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Les acteurs politiques

Dans le document Les privatisations en Tunisie (Page 100-107)

TITRE I : LA PROCÉDURE D’UNE OPÉRATION DE PRIVATISATION

Paragraphe 2 Les acteurs politiques

134. L’expérience mondiale montre que tout processus de privatisation nécessite pour sa réussite un choix précis des organes ad hoc, une définition de leurs missions, de leurs pouvoirs ainsi que de leurs responsabilités respectives.

Dans certains pays, la décision de privatisation des entreprises publiques a été confiée à des structures spécialement créées à cet effet. Tel est le cas de la Treuhandansalt en Allemagne261.

Dans d’autres pays, cette tâche est assurée par des holding publiques, comme l’E.N.I262 et

l’I.R.I263 en Italie264, ou de l’I.N.I265 et de Patrimonio en Espagne266. Enfin, dans certains pays

comme la France ou le Maroc, les privatisations furent l’apanage d’autorités politiques centrales, généralement via le ministre de l’Économie et des finances ou le Premier ministre. En Tunisie, après des hésitations, le choix s’est porté sur un modèle marqué par une originalité. En effet, quoique inspiré du modèle français, le processus décisionnel tunisien est marqué par un double niveau de responsabilité : d’une part les instances administratives (A), et d’autre part les instances gouvernementales (B).

260 Se limitant à vérifier l’exactitude matérielle des faits, l’existence d’une erreur de droit, d’une erreur manifeste

d’appréciation ou d’un détournement de pouvoir. V, sur ce point, R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, 15ème éd., Montchrestien, Paris, 2001, pp. 1016 et s.

261 Sur cette institution, V. not. B. LAURIN, « Quelques aspects de la négociation des contrats d’acquisition par

la Treuhandanstalt dans le cadre de la privatisation de l’économie Est-allemande », RDA, 1993, pp. 211-217.

262 Ente nazionale idrocarburi.

263 Instituto per la Ricostruzione Industriale (Institut pour la reconstruction industrielle).

264 G. LONGUEVILLE, Les deux voies de la privatisation à l’italienne, La Documentation française, coll. Notes

et Études documentaires, Paris, 1986, pp. 81-98.

265 Instituto Nacional de Industria (Institut national de l’industrie).

266 G. LONGUEVILLE, Les privatisations en Espagne : entreprises déficitaires et transferts publics, coll. Notes

A/ Les instances administratives

135. L’instance administrative est généralement constituée d’organes d’exécution du programme de privatisation, qui peuvent être une agence de privatisation, un conseil, un bureau voire même une holding.

136. En Tunisie, aux termes de l’article 27 de la loi du 1er février 1989, « les décisions en matière d’assainissement, restructuration, et avantages (…) sont arrêtées par le Premier ministre sur proposition de la commission d’assainissement et de restructuration des entreprises à participations publiques ». Il ressort de cet article que la CAREPP se limite à proposer au Premier ministre les décisions à prendre en matière de privatisation.

137. La CAREPP est composée de sept membres nommés par décret. Ils sont choisis en fonction de leur compétence et de leur expérience professionnelle en matière économique, financière et juridique, leur indépendance étant assurée par une série d’incompatibilités. Cependant, en autorisant le gouvernement à céder tout ou partie des participations de l’État dans les entreprises à participations publiques, la loi de 1989 est restée muette quant à l’autorité ayant l’initiative dans ce domaine. Cette lacune a été comblée par voie décrétale267.

En effet, l’article 4 du décret du 15 mars 1989268 dispose que la CAREPP « est saisie par le

Premier ministre ou par les ministres de tutelle ». Cette situation a connu un changement à la fin de 1993. À partir de cette date, un seul ministère est devenu le maître d’œuvre en matière de privatisation. Au départ, ce fut le ministère du plan et du développement régional qui était chargé d’élire les entreprises dont les dossiers devraient être présentés à la CAREPP269. Mais à

la suite d’une réorganisation ministérielle, les compétences autrefois exercées par le ministère du plan et du développement régional sont désormais dévolues à un nouveau ministère, celui du développement économique270.

267 K. BEN MESSAOUD, Le désengagement de l’État des entreprises publiques et à participations publiques,

(dir.) L. BOUONY, Thèse Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 2001, p. 283.

268 D. n° 89-377, 15 mars 1989, fixant la composition et le fonctionnement de la CAREPP. 269 D. n° 93-981, 3 mai 1993, modifiant le D. de 1989 préc.

La CAREPP a pour mission de donner son avis271 sur les opérations de restructurations visées

à l’article 24 de la loi du 1er février 1989. Il s’agit de la cession ou de l’échange d’actions ou de titres détenus par l’État, de la fusion, l’absorption ou la scission d’entreprises dans lesquelles l’État détient une participation directe au capital, et enfin de la cession de tout élément d’actif susceptible de constituer une unité d’exploitation autonome dans une entreprise dans laquelle l’État détient une participation directe au capital. En d’autres termes, sa mission est d’évaluer les actions et les actifs des entreprises publiques en vue de leur cession et de proposer les conditions de la cession envisagée.

138. Il en ressort que le rôle de la CAREPP se limite à proposer au Premier ministre les décisions à prendre. Certes, la CAREPP participe au processus décisionnel en matière de privatisation, mais la procédure de la proposition réduit considérablement son rôle dans ce domaine272. Loin de constituer un quelconque pouvoir de codécision, la proposition de la

CAREPP est d’une efficacité beaucoup plus réduite que la procédure de l’avis. En effet, dans la procédure de l’avis, l’organe consulté opère une appréciation du contenu d’un projet de décision qui lui est soumis par l’organe décisionnel. Même s’il n’est que consultatif, l’avis permet de mieux éclairer l’autorité décisionnelle quant à la teneur et au sens de la décision qu’elle envisage de prendre. Alors que pour la proposition, l’organe qui propose ne fait que soumettre à celui qui dispose un projet de décision ou les grandes lignes que celle-ci devra comporter. La procédure de l’avis paraît plus dynamique et assure une certaine contradiction avant la prise de décision ; en revanche, la procédure de proposition est statique dans la mesure où l’autorité décisionnelle arrête une décision au vu d’une proposition sans discussion aucune.

139. Le choix du législateur tunisien pour la procédure de la proposition et non de l’avis se démarque des solutions retenues par son homologue français. En effet, en France, les décisions de transfert d’entreprises du secteur public au secteur privé sont arrêtées après avis de la Commission des participations et des transferts. L’association de l’organe consultatif au

271 V. à ce sujet, K. BEN MESSAOUD, op. cit., p. 296 et s.

272 L. LARGUET, « Fondement et cadre juridique de la restructuration des entreprises publiques », Actes du

colloque des 16 et 17 mai 1990 sur la restructuration des entreprises publiques, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, Coll. Forum des juristes, vol. 4, Tunis, 1991, p. 28 et s.

processus décisionnel est ainsi organisée de manière à ce que l’autorité décisionnelle n’ait pas une liberté démesurée.

L’un des aspects les plus curieux du processus décisionnel tunisien réside dans le fait que l’autorité décisionnelle arrête ses décisions sur proposition d’une commission qu’elle préside, le Premier ministre présidant la CAREPP. Mais, s’il est vrai que le Premier ministre décide sur la proposition de la CAREPP qui ne le lie juridiquement pas, il n’en demeure pas moins que cette proposition ne lui est pas tout à fait extérieure.

B/ Les instances gouvernementales

140. Les instances gouvernementales sont souvent représentées par un ministère ou un organe ad hoc composé généralement de membres du gouvernement, dont le rôle est la prise de décision, la fixation des priorités ainsi que l’élaboration du programme de privatisation. En France, le pouvoir décisionnel en matière de transfert d’entreprises du secteur public au secteur privé a été confié au ministre de l’Économie et des Finances. Contrairement à son homologue français, le législateur tunisien a choisi lui d’attribuer ce pouvoir décisionnel en matière de privatisation au Premier ministre. En effet, l’autorisation de céder tout ou partie des participations de l’État dans les entreprises à participation publique a été attribuée au gouvernement273. En accord avec cette disposition, l’article 27 de la loi de 1989, précise que

« les décisions en matière d’assainissement, restructuration et avantages (…) sont arrêtées par le Premier ministre »274.

Vraisemblablement, c’est l’esprit de la loi qui aurait commandé l’attribution du pouvoir décisionnel au Premier ministre275. Or, le fait que l’autorisation de cession ait été accordée au

gouvernement n’entraine pas ipso jure que sa mise en œuvre soit du ressort du Premier ministre. Alors même qu’elle est du ressort du gouvernement, l’autorisation en question peut, sans aller à l’encontre de la logique du texte, être mise en œuvre par l’un des membres du gouvernement, à savoir un ministre. Dans d’autres pays, bien que l’autorisation législative ait

273 L. n° 89-9, 1er févr. 1989, relative aux participations et aux entreprises publiques, art. 23, al. 2. 274 L. LARGUET, art. préc., p. 29.

été attribuée au gouvernement, sa mise en œuvre est réalisée par un ministre et non par le Premier ministre276.

141. Se pose la question de savoir si la décision du Premier ministre, prise en vertu de la loi de 1989, a une portée individuelle ou réglementaire. Elle revêt une double utilité au plan pratique : d’une part, le décompte des délais de recours et d’autre part, la possibilité de soulever à leur égard l’exception d’illégalité277.

Le délai de recours contre les décisions individuelles278 commence à courir à partir de leur

date de notification ou de leur connaissance certaine, alors que pour les décisions réglementaires, celui-ci ne commence à courir qu’à partir de la publication ou de la publicité suffisante de l’acte. Concernant l’exception d’illégalité, celle-ci est possible à l’égard des actes réglementaires, mais impossible à l’égard des actes individuels279.

La recherche de la portée des décisions du ministre nécessite l’analyse du contenu qu’elles peuvent avoir. L’article 27 de la loi de 1989, énonce que les décisions du Premier ministre ont pour objet l’assainissement et/ou la restructuration d’entreprises à participation publique, ainsi que l’octroi possible d’avantages financiers, fiscaux ou parafiscaux aux acquéreurs. Puisqu’elle a pour destinataire un ou plusieurs sujets de droit nommément désignés, et qu’elle ne fait qu’appliquer une règle générale à une situation donnée, par conséquent, la décision du Premier ministre ne peut être que du type « décision individuelle ». Rappelons que le propre de l’acte réglementaire est qu’il pose une ou plusieurs règles générales applicables à des sujets de droit ou à des objets abstraitement désignés280.

276 Cas du Maroc : L. n° 89-39, 11 déc. 1989, autorisant le transfert d’entreprises du secteur public au secteur

privé. Bien que bénéficiant au gouvernent, l’autorisation de transfert est mise en œuvre par décision du ministre chargé du transfert, en l’occurrence par le ministre de l’économie et des finances, remplacé depuis 1999, par le ministre du secteur public et de la privatisation.

277 K. BEN MESSAOUD, op. cit., p. 326 et s.

278 Conformément à une jurisprudence constante en la matière, TA, 27 juin 1978, Rec., p. 137 ; TA, 14 juill.

1984, Rec., p. 464.

279 TA, 29 déc. 1981, Rec., p. 389 ; TA, 27 mai 1985, Rec., p. 91.

280 Sur la distinction de l’acte réglementaire et de l’acte individuel, V. not., R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, op. cit. Sur les critères de distinction posés par le juge administratif tunisien, V. spéc., TA, 26 avril

1982, Rec., p. 62 et s. Dans cette décision le tribunal a énoncé qu’ « il est établi en doctrine et en jurisprudence que la distinction des décisions réglementaires et non réglementaires réside dans le caractère objectif des premières qui constituent, par leur contenu, une sorte de législation émanant de l’autorité administrative, ayant pour objet d’édicter des normes générales abstraites et permanentes, lesquelles constituent, en règle générale, la source de décisions individuelles ou collectives caractérisées par leur aspect subjectif et épuisant leur effet par leur exécution ».

Il est utile de noter que les décisions du Premier ministre en matière de privatisation sont marquées par une certaine confidentialité. En effet, les actionnaires minoritaires de l’entreprise cédée, ses employés ou ses créanciers ignorent tout de l’impact qu’aura la décision prise par le Premier ministre sur leurs droits. Par conséquent, ils sont incapables d’apprécier l’opportunité d’une éventuelle action en justice, en vue de son annulation. Ils ne connaitront l’impact de la décision sur leurs droits qu’une fois l’opération réalisée. D’autant plus que cette situation peut durer un certain temps, dans la mesure où la loi n’impose aucun délai devant séparer la décision du Premier ministre et sa mise en œuvre.

142. En France, la Commission des participations et des transferts est saisie par le ministre de l’Économie et des Finances. Elle se prononce sur la valeur des entreprises publiques de premier rang à l’occasion de leur privatisation, sur la valorisation des entreprises publiques faisant l’objet de prises de participations minoritaires d’actionnaires privés281, sur les transferts

au secteur privé de filiales dépassant un certain seuil282 et sur les cessions de participations

minoritaires dans les sociétés figurant dans la liste annexée à la loi du 19 juillet 1993 et dont l’État détient au moins 10 % du capital social. Les évaluations sont rendues publiques et sont opérées selon des méthodes objectives283 pratiquées en matière de cession totale ou partielle

d’actifs de sociétés. Après la fixation du prix plancher des actions à céder par la Commission des participations et des transferts, le ministre de l’Économie et des Finances dispose d’un délai maximum de trente jours pour l’opération. Passé ce délai, tout le processus, y compris l’évaluation, doit être repris dès le début284. De telles difficultés n’auraient pas existé si les

décisions du Premier ministre étaient sujettes à publication.

Tout compte fait, au lieu d’être séparées ainsi que l’exige la logique de tout processus décisionnel, proposition et décision285, en matière de privatisation, sont tellement imbriquées

281 L. n° 86-912, 6 août 1986, relative aux modalités des privatisations, art. 2. 282 Ibid, art. 20 in fine.

283 La loi du 6 août 1986 a défini les critères qui doivent être pris en compte par la commission des participations

et des transferts lors de l’évaluation de l’entreprise. L’évaluation doit être conduite en prenant en compte cinq critères : la valeur boursière, la valeur des actifs, les bénéfices réalisés, l’existence de filiales et les perspectives d’avenir de l’entreprise. Ces critères peuvent faire l’objet d’une pondération. L. n° 86-912, 6 août 1986, précitée, art. 3, al. 9.

284 Par ex : dans le cadre de la privatisation de Thomson (1997), après l’avis non conforme de la Commission des

participations et des transferts, le gouvernement a décidé de reporter, puis d’engager une nouvelle procédure de privatisation du groupe.

au point de se confondre. On ne sait d’ailleurs pas si les deux actes sont matériellement séparés.

CHAPITRE 2 : LES MODALITÉS DES

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