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Le corporate governance et le droit tunisien

Dans le document Les privatisations en Tunisie (Page 193-199)

PROGRAMME DE PRIVATISATION

Paragraphe 2 Le corporate governance et le droit tunisien

264. Depuis les années 1990, la Tunisie s’est inscrite dans l’économie de marché, et le but des pouvoirs publics a été d’en faire un marché attractif pour les investisseurs étrangers. La référence au corporate governance constituait une exigence de modernisation économique, la Tunisie a modernisé son dispositif législatif afin d’y inclure les règles de gouvernance d’entreprise (A). L’idée du gouvernement d’entreprise tunisien est de garantir aux investisseurs la transparence des informations financières divulguées ainsi que la bonne gestion dans les entreprises, y compris les entreprises privatisées (B).

A/ La réception de la doctrine de corporate

governance par le droit tunisien

265. À la suite des scandales financiers américains, la Tunisie a voulu, elle aussi, harmoniser son dispositif de contrôle à travers le renforcement de la gouvernance des entreprises tunisiennes.

En 2005639, les pouvoirs publics ont décidé de légiférer sur la question du renforcement de la

sécurité des relations financières. Cette loi a apporté des nouveautés en métamorphosant la pratique des affaires en Tunisie, mais selon certains experts, elle présente des insuffisances640.

Des experts-comptables tunisiens ont soulevé la question de l’opportunité de cette loi641, en

637 Dir. 78/660/CEE, 25 juill. 1978, concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés, et Dir.

83/349/CEE, 13 juin 1983, concernant les comptes consolidés.

638 J.-J. CAUSSAIN, Le gouvernement d’entreprise, Litec, 2005, p. 75.

639 L. n° 96-2005, 18 oct. 2005, relative au renforcement de la sécurité des relations financières.

640 Conclusion de la rencontre organisé sur l’initiative du Centre tunisien de la gouvernance d’entreprise, 20 oct.

2010.

641 Lors de la conférence organisée par le Centre tunisien de la gouvernance d’entreprise sur le thème « Loi

relative au renforcement de la sécurité des relations financières : état des lieux cinq ans après », 20 oct. 2010, site : www.centregouvernance.com.

soutenant que la Tunisie n’est pas comparable aux États-Unis ou à la France, où les scandales financiers et des manœuvres frauduleuses avaient tendance à se multiplier. Est-il nécessaire d’adopter en Tunisie une loi sur la sécurité des relations financières ? Selon un intervenant642,

le but majeur de la promulgation de cette loi a été de doter la Tunisie d’un dispositif législatif moderne, afin de lui permettre de rejoindre le réseau des pays disposant d’une sécurité financière. Selon un orateur643, la loi du 18 octobre 2005 est venue rassurer les opérateurs

économiques, les investisseurs, les épargnants et les actionnaires à un moment où le monde des affaires était de plus en plus inquiet à la suite de la succession des scandales financiers, des crashs boursiers et des faillites.

266. Les apports de la législation tunisienne en matière de corporate governance concernent le renforcement du droit de contrôle des actionnaires, l’indépendance du commissaire aux comptes, l’instauration d’un comité d’audit, la dynamisation de la fonction du registre du commerce avec l’obligation d’y déposer les états financiers annuels et la modification de l’obligation de communication financière à la charge des organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Malgré toutes ces nouvelles dispositions, le législateur tunisien n’est pas allé jusqu’au bout, dans la mesure où la loi n’a pas prévu la mise en place d’organismes de surveillance, veillant au contrôle de l’application de ces nouvelles règles. Or, la Tunisie s’est fortement inspirée, lors de l’élaboration de la loi de 2005, de la loi américaine Sarbanes-Oxley644 et de la loi française sur la sécurité financière645.

La loi relative au renforcement de la sécurité des relations financières a été complétée par une loi sur l’initiative économique646 et plus récemment par une loi de 2009647, modifiant et

complétant le code des sociétés commerciales, afin de rendre le droit tunisien conforme aux normes internationales de bonne gouvernance des sociétés. L’intervention législative de 2007 avait pour but de remédier à certains défauts des textes antérieurs concernant la fraction du capital nécessaire aux actionnaires afin d’exercer leur droit à l’information et à la communication des documents sociaux. De plus, ce texte introduit pour les sociétés anonymes la procédure d’expertise de gestion, qui n’était prévue que pour les sociétés à responsabilité

642 Expert-comptable, F. Derbal.

643 M. Fessi, expert-comptable, également.

644 L. n° 107-204, 116 Stat. 745, 31 juill. 2002, sur la sécurité financière, dites loi Sarbanes-Oxley. 645 L. n° 2003-706, 1 août 2003, sur la sécurité financière.

646 L. n° 2007-69, 27 déc. 2007, sur l’initiative économique.

limitée. L’apport de la loi de 2009 a consolidé la protection des actionnaires ainsi que la responsabilité des dirigeants à l’égard des associés et des tiers.

267. Parallèlement aux interventions législatives, le centre tunisien de la gouvernance d’entreprise a rédigé en 2007 un guide de bonnes pratiques de gouvernance des entreprises tunisiennes648. Il est régulièrement mis à jour en prenant en compte les dernières tendances

dans le domaine de la corporate governance et en vue d’inclure dans son champ les sociétés à responsabilité limitée et les entreprises familiales qui présentent un aspect spécifique de gouvernance d’entreprise.

Parmi les mesures phares que prône le guide de bonnes pratiques de gouvernance, à l’instar de celui de la plupart des pays du monde, on remarque la séparation de la fonction de président du conseil d’administration de celle de directeur général. Mais, dans la pratique, cette séparation a du mal à gagner du terrain dans les entreprises tunisiennes. Notons que le législateur tunisien, depuis 2000, offre la possibilité aux entreprises souhaitant appliquer la séparation stricte entre les fonctions de gestion de celles de contrôle, d’opter pour la structure dualiste du directoire et du conseil de surveillance649.

268. Malgré tous les efforts fournis par les autorités publiques et les réformes institutionnelles en matière de corporate governance, les dirigeants tunisiens sont réticents à adopter les bonnes pratiques de la gouvernance. Ceci est dû en partie à la faible exposition des entreprises tunisiennes aux forces du marché international, ce qui les prive de stimulations pour évoluer vers les meilleures pratiques de gouvernance. Néanmoins, quelques entreprises tunisiennes, notamment les grandes entreprises privées, ont réalisé des progrès dans le domaine de la gouvernance d’entreprise, ce qui n’est pas le cas pour les petites entreprises familiales. En effet, la structure familiale du capital de ces entreprises est l’obstacle majeur pour l’adoption des pratiques de gouvernance d’entreprise. Dans ce type de structure, ce sont les actionnaires fondateurs qui détiennent les postes décisionnels et dirigent leurs affaires au détriment des intérêts des créanciers et des actionnaires minoritaires.

648 Guide référencé au centre européen de gouvernance d’entreprise et auprès des organismes internationaux, tels

que la Société financière internationale (SFI) et l’Organisation des coopérations et de développement économique (OCDE).

649 L. n° 2000-93, 13 nov. 2000, portant promulgation du code des sociétés commerciales, codifié à l’art. 224 du

B/ L’assimilation des pratiques de bonne gouvernance en Tunisie

269. Les lois tunisiennes en matière de corporate governance ont été établi dans le double objectif d’assurer une gestion transparente et une gestion efficace, le but étant de rétablir la confiance des épargnants, investisseurs et bailleurs de fonds en leur assurant un maximum de sécurité et en limitant toute possibilité de les induire en erreur quant à la santé financière de la société qui les intéresse. Précédemment, la manipulation pouvait se produire grâce à la divulgation de fausses informations financières650 ainsi qu’à l’absence de dispositifs de

contrôle au sein de l’entreprise. Se pose donc la question de savoir quel est le meilleur moyen qui puisse à la fois assurer la fiabilité des informations financières et de sécuriser la gestion.

270. Le premier objectif, c’est-à-dire la divulgation d’informations fiables, passe par la diffusion en temps utile des données exactes sur la santé financière, la rentabilité et le type de gouvernance de l’entreprise. Le droit à l’information est exercé par les associés lors des assemblées générales afin de leur permettre de voter en toute connaissance de cause. Ainsi, ce droit à l’information est un droit naturel, reconnu à tout associé indépendamment de la condition de détention d’un minimum du capital social651. Néanmoins, avec la loi du 3

novembre 2000, le législateur est venu restreindre ce droit lorsqu’il s’agit d’une société anonyme. L’article 284 du code ces sociétés commerciales dispose qu’un ou plusieurs actionnaires, détenant au moins cinq pour cent du capital de la société anonyme ne faisant pas appel public à l’épargne, ou trois pour cent pour celle faisant appel public à l’épargne652, ont le

droit d’obtenir, à tout moment, copie des états financiers, des rapports des commissaires aux comptes relatifs aux trois derniers exercices653, des procès verbaux ainsi que les feuilles de

présence des assemblés générales tenues au cours des derniers exercices. L’exigence d’une participation dans le capital social a un fondement économique, puisque la généralisation du droit à l’information à tout actionnaire risque de nuire à la société. En effet, la divulgation

650 Par exemple, en publiant des résultats bénéficiaires attractifs alors que l’entreprise est déficitaire, ou en

minimisant les engagements financiers, alors que l’entreprise est surendettée.

651 Code des sociétés commerciales, art. 11.

652 En 2000, le pourcentage était de dix pour cent, L. n° 69-2007, 27 déc. 2007, relative à l’initiative

économique, a réduit le pourcentage de capital requis.

653 Avant la L. 2009-16, 16 mars 2009, modifiant et complétant le Code des sociétés commerciales, l’article ne

d’informations d’une certaine importance à des concurrents peut avoir des effets économiques néfastes.

Par ailleurs, la réforme de 2007654 a assoupli le régime du droit de documentation en énonçant

que le seuil de participation requis pour l’exercer peut être atteint par l’actionnaire individuellement ou conjointement avec d’autres actionnaires, ce qui n’était pas le cas sous le régime de la loi ancienne, la demande devant émaner d’un seul actionnaire détenant dix pour cent du capital.

La loi relative au renforcement de la sécurité des relations financières655 a élargi le droit à

l’information à d’autres parties prenantes656. Ainsi, l’information doit également parvenir à la

banque centrale tunisienne, au conseil du marché financier et à la bourse des valeurs mobilières de Tunis.

271. Le deuxième objectif, à savoir l’efficacité du système de gestion, est l’un des piliers de la bonne gouvernance d’une entreprise. Il existe deux types de contrôle de la gestion d’une entreprise : le contrôle interne et le contrôle externe.

Le contrôle interne est exercé grâce à la séparation des pouvoirs ainsi qu’à la présence d’organes au sein de l’entreprise. La séparation des pouvoirs consiste en une distinction réelle entre le pouvoir de détention et le contrôle, d’une part, avec la possibilité de dissocier les fonctions de président de celle de directeur général, d’autre part, avec l’introduction dans le code des sociétés commerciales de la société anonyme dualiste, avec directoire et conseil de surveillance.657

De plus, le contrôle interne est assuré grâce à la présence d’organes tels que les administrateurs indépendants, les comités et les commissaires aux comptes. L’existence d’administrateurs indépendants658 au sein du conseil a pour vocation de défendre au mieux les

intérêts des actionnaires puisqu’ils sont présumés plus impartiaux dans d’éventuelles situations de conflits d’intérêts. La qualité d’actionnaire n’est pas nécessaire pour être

654 L. n° 2007-69, 27 déc. 2007, relative à l’initiative économique.

655 L. n° 96-2005, 18 oct. 2005, relative au renforcement de la sécurité des relations financières. 656 En anglais, les stakeholders.

657 L. n° 2000-93, 13 nov. 2000, portant promulgation du code des sociétés commerciales, codifié à l’art. 224 et

s. du Code des sociétés commerciales.

658 Selon le guide de bonnes pratiques de gouvernance, l’administrateur indépendant est une personne libre de

membre du conseil d’administration. Néanmoins, dans la pratique, ce concept d’administrateur indépendant n’est pas encore entré dans les mœurs des entreprises tunisiennes.

La présence de comités spécialisés au sein de l’entreprise, constituant un contre-pouvoir, a été instituée par la loi sur la sécurité financière659. En effet, le comité d’audit660 est chargé de

contrôler les comptes et de proposer la nomination du ou des commissaires aux comptes. Il est composé de trois membres au moins, désignés selon le cas par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance parmi leurs membres. Ne peuvent être membres du comité permanent d’audit, le président-directeur-général et le directeur-général ou le directeur- général-adjoint. Le comité de rémunération a pour fonction de contrôler le montant des rémunérations et avantages, quelle que soit leur forme, des administrateurs et dirigeants. Le comité de sélection a pour mission de sélectionner les futurs administrateurs et dirigeants de la société.

La désignation d’un commissaire aux comptes est obligatoire pour les sociétés anonymes, depuis la loi sur la sécurité financière661. Ceux-ci sont des experts-comptables ou des

techniciens en comptabilité, ils ne peuvent être nommés administrateurs ou membres du directoire des sociétés contrôlées pendant les cinq années qui suivent la cessation de leurs fonctions662.

L’expertise de gestion traduit le contrôle externe de la gestion d’une société. La réforme de 2007 relative à l’initiative économique a introduit un article 290 bis au code des sociétés commerciales qui a étendu à la société anonyme l’expertise de gestion, mesure qui n’était initialement prévue que pour les sociétés à responsabilités limitée. D’après cet article, un ou plusieurs actionnaires détenant au moins dix pour cent du capital social peuvent, individuellement ou conjointement, demander au juge des référés la nomination d’un expert ou d’un collège d’experts qui a pour mission de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. Le rapport d’expertise est largement diffusé, puisque qu’il est communiqué au demandeur, au ministère public, au conseil du marché financier si la société

659 L. n° 96-2005, 18 oct. 2005, relative au renforcement de la sécurité des relations financières. 660 C. soc. com., art. 256 bis.

661 L. n° 96-2005, 18 oct. 2005, préc.

fait appel public à l’épargne, et également aux organes de gestion et de contrôles. De plus, il est mis à la disposition des autres actionnaires en vue de la future assemblée générale.

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