants à l’intériorisation de la dévalorisation dont leurs langues font l’objet dans l’espace social » (p. 213). Elle souligne que « les enfants qui se trouvent en grande insécurité linguistique vis-à-vis du français et surtout de la norme scolaire ressentent le besoin de protéger l’univers familial, qui semble séparé par une frontière culturelle de l’environnement et donc de l’univers scolaire » (p. 252).

L’insécurité linguistique peut être ressentie par un locuteur monolingue dans la prise de conscience de l’écart qui existe entre ses pratiques langagières et la langue légitime (Labov, 1976 et Bourdieu, 1982). Pour ces auteurs, l’insécurité linguistique est une question de classe sociale. Ainsi pour Bourdieu (1982), la domination symbolique provoque souvent une intimidation chez l’interlocuteur dominé. La seule rencontre avec le locuteur qui occupe une position sociale dominante peut le conduire à de l’insécurité linguistique (Roussi, 2013). L’insécurité linguistique peut aussi être ressentie par un locuteur plurilingue dans le contact des langues ou en situation de diglossie116.

Selon Biichlé (2011), l’insécurité linguistique chez l’individu résulte du poids des représentations sur la langue idéale et le sentiment de maîtrise insuffisante du français. Les phénomènes d’insécurité linguistique sont plus forts dans des situations de contact de langues et se manifestent à travers l’hypercorrection (qui consiste à s’auto-corriger), l’auto-évaluation positive ou négative et le mutisme. Pour les allophones nouvellement arrivés, les recherches (Chnane-Davin, 2008 ; Auger, 2013) font état de mutisme comme conséquence de l’insécurité linguistique vécue par les élèves. Les deux autres manifestations, l’hypercorrection et l’auto- évaluation/dévaluation, ne semblent pas avoir été constatées. L’hypercorrection serait davantage visible chez des locuteurs qui ont des compétences langagières suffisantes dans la langue légitime pour pouvoir se corriger (Biichlé, 2011). Il semble que l’hypercorrection se manifeste davantage chez des jeunes et des adultes. Dans le cadre scolaire, l’hypercorrection peut constituer un facteur qui provoque l’insécurité linguistique. Émanant des régulations de l’enseignant, figure emblématique du garant de la norme scolaire, l’hypercorrection peut constituer à long terme une source d’insécurité linguistique. Le professeur peut évaluer négativement des réponses d’apprenants éloignées de la norme dans les interactions. Il peut évaluer insuffisante la maîtrise de l’élève par rapport à la pratique d’autres langues à la maison. Pour Francard (1993), ainsi que Moreau (1994), l’insécurité linguistique est renforcée par l’institution scolaire dans la mesure où elle véhicule la norme qu’impose la classe dominante à travers la langue légitime.

D’après Roussi (2009), un sentiment d’identité culturelle fort peut atténuer l’insécurité linguistique dès lors que la variation linguistique est exploitée pour affirmer son appartenance à une culture spécifique. L’anxiété langagière s’atténue au fil du temps (Gardner & Mac Intyre, 1993). Pour le migrant, l’insécurité linguistique s’atténue au fur et à mesure des années passées dans le pays d’accueil et à travers les réseaux sociaux qu’il développe (Biichlé, 2011). Aussi, selon Roussi (2009), elle peut s’atténuer si le locuteur éprouve un sentiment d’identité culturelle fort, car il exploite ses variations linguistiques pour affirmer son appartenance à une culture spécifique. Cela amène à penser que les alloglottes nés en France sont susceptibles de ressentir moins d’insécurité linguistique et d’anxiété langagière par rapport aux allophones.

Moreau (1994) distingue deux types d’insécurité : dite et agie. La première relève méthodologiquement des discours du locuteur sur l’insécurité qu’il vit face à un type de langage, une langue, une norme. La seconde découle des pratiques et des comportements des

locuteurs. Dans les travaux qui concernent les allophones et leur famille, c’est surtout la dimension agie qui est étudiée. Ainsi, Auger (2013) explique le fait que des parents ne parlent pas français aux portes de l’école comme une insécurité linguistique chez ces parents.

L’insécurité linguistique peut naitre du rapport entre langues ou du rapport entre variations de langue (dialectes) et langues. Ici, et même lorsqu’il s’agit d’une seule langue, le statut que le locuteur et les communautés linguistiques confèrent à la langue entre en jeu. Les rapports de force entre langues dus à l’histoire, aux politiques linguistiques (marché linguistique), aux rapports sociaux font qu’ils existent des langues dominées et dominantes. Ainsi, pour Calvet (1995), il peut y avoir sécurité et insécurité en fonction des statuts octroyés aux langues.

L’insécurité linguistique de compétence est générée par les représentations que le locuteur se fait de sa propre compétence dans la langue. Ainsi, pour un alloglotte né en France qui parle très peu le français, il est aisé de comprendre l’insécurité linguistique qu’il peut ressentir lorsqu’il est interrogé en classe. Les silences, voire les mutismes, dans lesquels ces élèves s’enferment semblent témoigner d’une autoreprésentation négative dans la compétence concernée et non forcément d’une non-connaissance de la réponse à fournir.

Pour Coste (2001), l’insécurité peut résulter d’une inquiétude concernant les implications identitaires que suppose l’apprentissage d’une langue. Ainsi que le statut de la langue maternelle en contact avec la langue seconde : « Il y a apparition de l’insécurité à cause d’une infériorité ressentie, représentée, intériorisée, incorporée qui s’est mise en place »117. Pour Coste, même si, au départ, l’insécurité linguistique peut être fortuite (dépendante du contexte et des interlocuteurs), elle peut finir par faire partie intégrante du sujet qui peut l’incorporer. Il est difficile d’imaginer que de jeunes élèves alloglottes nés en France puissent ressentir une quelconque infériorité, si ce n’est à travers les moqueries des camarades sur leur compétence communicative encore limitée. Nous pensons davantage que ce ressenti est plutôt véhiculé par le discours et les représentations sur la famille. En revanche, pour des allophones nouvellement

117 Pas de pagination disponible. Texte consultable à l’adresse suivante :

arrivés, lorsque le pays d’origine est perçu par le locuteur (et la société) comme inférieur au pays d’accueil, la question de l’insécurité identitaire peut se poser à tout âge.