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Généralités et similitudes des transformations visuo- visuo-motrices

Chapitre II / Les transformations visuo-motrices

II.1. Généralités et similitudes des transformations visuo- visuo-motrices

Comme décrit dans le Chapitre I, l’information visuelle nécessaire à la réalisa-tion d’un mouvement visuellement guidé est, au départ, codée dans un référentiel rétinien (codage par rapport à la fovéa dans les aires visuelles primaires comme dans un grand nombre d’aires extra-striées). Par ailleurs, il a été clairement démontré que dans l’aire mo-trice primaire (M1), qui constitue, dans le cadre des mouvements volontaires, la principale sortie du cortex vers les effecteurs, les signaux ne sont pas organisés selon un référentiel rétinien [Fu et al., 1993; Riehle and Requin, 1995; Mushiake et al.,1997; Crammond and Kalaska, 2000]. Par l’intermédiaire de travaux de cartographie réalisés chez des patients épileptiques, Penfield and Bordley [1937] ont montré que chaque partie de M1 représente un territoire corporel propre : une stimulation électrique d’une partie de M1 provoque un mouvement de la partie du corps correspondante. Ainsi, il apparaît que, pour les mouve-ments manuels visuellement guidés, le SNC soit en charge de réaliser des changemouve-ments de

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repères pour obtenir un signal de position de la cible dans un repère centré sur l’effecteur avant que ce signal (codage spatial) puisse être transformé en commandes motrices pour les muscles à mobiliser (codage temporel : durée et fréquence de décharge)[Soechting and Flanders, 1992;Desmurget et al.,1998;Burnod et al.,1999; Crawford et al.,2004]. Cette transformation du cadre de référence rétinien en commandes musculaires repose sur l’im-plication de plusieurs aires constituant le circuit visuo-moteur, présenté schématiquement par la Figure A.9. Le « réseau bleu » de la Figure A.9 représente schématiquement les structures cérébrales et voies impliquées dans ces transformations visuo-motrices pour une motricité de la main. Les transformations visuo-motrices impliquées dans la motricité de l’œil ne nécessitent pas un changement de repères de la position de la cible initiale-ment codée dans un référentiel rétinien. Les transformations requises reviennent donc à transformer le signal spatial de la position de la cible par rapport à la fovéa en com-mandes musculaires. Le « réseau orange » de la Figure A.9 représente schématiquement les structures cérébrales et voies impliquées dans ces transformations.

Figure A.9 : Représenta-tion schématique des cir-cuits visuo-moteurs étudiés.

Les flèches noires montrent les af-férences visuelles depuis la rétine jusqu’au cortex visuel primaire. Les flèches bleues et orange re-présentent les circuits impliqués dans les transformations visuo-motrices ayant pour finalité un mouvement de la main ou de l’œil, respectivement. Le cercle gris re-présente le cortex pariétal posté-rieur (PPC). Pour des raisons de simplicité, le cervelet n’est pas re-présenté mais ses niveaux d’inter-vention sont matérialisés par les flèches vertes. Voir la « Liste des

Afin que les transformations visuo-motrices impliquées dans la motricité de la main ou de l’œil soient efficaces, un alignement correct des représentations sensorielles et motrices est nécessaire. Tel est le cas lorsque l’encodage des emplacements respectifs de la cible et celui du but du mouvement coïncident. Afin d’obtenir une solution correcte, le réseau neuronal mis en cause doit donc combiner l’entrée sensorielle de l’emplacement de la cible avec une seconde entrée relative à la position du bras ou des yeux [Bullock et al., 1993; Salinas and Abbott, 1995]. Bien que le doute subsiste sur la nature exacte des mécanismes de la transformation des informations codées dans les référentiels sensoriels en signaux interprétables en commandes motrices pour les effecteurs [Sparks, 1986; Flanders et al.,1992;Andersen et al.,1993; Pouget and Snyder,2000;Wurtz et al., 2001; Kakei et al., 2003; Smith and Crawford, 2005; Crawford et al., 2011], il est évident que ces mécanismes reposent sur l’intégration d’informations multimodales. Compte tenu de la réciprocité des connexions cortico-corticales (voir Chapitre I.2.4), la programmation des commandes motrices dans le cadre des transformations visuo-motrices s’apparente à un recrutement simultané de populations de neurones partageant les mêmes propriétés dans différentes aires corticales, plutôt qu’à un mécanisme sériel [Burnod et al., 1999]. Les résultats issus de la neurophysiologie indiquent que ces différentes populations de neurones peuvent s’apparenter à des nœuds de calcul, réciproquement inter-connectés, qui sont distribués sur un large réseau à travers les aires pariétales et frontales (voir Wise et al. [1997] et Caminiti et al. [1998] pour revues). En ce sens, ce réseau, appelé réseau pariéto-frontal, du fait de ses larges ramifications entre les cortex pariétaux et frontaux, peut alors être vu comme un « réseau de réseaux », dans lequel chaque nœud représente une population de neurones qui peut effectuer une opération différente [Burnod et al., 1999].

La réalisation d’un geste visuellement guidé nécessite la parfaite coordination entre les aires pariétales, notamment le cortex pariétal postérieur (PPC ; Fogassi and Luppino [2005]; Culham et al. [2006]) et frontales telles que le cortex prémoteur [Picard and Strick,2001;Chouinard and Paus,2006]. Plus spécifiquement, l’abondance de travaux

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électrophysiologiques menés sur le cortex pariétal de singes éveillés a révélé l’existence de régions distinctes à l’intérieur et autour du sillon intra-pariétal qui pourraient être responsables des interfaces sensori-motrices, chacune étant sélectivement ou de façon prédominante connectée à un système qui est spécifique à l’effecteur [Wurtz et al., 1982; Duhamel et al., 1992; Andersen et al., 1997; Gottlieb et al., 1998; Snyder et al., 1998; Colby and Goldberg,1999;Batista and Andersen,2001;Quian Quiroga et al.,2006]. No-tamment, l’aire intra-pariétale latérale (LIP) a été essentiellement associée aux réponses visuelles et à la planification et l’exécution des mouvements oculaires [Snyder et al.,1997; Ben Hamed et al., 2001]. Une région plus médiale de l’aire intra-pariétale (MIP ; plus généralement appelée PRR pour « parietal reach region ») jouerait un rôle primordial dans les mouvements de pointage et d’atteinte manuelle [Johnson et al., 1996; Kalaska et al., 1997; Cohen et al., 2002]. De manière intéressante quant à la compréhension du rôle fonctionnel du réseau pariéto-frontal, il apparaît que la connectivité anatomique de ces différentes régions de l’aire intra-pariétale avec différentes régions des aires frontales reflète la spécificité de leurs fonctions. En effet, LIP est essentiellement connectée avec les régions dorsales du cortex prémoteur (PMd) impliquées dans le contrôle des mouvements oculaires, tandis que PRR projette sur les régions dorso-caudales (PMdc) et ventro-caudales (PMvc) du cortex prémoteur qui sont respectivement impliquées dans le contrôle des mouvements du bras et de la main [Jones and Powell, 1970; Wise et al., 1997; Luppino et al., 1999; Tanné-Gariépy et al., 2002]. De plus, ces aires prémotrices répondent à des entrées sensorielles similaires à celles auxquelles répondent les aires pariétales avec lesquelles elles sont connectées [Matelli and Luppino, 2001]. Dans la même ligne argumentaire, il a été montré que les neurones de LIP projettent également sur les champs oculomoteurs frontaux (FEF pour « frontal eye fields » ; Ferraina et al.[2000,2002]) et sur les couches intermédiaires du colliculus supérieur (CSi ; Gnadt and Beyer [1998]; Ferraina et al. [2002]) qui sont connus pour constituer deux nœuds importants du réseau permettant le contrôle des mouvements saccadiques des yeux.

Certains travaux ont également souligné que cette séparation entre réseaux impliqués dans les transformations visuo-motrices pour une motricité manuelle ou oculaire n’était pas si stricte. Par exemple, il apparaît que certaines régions, pourtant assignées à un réseau spécifique à l’effecteur (i.e. la main ou l’œil), répondent également lors de la mise en action des transformations visuo-motrices impliquant l’effecteur non spécialisé [Snyder et al., 1997; Boussaoud et al., 1998; Fujii et al., 2000; Calton et al., 2002;Lawrence and Snyder,2006;Oristaglio et al.,2006;Thura et al.,2008]. Notamment, LIP et PRR ne sont finalement pas entièrement spécifiques à un effecteur : les neurones de LIP répondent durant la planification des saccades mais également lors de la planification des mouvements d’atteinte tandis que les neurones de PRR répondent également lors des mouvements oculaires [Andersen and Cui, 2009]. La spécialisation fonctionnelle de ces aires est donc relative plutôt qu’absolue. Par ailleurs, les expérimentations menées en IRMf chez l’humain, qui étudient des populations neuronales plus larges comparées à celles étudiées chez le singe, ont également montré que l’idée d’une spécialisation de certaines aires à un effecteur en particulier dans le réseau pariéto-frontal était limitée [Medendorp et al.,2005;Connolly et al., 2007;Hagler et al., 2007;Levy et al.,2007]. Les travaux de neuro-imagerie de Medendorp et al. [2003, 2005] ont notamment permis de localiser une région bilatérale du PPC, appelée sillon intrapariétal rétinotopique (retIPS), qui montre une représentation topographique controlatérale, à la fois des cibles des saccades et des cibles des mouvements de pointage, et qui est capable de mettre à jour l’information dans des coordonnées centrées sur l’œil à chaque fois que ceux-ci bougent. De plus, il apparaît que l’adaptation de l’amplitude de saccades volontaires, induite par l’utilisation d’un paradigme de double saut, est transférable aux mouvements de pointages manuels [Cotti et al., 2007, 2009]. Ce transfert de l’adaptation d’un système à l’autre constitue une preuve supplémentaire que certaines aires du réseau pariéto-frontal ne sont pas spécifiques à un seul effecteur.

D’un point de vue plus spéculatif, on pourrait ajouter que dans une machinerie aussi efficace que le cerveau humain, qui cherche à minimiser l’énergie métabolique

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nécessaire à chaque action [Scholz and Schöner, 1999], il eut été étonnant de posséder plusieurs voies totalement indépendantes tandis que le codage des actions est relativement semblable et que seule la finalité (i.e. l’effecteur) constitue la différence majoritaire. Bien que les mouvements oculaires et manuels engagent des muscles différents et que ceux-ci requièrent donc des commandes neuronales dissociées au niveau de l’activation musculaire, il est moins évident de savoir à quel degré le circuit pariéto-frontal impliqué dans la planification et la sélection des mouvements oculaires est différent de celui impliqué dans les mouvements manuels [Colby and Goldberg,1999;Andersen and Buneo, 2002;Levy et al., 2007].

Une étude de Beurze et al. [2009], menée en IRMf chez l’humain, a apporté un premier élément de réponse à cette interrogation en comparant les activations corticales induites durant la planification, soit d’un mouvement d’atteinte manuelle soit d’une saccade oculaire. Ces auteurs ont pointé du doigt la nécessité de mettre en place une expérimentation permettant de manipuler de manière distincte la sélection de l’effecteur et le traitement du but de la tâche. Pour ce faire, ils ont mis en place un paradigme comprenant deux étapes d’instruction décalées dans le temps : une instruction, liée à l’effecteur, indiquait si le mouvement devait être effectué avec les yeux ou avec la main tandis que l’autre, dispensée 3 à 5 secondes plus tard, indiquait la localisation de la cible à atteindre (à gauche ou à droite du point de fixation). L’ordre de présentation de ces deux instructions était randomisé. Deux à six secondes après que les deux infor-mations eurent été données, un signal visuel apparaissait, indiquant que le mouvement pouvait être initié. Les enregistrements IRMf étaient effectués durant cette période de planification du mouvement. Lorsque l’information liée à l’effecteur était présentée en premier et que l’information concernant la cible à atteindre restait inconnue, un large réseau pariéto-frontal était recruté, et ce quel que soit l’effecteur impliqué dans la tâche. A contrario, lorsque l’information concernant le but spatial était présentée en premier et que l’effecteur à mobiliser n’était pas spécifié, l’activation de ce même réseau pariéto-frontal montrait un recrutement dépendant de la localisation de la cible à

atteindre. Par conséquent, durant la première phase des transformations visuo-motrices, les buts spatiaux apparaissent être traités par des processus cérébraux distincts tandis que la sélection entre mouvement oculaire et manuel (i.e. spécificité liée à l’effecteur) n’est pas dissociée. Lors de la seconde phase des transformations visuo-motrices, lorsque le but spatial et l’effecteur à mobiliser étaient tous les deux connus, un large chevauchement des circuits neuronaux impliqués dans la planification des mouvements oculaires et manuels, ainsi que plusieurs aires montrant une préférence marquée pour un effecteur ont été observés. Au-delà du fait que cette expérimentation renforce les précédents travaux ayant montré que la séparation entre les aires essentiellement dévolues à la motricité de l’œil (LIP ; FEF) ou à la motricité manuelle (PRR ; PMdc) n’était pas si tranchée, elle nous renseigne également sur le degré de spécificité lié à l’effecteur des aires corticales du réseau pariéto-frontal. Ainsi, il apparaît que le degré de spécificité lié à l’effecteur est limité dans beaucoup d’aires corticales et transite graduellement d’une préférence pour les saccades oculaires (i.e. motricité de l’œil) vers les mouvements d’atteinte manuelle en suivant la hiérarchie des aires dans les cortex occipitaux, pariétaux et frontaux (voir également Levy et al.[2007]). Dans cette même ligne argumentaire, une autre étude IRMf a mis en évidence l’existence d’un gradient au sein du PPC, avec des activations visuelles supérieures pour les saccades dans les lobes occipitaux et les parties postérieures du PPC, des réponses équivalentes entre saccades oculaires et atteinte manuelle dans le PRR, et dans le lobe pariétal supérieur (SPL) et finalement uniquement des réponses à l’atteinte manuelle dans l’aire intra-pariétale antérieure (AIP ; Filimon et al. [2009]; Filimon [2010]). En accord avec l’idée soulevée parAndersen and Buneo [2002], l’ensemble de ces résultats soutient donc l’idée selon laquelle la planification des actions de différents effec-teurs prend place dans un cadre de référence commun (voir égalementBeurze et al.[2006]).

Notons que la grande majorité de ces expérimentations étaient basées sur des mouvements d’atteinte manuelle. Cependant, dans le cadre de nos travaux, il est impor-tant de rappeler que même les mouvements les plus simples (e.g. flexion-extension de l’index) entraînent l’activation des réseaux que nous venons de détailler. En effet, il a

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été montré que des mouvements tels que la flexion et l’extension des doigts activent des pans substantiels des aires pariétales postérieures et frontales, en plus des aires somato-sensorielles primaires évidemment impliquées [Fink et al.,1997;Filimon, 2010].