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Le groupement d’actionnaires stables

Dans le document Les privatisations en Tunisie (Page 170-175)

PROGRAMME DE PRIVATISATION

Paragraphe 1 Le groupement d’actionnaires stables

233. Les privatisations se traduisent par des cessions ou échanges de titres, vente de droits préférentiels ou renonciation à de tels droits, qui sont en principe réalisés sur le marché financier. Elles peuvent aussi être réalisées hors marché. La cession négociée d’une partie des titres permet de choisir les futurs acquéreurs (A) afin de stabiliser l’actionnariat après la privatisation (B).

A/ Le choix des futurs acquéreurs

234. La loi du 6 août 1986 dispose que si la cession de titres s’opère en principe selon les procédures de marché, le ministre de l’Économie peut toutefois décider de faire appel à des procédures hors marché. Ainsi, quand les privatisations sont réalisées hors marché, c’est-à- dire de gré à gré, le ministre chargé de l’Économie, sur avis de la Commission des participations et des transferts, choisit le ou les futurs acquéreurs et les conditions de cession534. Après une modification législative, ce choix des futurs acquéreurs est soumis à

l’appréciation de la Commission, son avis liant le ministre de l’Économie. Cette procédure d’avis conforme, issue de la loi de 1993535, est une innovation par rapport au régime de 1986.

En effet, elle fait suite aux critiques émises lors des privatisations de 1986-1987 contre le pouvoir discrétionnaire dont disposait le ministre en vertu de l’ancien article 4 de la loi de 1986, qui lui permettait de choisir des acquéreurs hors marché après un simple avis de la Commission, et qui se traduisait par la constitution de « noyaux durs trop atomisés »536. Ainsi,

la compétence ministérielle, qui était auparavant discrétionnaire, devient liée.

La Commission joue désormais un rôle déterminant dans les opérations de gré à gré, puisque le choix des acquéreurs des entreprises à privatiser et les conditions de la cession ne peuvent être arrêtés que par le ministre sur avis conforme de la Commission.

235. Selon le Conseil Constitutionnel537, le choix des acquéreurs ne doit « procéder d’aucun

privilège ». Cette décision met à la charge de l’État vendeur des contraintes spécifiques. Un décret en Conseil d’État fixe les règles de procédure de la cession et les règles de publicité auxquelles elle est soumise. Afin de garantir l’égalité de traitement des candidats, trois types de procédure sont prévus. En cas de privatisation, l’État doit agir par le biais d’un appel d’offres, avec cahier des charges538 ou sous le contrôle d’une personnalité indépendante539.

534 La loi française du 6 août 1986, prévoit en son article 4, al. 2 « qu’outre les cessions et échanges de titres

réalisés suivant les procédures des marchés financiers, (…) le ministre chargé de l’économie peut choisir l’acquéreur hors marché après avis de la Commission des participations et des transferts (…) ».

535 L. n° 93-923, 19 juill. 1993, relative aux privatisations.

536 J.-P. VALUET, « Privatisation et société privatisée », Rép. sociétés, avr. 1999, p. 11.

537 Cons. const., décision n° 86-207, 25 et 26 juin 1986, Loi d’habilitation autorisant le gouvernement à opérer la

privatisation d’entreprises publiques par voie d’ordonnances, Rec., p. 61.

538 V. sur ce point : S. ALBERT et C. BUISSON, Entreprises publique. Le rôle de l’État actionnaire, La

documentation française, 2002, p. 88.

539 Le ministre peut nommer une personnalité indépendante en charge d’établir un rapport sur les conditions et le

déroulement de l’opération. Cette procédure reste peu employée, plutôt pour des entreprise de petite taille (Ex. : pour la Compagnie Française de Navigation Rhénane en 1996).

Lorsqu’il est question d’une cession minoritaire, est prévue la procédure de l’accord de coopération industrielle, commerciale ou financière. Mais cette procédure ne peut pas emporter privatisation de l’entreprise concernée, c’est-à-dire qu’il ne peut pas y avoir accord conduisant au passage des participations publiques en dessous du seuil de la majorité du capital. Pour un tel passage, il est impératif de recourir à la procédure de mise sur le marché ou de cession de gré à gré avec appel d’offres540.

Ces différentes procédures font l’objet d’une publication au Journal Officiel, ce qui garantit la transparence de l’opération en la rendant publique. Un candidat écarté peut saisir le juge administratif, celui-ci exerçant sur les actes de cession un contrôle poussé au regard du principe d’égalité. À cela s’ajoute le contrôle de la Commission européenne, qui incite à ce que la privatisation ne comporte aucun élément d’aide au profit des acquéreurs.

236. Chaque opération de privatisation comportant des ventes de gré à gré doit être réalisée selon une certaine procédure541. Un cahier des charges est établi par le ministre de l’Économie

qui détermine les conditions que doivent remplir les éventuels acquéreurs ainsi que la procédure de sélection. D’une part, les acquéreurs doivent accepter que 80 % des actions qui leur sont octroyées soient inaliénables durant les deux premières années ; de plus, durant les trois années suivantes, toute cession éventuelle de ces actions doit être soumise à autorisation préalable du conseil d’administration de la société privatisée. D’autre part, c’est le ministre lui-même qui choisit et définit les acquéreurs, après une présélection, pour vérifier que certaines garanties sont satisfaites.

La vente de gré à gré par appel d’offres, s’effectue, pour les actionnaires membres du groupe d’actionnaires stables, à un prix légèrement supérieur à celui de l’offre publique, prenant en compte ainsi l’intérêt que constitue le bloc d’actions cédées, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel542. Le juge constitutionnel a affirmé que les noyaux durs ne

heurtent aucune règle ou objectif de valeur constitutionnelle, pour autant que des précautions suffisantes ont été prises pour garantir le pluralisme au sein d’une société privée qui ne dispose d’aucun monopole.

540 S. ALBERT et C. BUISSON, op. cit., p. 88.

541 D. ENCAOUA et J-J. SANTINI, « Les privatisations en France : éléments d’analyse et bilan », L’actualité économique, 1989, vol. 65, p. 32.

Même si le débat reste très politique, l’enjeu du pouvoir économique qu’il comporte est considérable. En effet, les sociétés privatisées sont, pour la plupart d’entre elles, des holdings financiers détenant des portefeuilles de titres importants et offrant l’accès au contrôle d’autres sociétés. De plus, par le jeu des participations croisées et circulaires, un capitalisme financier à la française ressurgit, dans lequel quelques groupes de financiers liés par une communauté d’intérêts contrôlent les plus grands groupes industriels.

B/ La stabilisation de l’actionnariat après la privatisation

237. L’idée était que les entreprises nouvellement privatisées devaient inclure des groupes d’actionnaires stables. De même que le gouvernement de 1986, les gouvernements suivants étaient soucieux de ne pas laisser ces entreprises à la merci de toute acquisition hostile qui aurait permis l’éparpillement de leur actionnariat. La recherche d’un groupe d’actionnaires stables répond à l’objectif d’une stabilisation de l’actionnariat et à celui d’un « capitalisme à la française »543 où les grandes entreprises sont souvent liées les unes aux autres par des

participations croisées. Ainsi, l’objectif de la constitution d’un groupe d’actionnaires stables est de garantir la cohésion et la stabilité du capital dans le cadre de la privatisation544.

Le pouvoir discrétionnaire laissé au ministre chargé de l’Économie lors de ces opérations a fait l’objet de nombreuses critiques. Cette procédure a été attaquée par l’opposition socialiste, qui y a vu un moyen pour le ministre de confier la direction des entreprises nouvellement privatisée en fonction des affinités politiques545. Dés lors, le changement de majorité politique

en 1988 a été marqué par le début de mise en œuvre d’une politique de fin des « noyaux durs » existants. En effet, la loi dite « de dénoyautage » du 10 juillet 1989546 a ajouté à l’article

10 de la loi du 6 août 1986 un paragraphe prévoyant, jusqu’au 31 décembre 1992, une obligation de déclaration au ministre lorsque le seuil de 10 % est franchi, avec la possibilité pour le ministre de s’y opposer « si la protection des intérêts nationaux l’exige ».

543 F. DION (coord.), Les privatisations en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Italie, Les études

de la Documentation française, Paris, 1995, p. 64.

544 C. BAJ, « Privatisation : les groupes d’actionnaires stables », RD bancaire et bourse, janv.-févr. 1994, p. 8. 545 V. sur ces critiques R. CAVERIVIÈRE et M. DEBÈNE, « Sociétés privatisées et stratégies actionnariales », Rev. sociétés, 1989, p. 589.

546 L. n° 89-465, 10 juill. 1989, modifiant L. n° 86-912, 6 août 1986, relative aux modalités d’application des

privatisations. V. sur cette loi J-P. CAMBY et P. VINCENT, « La loi relative au dénoyautage des entreprises privatisées », AJDA, 1990, p. 347 et s.

La majorité parlementaire issue des élections de 1993547 a repris le programme de

privatisation, mais en y incluant quelques modifications, afin d’atténuer les critiques concernant le favoritisme dans le choix des acquéreurs. Ainsi, les pouvoirs du ministre, dans le cadre de sa compétence en matière de désignation des acquéreurs hors marché, sont désormais limités, puisqu’il est lié par l’avis de la Commission des participations et des transferts quant aux choix des futurs acquéreurs.

238. Le recours au groupe d’actionnaires stables ou noyau dur, a nettement reculé. S’il semblait être justifié lors des privatisations en bloc des grandes entreprises, il perd de son intérêt lorsqu’il s’agit de privatiser des entreprises de petite taille ou en difficulté. Par ailleurs, l’évolution des marchés financiers n’est plus favorable aux noyaux durs d’actionnaires. En effet, la protection des entreprises privatisées contre le risque d’offre publique d’achat entre en contradiction avec les principes du gouvernement d’entreprise, qui visent à rétablir le contrôle des actionnaires sur l’action des dirigeants548.

La privatisation d’une entreprise avec la mise en place d’un noyau dur d’actionnaires est une sorte de privatisation assez singulière, puisque subsiste la présence d’un actionnariat public. Parmi ces privatisations avec constitution d’un groupe d’actionnaires stables apparaissent la banque BNP et la firme chimique Rhône-Poulenc, les deux figurant en haut de la liste de 1993 des entreprises à privatiser549.

La banque BNP550 fut privatisée par le moyen d’une offre publique de vente, avec en parallèle,

la mise en place de la procédure de vente de titres de gré à gré pour la constitution d’un noyau dur d’actionnaires. En contrepartie du paiement des titres à un prix légèrement supérieur à celui fixé pour le public, un certain nombre d’acquéreurs potentiels, choisis intuitu personae, sont autorisés à acheter de gré à gré des titres, avec interdiction de les céder pendant un certain temps. L’opération de privatisation du groupe chimique et pharmaceutique Rhône- Poulenc551 comportait quatre tranches : une offre publique de vente à l’intention des

particuliers, une partie des titres offerte aux salariés et anciens salariés de la société, une

547 En 1993, la France connaît, pour la deuxième fois une cohabitation : François Mitterrand, Président, et

Édouard Balladur, Premier ministre.

548 S. ALBERT et C. BUISSON, op. cit., p. 112.

549 D. n° 93-1041, 3 sept. 1993, pris pour l’application de L. n° 86-912, 6 août 1986, modifiée, relative aux

modalités des privatisations.

550 La participation étatique était de 73 % avant la privatisation de BNP en octobre 1993.

tranche réservée aux investisseurs institutionnels français et étrangers et enfin, une dernière tranche pour la constitution du noyau dur d’actionnaires.

Selon le cahier des charges pour la privatisation de la BNP et de Rhône-Poulenc, les nouveaux acquéreurs devaient conserver la totalité de leurs titres pendant au moins trois mois, et 80 % pendant au moins vingt et un mois pour BNP et quinze mois pour Rhône-Poulenc. Les actionnaires stables se sont mutuellement conférés un droit de préemption dans un protocole.

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