• Aucun résultat trouvé

Bases neurophysiologiques et implications fonctionnelles

Chapitre II / Les transformations visuo-motrices

II.4. Le transfert interhémisphérique

II.4.3. Bases neurophysiologiques et implications fonctionnelles

Bases neurophysiologiques du transfert interhémisphérique

La communication interhémisphérique est le mécanisme par lequel chaque hémi-sphère peut avoir accès à une information dont le traitement cortical avait initialement été latéralisé. D’après Whitteridge [1965], le rôle le plus important et indéniable du CC est l’unification des représentations des hémi-espaces droit et gauche qui permet la création d’une perception complète, homogène et cohérente du monde par l’intermédiaire des modalités visuelles, tactiles et auditives. Chez l’animal, il a été montré que le splénium (partie la plus postérieure du CC ; voir Figure A.18) possède de vastes projections vers les aires corticales postérieures et notamment vers les aires visuelles extra-striées (BA 18 et 19 ; Pandya and Seltzer [1986]; Rockland and Pandya [1986]) et pourrait donc être responsable de l’intégration des informations visuelles. Par l’intermédiaire des récentes techniques DTI, cette conception d’une connexion entre le splénium et le cortex occipital, mais aussi les cortex pariétal et temporal, a été étendue à l’humain [Hofer and Frahm, 2006; Zarei et al., 2006; Park et al., 2008; Chao et al., 2009; Berlucchi, 2014] menant ainsi à penser que cette partie du CC joue un rôle critique dans la communication

Cadre théorique : Les transformations visuo-motrices

interhémisphérique entre les aires visuelles.

En se basant sur ces résultats, Putnam et al. [2010] se sont proposés de tester directement l’hypothèse selon laquelle l’asymétrie du TTIH serait causée par une asy-métrie au niveau des fibres calleuses [Marzi et al., 1991; Bisiacchi et al., 1994; Brown et al., 1994]. Pour cela, ils ont effectué des enregistrements du splénium par DTI chez 21 participants. Rappelons que le DTI permet d’étudier la diffusion passive des molé-cules d’eau à travers les tissus afin d’en inférer l’orientation des faisceaux d’axones, in vivo [Le Bihan et al., 2001; Melhem et al., 2002]. Par conséquent, par l’intermédiaire de cette technique, il est possible de connaître la proportion de connexions unidirectionnelles d’une structure corticale. De manière intéressante, les résultats de Putnam et al. [2010] établissent, pour la première fois, l’existence d’une asymétrie hémisphérique au niveau des connexions du splénium entre les hémisphères droit et gauche (Figure A.23). En effet, leurs résultats montrent une connectivité spléniale plus importante de l’hémisphère droit vers l’hémisphère gauche que dans la direction opposée (voir également Zarei et al. [2006] pour une tendance similaire). De plus, il semblerait que les BA 18 et 19 (i.e. aires visuelles extra-striées) soient majoritairement responsables de cette asymétrie. Ainsi, sa-chant que l’asymétrie du TTIH mesurée sur les sites pariétaux semble refléter le transfert interhémisphérique de l’information visuelle (Chapitre II.4.2), cette asymétrie au niveau des fibres calleuses du splénium pourrait constituer un substrat neurophysiologique des asymétries du TTIH.

Figure A.23 : Proportions de connexions unidirectionnelles du splénium par aire de Brod-mann. Pour chaque aire de Brodmann représentée sur la partie grisée du panneau de gauche, les

pro-portions de connexions unidirectionnelles de gauche à droite (barre grise) et de droite à gauche (barres noires) sont représentées sur le panneau de droite. Adapté dePutnam et al.[2010].

Notons également que, contrairement à ce que les études menées sur l’animal avaient démontré (i.e. absence de connexions calleuses entre les aires visuelles primaires ; Myers [1962];Pandya and Seltzer[1986]), certains participants présentent des connexions directes entre les cortex visuels primaires (BA 17). Putnam et al. [2010] ont suggéré que ces connexions, présentent chez un tiers des participants, pourraient constituer une partie de l’explication de la forte variabilité interindividuelle anatomique reportée. Cette variabilité interindividuelle s’avère être intéressante puisqu’une de nos contributions expérimentales (Article III) nous permet de proposer que la dominance oculaire pourrait constituer un facteur explicatif de celle-ci.

Cependant, nous pouvons nous demander s’il n’est pas hasardeux d’établir un lien si direct entre les mesures de la structure des fibres calleuses réalisées par DTI et les mesures du TTIH qui étudient un processus neuronal dynamique et fonctionnel. La réponse à cette question a été apportée récemment par deux études ayant réalisé simultanément des enregistrements DTI et EEG. Whitford et al. [2011] ont mis à jour l’existence d’une relation linéaire entre la mesure de l’anisotropie fractionnelle (FA), qui reflète des mécanismes tels que la myélinisation et la densité des axones dans le cerveau (e.g. Beaulieu[2002]; Blakemore[2012a]), et le TTIH mesuré en EEG au niveau des sites

Cadre théorique : Les transformations visuo-motrices

pariétaux. Les participants montrant les TTIHs les plus longs montraient également les valeurs FA les plus faibles (i.e. une faible densité ou myélinisation axonale). Dans la même ligne argumentaire, une étude très récente a montré une corrélation entre le TTIH mesuré en EEG sur les sites centraux et pariéto-occipitaux et la distribution de la densité des axones (mesurée par une technique IRMf appelée AxCaliber) dans les parties du CC responsables de ces transferts [Horowitz et al., 2014]. Un TTIH faible était donc associé à une densité de fibres calleuses élevée. Ces deux études semblent valider l’interprétation des résultats EEG à la lumière des expérimentations DTI et inversement.

D’autres associations, entre les variables du CC mesurées par imagerie et les mesures comportementales du CC, ont également été démontrées. Notamment, la FA mesurée au niveau du splénium se trouve être corrélée aux performances perceptivo-motrices [Sullivan et al., 2001] et est un bon prédicteur des TRs dans une tâche de détection visuelle (paradigme « oddball ») : plus la mesure FA au niveau du splénium est élevée, plus les TRs sont rapides [Madden et al.,2004]).

Implications fonctionnelles

Bien que l’origine de la spécialisation hémisphérique ne soit pas très claire et fortement débattue, elle reste aujourd’hui un centre d’intérêt majeur pour beaucoup de chercheurs. La grande majorité des auteurs s’intéressant aux mécanismes de la communica-tion interhémisphérique considèrent que le développement du CC joue un rôle fonccommunica-tionnel important dans l’induction de la spécialisation hémisphérique (Bloom and Hynd [2005]; Nowicka and Tacikowski[2011] pour revues ;Caparelli-Dáquer and Schmidt[1991]; Gazza-niga[2000];Doron and Gazzaniga[2008]). Le débat reste cependant ouvert sur la question de l’influence excitatrice ou inhibitrice du CC [Bloom and Hynd, 2005]. Certaines études suggèrent que le CC à une fonction excitatrice permettant l’intégration des informations en provenance des deux hémisphères. D’autres suggèrent que le CC représente la voie par laquelle chaque hémisphère exerce une action inhibitrice sur l’autre afin que celui étant spécialisé pour la tâche en cours puisse dominer l’autre. Cette action inhibitrice

permet-trait, par exemple, une indépendance entre les mains lors de l’exécution de mouvements bi-manuels asymétriques [Schnitzler et al.,1996].

D’un point de vue neuro-anatomique, la revue deBocci et al.[2014] nous rappelle que les fibres du splénium sont une population d’axones excitateurs ayant des diamètres variés qui inter-connectent des colonnes corticales ayant des propriétés fonctionnelles si-milaires. En ce sens, les fibres du CC peuvent exercer une action excitatrice. Cependant, les fibres du CC font également synapses sur des cellules GABAergiques résultant ainsi en une modulation inhibitrice des traitements visuels.

D’un point de vue fonctionnel, les altérations comportementales constatées lors-qu’une structure corticale est déficitaire ou, à plus forte raison, absente permettent de mieux connaître les fonctions dans lesquelles elle est impliquée. En ce qui concerne la communication interhémisphérique, l’absence totale de CC (i.e. patients « split-brain ») a permis de fournir une mine d’informations sur la fonction de cette structure chez l’homme (e.g. revue de Gazzaniga[2005]). Les patients dits « split-brain » montrent ce qui est ap-pelé un syndrome de déconnexion qui pourrait se résumer par l’absence de transfert calleux des différentes entrées sensorielles. Lorsqu’un mot est présenté à l’hémisphère droit (i.e. hémisphère non spécialisé pour la lecture) de patients « split-brain », ceux-ci se montrent incapables de lire le mot tandis qu’ils ne montrent aucun problème à lire ce même mot lorsqu’il est présenté à l’hémisphère gauche [Gazzaniga et al.,1965]. Ce simple fait montre que le CC est crucial pour transférer l’information d’un hémisphère à l’autre et que la communication interhémisphérique a donc un rôle excitateur. Cependant, Gazzaniga and Young [1967] ont également démontré que les singes « split-brain » bénéficiaient d’une plus grande capacité à répondre à une grande quantité d’informations visuelles en un temps donné que des singes normaux. Cette plus grande habileté chez les singes « split-brain » peut être interprétée comme une absence d’inhibition d’un hémisphère sur l’autre qui s’effectue normalement via le CC.

Au regard de ces expérimentations, le schéma le plus probable de la communica-tion interhémisphérique reste une coopéracommunica-tion entre fonccommunica-tions excitatrices et inhibitrices. En effet, les études morphologiques, physiologiques et neuropsychologiques ont apporté la

Cadre théorique : Les transformations visuo-motrices

démonstration que le CC est composé de différentes voies, chacune desservant différentes fonctions en lien avec leurs positionnements anatomiques [Clarke and Zaidel,1989; Hofer and Frahm, 2006; Nowicka and Tacikowski, 2011]. Ainsi, ce constat semble indiquer que le CC soit en mesure d’exercer simultanément une action inhibitrice et excitatrice selon les besoins de la tâche en cours.

La précieuse étude dePutnam et al.[2010] a permis de confirmer l’hypothèse ini-tialement posée par Marzi et al. [1991] et Brown et al. [1994] selon laquelle l’hémisphère droit projetterait un plus grand nombre de fibres calleuses vers l’hémisphère gauche com-paré à la direction inverse. Cette étude a également permis de montrer que cette asymétrie est particulièrement présente au niveau des fibres adjacentes aux aires extra-striées (BA 18 et 19) et apporte donc un premier corrélat anatomique à l’asymétrie du TTIH reportée au moyen des études comportementales et électrophysiologiques. Cependant, nous ver-rons que nos résultats suggèrent que cette asymétrie des fibres spléniales pourrait n’être vérifiable que sur une partie des droitiers. En effet, la forte variabilité interindividuelle reportée dans cette étude [Putnam et al., 2010], couplée au transfert interhémisphérique plus rapide de gauche à droite que dans la direction inverse que nous observons chez les droitiers OD gauche suggèrent que cette population pourrait montrer des résultats diffé-rents au niveau de la connectivité du splénium (Article III). Vient alors la question de la genèse et de l’utilité de cette asymétrie au niveau des fibres calleuses du splénium.Putnam et al.[2010] ont, par exemple, proposé que la connectivité interhémisphérique asymétrique ainsi que l’asymétrie du TTIH pourraient étayer la supériorité de l’hémisphère droit pour les traitements perceptifs de haut niveau. Cette proposition est consolidée par Koch et al. [2011] qui ont démontré que le PPC droit, mais non le gauche, exerce une forte influence inhibitrice sur le PPC controlatéral et que cette influence est médiée par des projections calleuses localisées dans la partie postérieure du CC.

Une fois encore, il est nécessaire d’étudier les troubles du fonctionnement d’une structure corticale pour tenter d’en comprendre son rôle fonctionnel. Certains troubles de la lecture (i.e. dyslexie) et troubles mentaux (e.g. schizophrénie) ont été reliés à une altération du CC. Notamment l’étude de la communication interhémisphérique chez les patients souffrant de schizophrénie possède une forte valeur informative.

La schizophrénie a souvent été associée à un dysfonctionnement de la latéralisa-tion corticale [Mitchell and Crow, 2005; Ribolsi et al., 2014a]. Par ailleurs, notamment par l’intermédiaire des études EEG menées par Barnett et ses collaborateurs (voir