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Partie A / Cadre théorique

I.2. La voie rétino-géniculo-striée

I.2.2. Le cortex visuel primaire

L’ensemble des transformations mentionnées jusqu’alors constitue ce que l’on pourrait appeler les traitements pré-corticaux de l’information visuelle qui permettent la transmission nerveuse de l’information au cortex visuel primaire. Ce dernier nommé est localisé aux pôles postérieurs des lobes occipitaux, en grande partie le long de la scissure calcarine. L’aire visuelle primaire (i.e. cortex strié, V1 ou encore Aire 17 de Brodmann) est composée de six couches dont la 4ème (couche IV) semble être celle qui reçoit principalement, mais non exclusivement, les afférences en provenance des radiations optiques [Hubel and Wiesel, 1972]. La couche IV de V1 constitue à cette occasion un relais entre le CGL et les autres couches de V1. Les couches de V1 sont organisées de façon rétinotopique, ce qui signifie qu’elles sont topographiquement organisées3

. Cette découverte a été effectuée par Inouye [1909], puis Holmes [1918] qui ont observé de fortes corrélations entre les déficits présents dans le champ visuel des patients et la localisation de leurs lésions au niveau de V1 ([Inouye,1909;Holmes,1918; Teuber et al.,1960; Fishman, 1997]. De plus, ils observèrent que la région fovéale se trouve être surreprésentée par rapport aux régions périphériques : les 15˚autour de la fovéa représenteraient 25% de la surface totale de V1 chez les humains [Holmes, 1945] et 70% chez les macaques [Daniel and Whitteridge, 1961;Van Essen et al., 1984]. Ce phénomène, montrant qu’il existe une correspondance précise entre l’excentricité d’un stimulus dans le champ visuel et l’étendue de sa représentation corticale en millimètres [Inouye,1909;Holmes,1918;Cowey and Rolls, 1974;Benson et al.,2012], est connu sous le nom de magnification corticale (Figure A.6). Ces notions de rétinotopie et de magnification corticale font une fois de plus appel à la notion de champ récepteur. Le champ récepteur d’un neurone de V1 peut se définir comme étant la région de l’espace visuel pour laquelle une modification lumineuse entraîne une réponse de ce neurone. On comprend alors que, dans V1, le champ récepteur des neurones correspondant à la fovéa est très étroit.

3. L’organisation rétinotopique fait référence à l’organisation topographique des cellules sensibles à des stimuli visuels. Les cellules répondant à une stimulation visuelle venant d’une zone particulière du champ visuel sont localisées à côté de neurones dont le champ récepteur couvre des positions adjacentes. Ainsi, l’ensemble des cellules forme une carte topographique du champ visuel.

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Figure A.6 : Magnification corticale. Représentation de la partie non-grisée de l’image (champ visuel

gauche) au sein du cortex V1 controlatéral (droit). La représentation de l’image est inversée et le centre du champ visuel est largement surreprésenté (i.e. magnification corticale). D’après Wandell et al.[2007] employant un portrait de Isaac Newton déssiné par Godfrey Kneller en 1989.

La principale caractéristique des neurones de V1 est la sélectivité à l’orientation, c’est-à-dire le fait que ces neurones répondent préférentiellement à une barre ou un bord d’une certaine orientation à l’intérieur de leur champ récepteur [Hubel, 1959;Hubel and Wiesel,1962,1968]. En effet, Hubel and Wiesel[1962] ont enregistré, à l’aide d’électrodes, l’activité des neurones au sein de l’aire V1 chez le chat puis chez le primate non-humain [Hubel and Wiesel, 1968] et ont observé que les neurones répondaient préférentiellement à l’orientation des bords des stimuli. Ainsi, le codage de l’orientation particulière d’un stimulus se fait par l’activité d’une population distincte de neurones qui vont répondre à une orientation donnée. Bien que la plupart de ces neurones soient binoculaires, chaque neurone présente une sensibilité particulière à un œil [Bullier, 1998]. De plus, certains neurones répondent uniquement à l’information en provenance de l’un des deux yeux. Ce phénomène est connu sous le terme général de dominance oculaire et se réfère donc à l’organisation du cortex visuel primaire en colonnes de dominance oculaire. Notons toutefois qu’il est primordial de distinguer l’organisation de V1 en colonnes de dominance oculaire du phénomène de dominance oculaire qui renvoie à un phénomène de latéralisation du système visuel, que nous développerons au sein du Chapitre III. Un autre constat important est le fait que, dans des situations de rivalité binoculaire, les mêmes modulations hémodynamiques que celles observées dans le CGL [Haynes et al., 2005] ont été observées au sein de V1 [Wilson et al., 2001; Lee et al., 2005]. Ce

résultat indique que le processus de traitement de l’information visuelle, qui reflète une dominance et une suppression spécifiques à l’œil, constaté au sein du CGL [Haynes et al., 2005], est conservé au sein de V1.

C’est à la sortie de V1 qu’intervient la théorie dominante de la duplicité du sys-tème visuel (introduite par Ungerleider and Mishkin [1982]). Cette théorie identifie une séparation anatomique et fonctionnelle entre deux voies parallèles du traitement de l’in-formation au sein du système visuel qui sont connues sous les termes de voie ventrale et voie dorsale. La première est définie comme étant la voie du « quoi » et est dédiée à la transmission des informations dans différentes aires du lobe temporal. Les traite-ments effectués par cette voie ventrale permettent l’identification des objets. La seconde (i.e. la voie dorsale), identifiée comme étant la voie du « où » permet la transmission des informations au cortex pariétal postérieur (PPC). Les traitements effectués par cette voie permettent l’identification des propriétés spatiales et dynamiques de la scène visuelle. L’évolution de cette théorie s’intégrera dans cette ligne argumentaire et donnera naissance à l’idée selon laquelle ces deux voies du traitement de l’information seraient plus com-préhensibles en termes de sorties générées dans chaque voie plutôt qu’en termes d’entrées visuelles (Goodale and Milner[1992];Milner and Goodale[1995,2008] ; voir Figure A.7). Ainsi, Goodale et Milner proposèrent une distinction entre deux modes de sélection de la cible visuelle : la sélection pour la perception, gérée par la voie ventrale et la sélection pour l’action, gérée par la voie dorsale. Comme parfaitement résumé parDeplancke et al. [2010], la duplicité du système visuel (i.e. une voie de traitement pour l’action et une pour la perception) a très largement été corroborée par les études basées sur les illusions d’optiques (e.g. Aglioti et al. [1995];Gentilucci et al.[1996]; Zivotofsky [2004]; Króliczak et al. [2006]; Coello et al.[2007], les cas neuropsychologiques [Milner and Goodale, 1995; Goodale et al.,2005;Goodale,2008;Milner and Goodale, 2008] ou utilisant des amorces visuelles en dessous du seuil de détection [Bernstein et al., 1973; Taylor and McCloskey, 1990;Ogmen et al., 2003;Binsted et al., 2007;Cressman et al., 2007]. Par exemple, dans les études utilisant un masque visuel, ayant pour conséquence de réduire ou d’empêcher la

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visibilité de l’amorce (i.e. stimulus ayant pour objectif d’influencer le traitement des sti-muli ultérieurs), les réponses motrices peuvent être affectées par l’amorce bien que celle-ci ne soit pas perçue de manière consciente [Bernstein et al., 1973; Taylor and McCloskey, 1990;Ogmen et al.,2003;Cressman et al.,2007]. Ce constat démontre la capacité du sys-tème moteur à traiter une stimulation visuelle indépendamment de l’état perceptif associé à cette même stimulation visuelle [Pisella et al., 2000;Jáskowski et al.,2003].

Cependant, depuis les années 2000, cette forte dichotomie entre les deux voies de traitement du système visuel a été minorée par l’établissement d’un lien étroit entre per-ception et action lors des premières étapes du traitement visuel sous certaines conditions expérimentales. Rappelons que l’un des principaux arguments en faveur de la dissociation systématique entre perception et action, décrite précédemment, fut la mise en évidence de l’influence d’informations visuelles non-perçues consciemment sur les sorties motrices. Récemment, il a pourtant été démontré qu’à faible niveau de contraste de luminance entre le distracteur et le masque visuel (i.e. légèrement au-dessus du seuil perceptif), lorsque le distracteur latéralisé (i.e. stimulus visuel) n’était pas perçu consciemment, celui-ci n’induisait aucune déviation de la trajectoire des saccades oculaires [Cardoso-Leite and Gorea, 2009] ou de la main [Deplancke et al., 2010, 2013]. A contrario, dans le cadre de dispositifs expérimentaux strictement similaires, lorsque le contraste de luminance entre le distracteur et le masque visuel était élevé, le distracteur visuel induisait, de nouveau, une déviation de la saccade oculaire et de la trajectoire de la main, même lorsque celui-ci n’était pas détecté consciemment. Considérés conjointement, ces résultats mettent donc en lumière l’existence d’une influence précoce de la voie de traitement pour la perception sur la voie de traitement pour l’action, à faible niveau de contraste de luminance. Ainsi, cela suggère que la duplicité du système visuel ne serait pas si tranchée, mais que celle-ci serait plutôt dépendante des caractéristiques de la tâche à réaliser (voir Deplancke et al. [2013] pour une discussion étendue).

Figure A.7 : Représentation schématique des voies dorsale et ventrale dans le cortex hu-main. Projections cortico-corticales depuis V1 (1) vers le cortex pariétal postérieur (« posterior parietal cortex » ; 2) par l’intermédiaire de la voie dorsale et vers le cortex temporal inférieur (« inferotemporal cortex » ; 3) par l’intermédiaire de la voie ventrale. Tiré deGoodale[1998]