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cultures écrites et orales • anthropologie

1. valorise l’écrit auquel serait indéfectiblement rattachée la distance réflexive ; 2 et, par conséquent, dévalorise l’oral qui serait dépourvu de potentialités réflexives ;

3.3 Une hypothèse relationnelle

Les travaux de Bautier (2004) développent une conception relationnelle de la construction des difficultés des élèves issus de milieux populaires. Les difficultés apparaissent entre les dispositions socio-langagières des élèves et les pratiques enseignantes (en ce que ces dernières peuvent réduire ou renforcer les difficultés de départ des élèves). À l’école, le langage est à la fois médiation et objet des contenus de savoirs. Si diverses modalités du langage y sont sollicitées (le langage pour communiquer, élaborer sa pensée et surtout apprendre), des pratiques langagières scolaires posent particulièrement problème aux élèves issus de milieux populaires scolarisés en éducation prioritaire. En ce qui concerne le langage pour apprendre, Bautier (2007) évoque certaines habitudes, des façons de faire avec la langue à l’école qui constituent des obstacles entravant l’appropriation de la langue pour les élèves.

Concevoir la langue en tant qu’objet nécessite de réitérer, systématiser, mettre en relation les unités pour penser le système langue dans sa globalité. Or, la forme scolaire actuelle crée des « objets de savoir aux contours disciplinaires flous » (idem, p. 62). Cela pose problème à ces élèves qui ne comprennent pas la situation scolaire en raison de leur niveau de maîtrise du langage, et notamment en raison de leur difficulté à prendre la langue comme objet et de s’en distancier (Lahire, 1993). Bautier (2002) souligne que l’école devrait moins présupposer cette

attitude et la construire chez ces élèves d’autant qu’elle est nécessaire à la compréhension de la grammaire.

L’incompréhension de la situation est également due à la nature des activités langagières enseignées et sollicitées par les professeurs. Les interactions langagières, les modes de travail et les caractéristiques linguistiques du discours professeur peuvent gêner les apprentissages. Au nom d’une pédagogie active, le travail individualisé s’est imposé, l’effectuation d’exercices a entraîné la quasi-disparition du discours du professeur et des élèves. Le discours du professeur jusqu’en sixième constitue un accompagnement de la tâche de l’élève. C’est un discours spontané avec une abondance de déictiques qui se réfèrent au support et non à l’objet cognitif. Les échanges portent souvent sur l’action d’un élève, et les aides entre élèves ou enseignant/élève ne visent que la régulation de l’action en cours. En effet, cette individualisation des apprentissages et les formats des tâches proposées sont le résultat d’une conception individualisatrice du travail en primaire, en particulier en EP. Celle-ci n’autorise pas un discours collectif, argumenté à propos des savoirs, mais favorise un discours dialogué où chacun exprime son opinion et ne permettant pas « l’installation de connaissances procédurales, ni [de] réelle introduction à la problématisation » (Bautier, 2002, p. 5). Le format des tâches développe une activité qui vise davantage à donner une réponse à une question donnée. La régulation se fait uniquement sur la tâche et non sur l’activité cognitive de l’élève : le professeur passe dans les rangs pour aider et l’élève verbalise moins. Ainsi, le professeur ne peut percevoir si l’élève a vraiment compris puisque le dialogue est centré uniquement sur la réponse. Cette gêne est accentuée par la diminution d’explications de la part de l’enseignant, de discours d’élaboration collectif pour construire les objets d’apprentissage. La plupart du temps, dans les classes de milieux populaires, c’est l’exercice qui initie l’activité, la poursuit et sert d’évaluation, le temps pouvant manquer pour la phase d’institutionnalisation ; d’où une confusion chez ces élèves entre exercices et compréhension. Les activités où le faire prime sont de fait faiblement cadrées, les élèves se situent ainsi dans une succession de choses à réaliser sans pouvoir effectuer de liens. Être dans le faire ne signifie pas apprendre, car le passage d’une activité à l’autre ne laisse pas l’élève intérioriser les savoirs et compétences à mettre en œuvre (Mangez, 2006). Il exécute les tâches demandées mais reste éloigné du savoir visé, il fait sans percevoir le décalage entre ce qu’il réalise et ce qui est attendu (Bautier, 2006).

implicitement à l’école conduisent à un contournement du savoir à enseigner (Chevallard, 1985). Les élèves participent à plusieurs activités sans connaître l’enjeu du savoir. Les formes les plus courantes se trouvent dans le discours dialogué et le travail en petit groupe dans lequel l’élève faible exécute des tâches dénuées de sens pour lui, et où celui qui est le plus à même de décoder les implicites finit par souffler la réponse à ses camarades. Pour Bautier (2007), ce discours dialogué résulte des formes pédagogiques actuelles désirant rendre autonome l’élève et valoriser son expression. Elles incitent, par exemple, à aborder une nouvelle notion par des échanges visant à faire émerger les représentations. « Ce moment est cependant assez souvent un moment de "spontanéité", d’expression dans un oral quotidien plus qu’élaboré et formel ; de

ce fait, il est peu centré sur l’acquisition de la "langue des apprentissages" » (idem, p. 63). Or, l’impulsivité de ces élèves, qui imaginent que l’essentiel est de communiquer sans même connaître l’enjeu, s’accentue de par l’importance accordée aux relations affectives dans la mobilisation. Derrière cette forte présence de l’oral où tous les élèves, autonomes, doivent s’exprimer, c’est pourtant la maîtrise d’une langue scripturale scolaire qui est visée. La langue devient alors une langue pour communiquer et non pas pour élaborer, les élèves ne travaillent pas sur le bon registre étant dans un registre communicatif et non cognitif d’échange. Parler sur est une habitude langagière socialement construite de manière différenciée chez les élèves : alors que les uns en ont l’usage, les élèves de milieux populaires doivent la construire. En outre, à l’école, ce sont des registres hétérogènes qui sont convoqués : parler sur, de, à propos… Or, bon nombre de professeurs partent implicitement du fait que les élèves ont déjà cette pratique langagière.

« Ainsi, ce que nous avons voulu mettre en évidence c’est que l’École ne constitue pas en objet d’enseignement et d’apprentissage les techniques intellectuelles et langagières, les outils pour l’étude qui permettent aux élèves de s’inscrire pleinement dans le contrat didactique » (Bautier & Rayou, 2011, p. 3).95

La difficulté à identifier les enjeux cognitifs des tâches chez ces élèves et à considérer les objets dans leur dimension seconde (Bautier & Goigoux, 2004) est accentuée par des activités qui ancrent les élèves dans le quotidien et, de ce fait, les conduisent à peu d’objectivation et de mise à distance. Les dispositions socio-langagières des élèves issus de milieux populaires posent problème dès lors que l’école ne permet pas à ces derniers de s’approprier les formes

langagières adéquates pour réussir. Lahire (2010) affirme que « traiter de façon parfaitement égale des enfants inégalement dotés culturellement du fait des processus de socialisation familiale socialement différenciés, c’est contribuer en définitive à reproduire l’ordre inégal des choses » (p. 206). Pour éviter cela, Bautier (2007a) invite les professeurs à identifier si leurs élèves font effectivement un usage cognitif du langage : il est ainsi important de distinguer un rapport au langage comme rendant compte de la réalité d’un langage comme construction de significations, ou encore le langage comme communication et expression face au langage comme élaboration.

3.2. Notre positionnement épistémologique : la dimension plurielle et