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La spécificité tunisienne

Dans le document Les privatisations en Tunisie (Page 175-180)

PROGRAMME DE PRIVATISATION

Paragraphe 2 La spécificité tunisienne

239. Afin de protéger les intérêts étatiques, les pouvoirs publics tunisiens ont mis à la charge du nouvel acquéreur de l’entreprise privatisée des obligations exorbitantes durant la période postérieure à la cession (A). Ces diverses obligations sont assorties de garanties qui s’avèrent être défaillantes dans la pratique (B).

A/ Des obligations exorbitantes

240. Consignées dans le contrat de cession ou le plus souvent dans le cahier des charges qui lui est annexé, les obligations incombant au nouvel acquéreur concernent le maintien du personnel de l’entreprise privatisée et l’assurance de la pérennité de l’entreprise et de son développement552.

241. La première obligation a trait à la sauvegarde du personnel de l’entreprise privatisée. L’engagement de l’acquéreur concernant le maintien du personnel, de ses droits et de ses avantages sociaux est différemment formulé suivant l’opération de privatisation. Dans certains cas, il est simplement énoncé que « l’acquéreur s’engage à maintenir le niveau d’emploi compatible avec le développement de l’activité de l’entreprise et préserver tous les droits et avantages acquis du personnel »553. Ce type de clause offre au nouvel acquéreur une

marge de manœuvre lui permettant de procéder aux réductions du personnel qu’il jugera utiles. En revanche, dans d’autres cas, la clause est stipulée avec une telle précision qu’il est

552 K. BEN MESSAOUD, Le désengagement de l’État des entreprises publiques et à participations publiques,

(dir.) L. BOUONY, Thèse Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 2001, p. 502.

553 Cahier des charges pour les cessions des titres de la Société commerciale tunisienne, art. 4, et de la Société

impossible à l’acquéreur de l’interpréter à son profit et de réaliser ainsi des licenciements554. À

titre d’exemple, les clauses sociales d’un contrat de cession peuvent prévoir que « pendant un délai minimum de trois ans à compter de la conclusion du contrat, le cessionnaire s’engage à maintenir les avantages acquis et à ne pas réduire l’effectif du personnel par rapport à l’effectif indiqué à l’exception des cas suivants : démission, licenciement pour faute lourde, plan de redéploiement agrée par le cédant »555.

La différence de rédaction dans les contrats de cession résulte notamment de l’inégale considération de la question sociale suivant les opérations de privatisation. Plus l’enjeu social est grand, plus les clauses sociales sont mieux rédigées et les engagements de l’acquéreur bien cernés. Par ailleurs, depuis 1997-1998, les actes de cession et les cahiers des charges ne sont plus rédigés par les fonctionnaires de l’administration en collaboration avec l’entreprise concernée et son service juridique. Ils sont entièrement élaborés par des spécialistes de banques d’affaires étrangères556, qui depuis cette date, sont de précieux conseils pour les

opérations les plus importantes et les plus complexes.

242. Le second souci des pouvoirs publics a trait au maintien de l’activité de l’entreprise privatisée et de son développement. Ainsi, les pouvoirs publics doivent tenir compte de cette obligation dans le choix de l’acquéreur de l’entreprise publique.

Diverses formules sont utilisées dans les cahiers des charges ou dans les contrats de cession concernant l’engagement de l’acquéreur privé à maintenir l’activité de l’entreprise cédée et à la développer. Certaines rédactions sont générales et ne dépassent pas l’engagement de principe, tel que « l’acquéreur s’engage à maintenir et à développer l’activité de l’entreprise »557 ou « l’acquéreur s’engage à maintenir l’établissement en bon état de

fonctionnement »558. En revanche, d’autres formulations sont dotées de précision et de détails

rendant l’engagement qui en découle mieux défini et donc plus contrôlable. Les pouvoirs

554 Lors de la privatisation de la Société des ciments d’Enfidha. 555 Projet de contrat de cession de la cimenterie de Jebel Ouest, art. 8.

556 Recours à la Banque Rothschild pour la cession des sociétés du ciment d’Enfidha et de Jebel El Ouest, et à la

CCF Charterhouse pour la cession de la Société des ciments de Gabés et de la Société des ciments artificiels tunisiens.

557 Cahier des charges relatif à la cession des titres de la Société d’import-export du centre, art. 10. 558 Cahier des charges relatif à la cession de l’hôtel Ain Oktor, art. 8.

publics utilisent ce type de formulation lors des cessions des grandes entreprises qui présentent un intérêt particulier, telles que les sociétés de cimenterie559.

Ce genre de clause n’est pas utilisé dans les cessions de droit commun. Le cédant ordinaire ne s’inquiète pas du sort futur de l’entreprise qu’il cède à autrui. En revanche, les cédants publics560 doivent se comporter différemment. En effet, le maintien et le développement de

l’activité de l’entreprise est une condition sine qua non de la sauvegarde du personnel qu’elle emploie. Or, sa détérioration ou sa liquidation volontaire peuvent avoir de graves conséquences sur ce plan. Il est ensuite des entreprises dont les missions revêtent un caractère essentiel pour l’économie du pays561, qui sont considérées comme faisant partie des secteurs

stratégiques.

Les diverses obligations mises à la charge des acquéreurs sont limitées dans le temps. En effet, l’engagement de maintenir le personnel de l’entreprise privatisée, de préserver ses droits et avantages acquis et d’assurer la pérennité de celle-ci s’éteint avec l’extinction du cahier des charges, voire avant.

B/ Des garanties défaillantes

243. Afin d’être effectives durant la période de validité des obligations incombant aux acquéreurs, celles-ci requièrent deux types de gardes-fou : d’une part, un système de contrôle permettant de relever leur violation, et d’autre part, un système de sanction dissuasif adapté. Malheureusement, on constate, d’une part, que le système de contrôle est inefficace et, d’autre part, que le système de sanction est purement et simplement inexistant.

À ses débuts, le programme de mise en œuvre des opérations de privatisation tunisien ne comportait aucun mécanisme de suivi des opérations. Ni les actes de cession, ni les cahiers des charges ne prévoyaient un système d’informations permettant de vérifier le respect de leurs obligations. Par ailleurs, aucune structure ministérielle ne fut mise en place, chargée de

559 Il est stipulé dans les contrats de cession de la Société d’Enfidha et de Jebel el Ouest que « l’acquéreur

s’engage à assurer la pérennité de la société, développer son activité, assurer son équilibre financier et développer ses ressources humaines », art. 8.2.1.

560 L’État, les participants publics.

suivre l’après-privatisation. Tout se passait comme si le respect des obligations était un acquis.

Dix ans après, les pouvoirs publics se sont rendu compte de la nécessité d’un tel système de contrôle et de suivi. En 1996, avec la création du ministère de développement économique, l’unité de privatisation fut transformée en direction générale de la privatisation, comportant notamment une direction de l’exécution et du suivi des opérations de privatisation562.

244. Le système de suivi des opérations de privatisation n’est toutefois pas doté de moyens efficaces. En effet, il est confié à une sous-direction qui ne comprend qu’un seul service. De plus, les textes ne précisent pas par quel biais le suivi sera assuré. La « cellule de suivi » est composée d’un fonctionnaire, qui a pour mission le suivi des entreprises cédées. Son rôle consiste à aider les entreprises qui connaissent des difficultés après la cession et à résoudre leurs problèmes en intervenant auprès des organismes et des services concernés.

Ce système a connu une légère amélioration avec les premières opérations de privatisation des cimenteries tunisiennes. Une obligation d’information a été mise à la charge de l’acquéreur permettant au cédant de vérifier le respect des engagements consignés dans les actes de cession563.

Mais ce système aurait été efficace s’il avait été assorti de sanctions dissuasives et adaptées. Les divers textes concernant la mise en œuvre du programme de privatisation tunisien sont muets au sujet des sanctions susceptibles d’être infligées aux acquéreurs d’entreprises publiques manquant à leurs engagements564. Les textes auraient pu donner compétence aux

autorités chargées de mettre en œuvre le programme de privatisation et prévoir la possibilité d’insérer pour chaque cas, dans les actes de cession, le type de mesures à même de dissuader les acquéreurs ou de sanctionner leurs manquements aux obligations contractuelles. Or, l’examen des différents cahiers des charges et des actes de cession révèle l’inexistence de

562 D. n° 96/271, 14 févr. 1996, portant organisation du ministre du développement économique, art. 26.

563 Le cessionnaire s’engage à fournir annuellement au cédant et pendant une période de cinq ans, un état des

investissements effectués au cours de l’exercice précédent, et un bilan social faisant apparaître nominativement le flux des entrées et des départs. Il devra par ailleurs indiquer les raisons ayant motivé les départs. Actes de cession des Sociétés des ciments d’Enfidha et de Jebel el Ouest, art. 8.2.2 et art. 8.3.2.

sanctions spécifiques en la matière, à l’exception des actes de cession des sociétés des ciments d’Enfidha et Jebel el Ouest565.

245. Deux types de sanctions spécifiques au processus de privatisation peuvent être retenus et appliqués. Le premier est celui des sanctions prédéterminées par la loi ou par le règlement à infliger aux acquéreurs défaillants, sur décision du Premier ministre. Il peut s’agir de la déchéance du bénéfice des avantages fiscaux, parafiscaux ou financiers qui auraient dû être obtenus. Un tel système est prévu par les textes marocains régissant le transfert des entreprises publiques au secteur privé566.

Le second système est celui des clauses pénales567. Ainsi, les actes de cession ou les cahiers

des charges auraient pu comporter, pour chaque type d’obligations mises à la charge de l’acquéreur, des clauses pénales prévoyant de manière forfaitaire l’indemnisation qui serait due au cédant en cas de manquement par l’acquéreur à ses obligations568. Dissuasif et efficace,

ce système a été retenu en Allemagne par la Treuhandanstalt dans les contrats de cession des entreprises publiques est-allemandes 569. Dans ces contrats, les clauses pénales sont

minutieusement rédigées afin qu’elles soient adaptées à l’obligation qu’elles tentent de protéger. À titre d’exemple, l’obligation de ne pas revendre, durant une certaine période, l’entreprise nouvellement privatisée est garantie par une clause pénale obligeant le cessionnaire à verser à la Treuhandanstalt un pourcentage du prix de revente supérieur à cent pour cent. Par ailleurs, l’obligation de maintien des emplois est garantie par une clause pénale qui prévoit qu’en cas de licenciement, le cessionnaire devra verser à la Treuhandanstalt une somme forfaitaire par emploi supprimé, indépendamment des indemnités qui seraient dues à l’employé licencié570.

565 Il est stipulé à l’article 5 que « l’inexécution ou le non-respect par l’acquéreur des obligations édictées (…)

sont sanctionnés par la possibilité, pour l’État tunisien, de mettre en œuvre tous les moyens juridiques afin d’amener l’acquéreur à honorer ses engagements et de recourir, le cas échéant, à la demande de résiliation de l’acte de vente six mois après mise en demeure restée sans effet ».

566 D. n° 2-90-402, 16 oct. 1990, art. 23, qui prévoit « qu’en cas de non-respect par l’acquéreur de ses obligations

et sauf circonstances exceptionnelles, le ministre chargé de la mise en œuvre des transferts prononce, après avis de la commission des transferts, la déchéance du droit aux exonérations fiscales ».

567 V. à ce sujet, J. CARBONNIER, Droit civil, Tome 4, Les Obligations, 22ème éd., PUF, 2000, n° 178.

568 V. not. à ce sujet, M. BAGBAG, « De la possible réception de la notion de la clause pénale par le code des

obligations et des contrats », RTD, 1998, p. 41 et s ; F. LOKSAIER, « La clause pénale en droit tunisien »,

Études Juridiques, 2000, p. 75.

569 V. à ce sujet, J. MASSOL, « La Treuhandanstalt et son rôle dans la privatisation est-allemande : un cas

exemplaire ? », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. n° 33, 2002, p. 79-113.

570 B. LAURIN, « Quelques aspects de la négociation des contrats d’acquisition par la Treuhandanstalt dans le

CHAPITRE 2 : LA PROTECTION DES

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