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Chapitre 2 - Présentation de l’étude

2.1 Le contexte d’étude

2.1.3 Le contexte sanitaire

Au Sénégal et notamment à Niakhar, l’offre thérapeutique se caractérise depuis plusieurs décennies par la coexistence de plusieurs filières thérapeutiques, dont nous présentons ici, sans avoir l’ambition d’être exhaustif, les caractéristiques générales.

2.1.3.1 Le système de soins biomédical

Depuis son accès à l’indépendance, les autorités sénégalaises ont défini des stratégies sanitaires basées sur les recommandations de l’OMS, régulièrement définies dans le cadre de plans de développements quadriennaux. Depuis plusieurs décennies, les orientations sanitaires affirment la priorité du monde rural sur le milieu urbain, la priorité de la médecine de masse sur la médecine individuelle, la priorité de la médecine préventive sur la médecine curative, la priorité de l'information, de l'éducation et de la communication. Dans la perspective d’améliorer la santé des populations pauvres et de réduire les énormes inégalités en matière de santé, le système sanitaire sénégalais a suivi dans les années 1980 la logique des soins de santé primaire31 et a intégré depuis 1992 l’initiative de Bamako32.

Au Sénégal, le système sanitaire a une structure pyramidale, dirigée par le Ministère de la Santé. En 2001, la carte sanitaire sénégalaise, élaborée sur la base des découpages administratifs, distingue 10 régions et 54 districts médicaux. Les activités sanitaires de la région sont coordonnées par le médecin-chef autour d’une structure de référence, l’hôpital de région, assurant les soins techniques et spécialisés. Chaque région gère un secteur des grandes endémies, une brigade d’hygiène, un bureau de l’éducation pour la santé, un bureau de l’alimentation et de la nutrition et un bureau de la statistique. Chaque district de santé reçoit un budget spécial pour l’achat de médicaments et de matériels, distribués aux structures opérationnelles, les centres de santé et les postes de santé, au nombre de 15 à 25, pour une population moyenne de 150 000 à 250 000 personnes.

31 Tels que définis lors de la conférence d’Alma-Alta en 1978.

32 L’initiative de Bamako poursuit un double objectif : d'une part, favoriser l’accès des populations pauvres, notamment celles vivant en milieu rural, aux médicaments essentiels, et d'autre part favoriser la participation communautaire à travers l'implication des comités de santé dans la définition des politiques de santé et la gestion des structures sanitaires, notamment par le recouvrement des coûts.

Pour lutter spécifiquement contre le paludisme, le Ministère de la Santé s’est doté d’un programme national, rattaché au service national des grandes endémies et piloté par la direction de la santé. Pour l’élaboration et la mise en œuvre de son programme de lutte contre le Paludisme, le Sénégal bénéficie du soutien de partenaires extérieurs, tels que l’OMS, l’Unicef, l’union européenne et de nombreuses organisations non gouvernementales internationales (World Vision, Plan International).

En l’absence de données issues du ministère de la santé, les indicateurs sanitaires du Sénégal reflètent une situation problématique : en 2000, on compte en moyenne un médecin pour 10000 habitants, un personnel paramédical pour 3500 habitants, un centre de santé pour 80000 habitants et un poste de santé pour 8000 habitants (PNUD, 2002). Confronté aux importantes charges des dépenses de santé, l’Etat a favorisé l’autonomisation des structures de santé primaires en recherchant la mobilisation des communautés, dans l’idée que « l'autoresponsabilité et la conscience sociale sont des facteurs clés du développement humain » (Rey, 1986). Depuis 1996, la loi de décentralisation consacre le pouvoir des collectivités locales pour les questions de santé, d’éducation et d’environnement. Dans les structures de soins primaires, si l’état intervient dans la prise en charge du fonctionnement des services, de la supervision et de la formation des agents de santé, ce sont les comités locaux de santé qui assurent les aménagements des structures de santé primaires et la rémunération du personnel auxiliaire. Par conséquent, le confort et la taille des locaux, le nombre de personnel auxiliaire actif33 et leur rémunération, les horaires d’ouverture, le prix de la consultation et des différents médicaments varient d’un poste de santé à l’autre : l’organisation du système sanitaire sénégalais explique l’absence d’une offre de soins biomédicale de première ligne uniforme et homogène.

Le Sénégal bénéficie par ailleurs d’une offre de soins biomédicale privée, souvent de type confessionelle. Les services de santé rattachés à l'église chrétienne représentent 12 % des structures primaires et fournissent plus de 25 % des prestations liées à la biomédecine (Berche, 1986). Les centres de santé privés confessionnels se caractérisent par une affluence fréquemment supérieure à celle des centres de santé publics, en raison de coûts moyens inférieurs à ceux des dispensaires publics, une plus grande disponibilité en médicaments et une meilleure qualité d'accueil (Berche, 1986 ; Fassin, 1992).

33 Le personnel auxiliaire est chargé de l’accueil du public, de l’entretien des locaux, de la vente des médicaments, etc

En 2000, la région de Fatick comptait trois départements médicaux, 5 centres de santé, une soixantaine de postes de santé fonctionnels, une cinquantaine de maternités rurales et près de 300 cases de santé ; l’hôpital régional était en construction. Aucun médecin n’exerce à proximité directe du milieu d’étude et, sauf à couvrir des distances supérieures à 15 kilomètres au minimum, la population n’a accès qu’à des soins de première ligne. L’offre publique de soins pour les 29 villages enquêtés compte quatre postes de santé dirigés par un infirmier d’état, situés à Toukar, Niakhar, Diarère et Ngayokhème, dont dépendent deux cases de santé, situées à Kalom et à Bary-Ndondol, qui sont tenues par des agents ayant reçu une formation sommaire. Il existe également une offre de soins privée, avec un dispensaire catholique situé à Diohine et un cabinet situé à Kalom-Ndoffane, tenu par un ancien agent de santé.

Le Minsitère de la Santé gère l’approvisionnement des structures sanitaires publiques en médicaments, dans le cadre d’une pyramide articulée autour de la pharmacie nationale d’approvisionnement. Chaque région est dotée d’une pharmacie régionale d’approvisionnement, auprès de laquelle les comités de santé des postes et des centres de santé effectuent des commandes et prennent livraisons des moyens médicaux nécessaires à leur activité. Le système sanitaire sénégalais se caractérise également par l’existence d’un puissant circuit d’approvisionnement parallèle en médicaments. Les marchés parallèles de médicaments s’appuient sur de nombreux acteurs informels revendant des comprimés de toutes origines, dont certains sont des contrefaçons ou issus de contrebande.

2.1.3.2 Le système de soins traditionnels

Au cours des siècles passés, les sereers ont été soumis aux puissantes influences de la chrétienté et de l’islam. De nos jours, la majeure partie de la population se déclare convertie aux cultes judéo-chrétiens. L’attachement aux croyances animistes, transmises de générations en générations, reste cependant très profond : considérant que la société des vivants est le calque de la société des âmes des ancêtres, qui vivent sous la terre ou dans les arbres, les Sereers consultent et honorent en toutes circonstances les pangols34. De fait, tous les champs de la vie sociale sont rattachés à un même registre sacré et les rites pour favoriser les cultures, célébrer les cérémonies familiales ou soigner un enfant malade procèdent d’une même logique (Gravrand, 1983 ; Kalis, 1997 ; Troy, 1999 ; Heidenreich, 2000).

Les croyances, les représentations et les pratiques thérapeutiques Sereer forment un système nosologique complet, fondé sur une conception holistique replaçant l’individu dans la société et dans le cosmos. Le système nosologique, partie intégrante de la cosmogonie Sereer, est articulé autour des notions de principe vital et du culte des ancêtres : les morts en sursis sont des personnes âgées cherchant à voler l'énergie vitale des jeunes pour rester en vie et les pangols, réincarnation d’ancêtres valeureux à leur mort, doivent être honorés et sont susceptibles d’être implorés comme esprits protecteurs (Pélissier, 1966).

La nosologie sereer fait appel à plusieurs modes de désignation de la maladie. La plus courante est sans doute la dénomination descriptive de la maladie, littérale ou métaphorique, désignant les symptômes, l'organe souffrant ou d'autres caractéristiques de la maladie, telles que sa saisonnalité : ainsi les fièvres palustres sont souvent appelées maladies de l’hivernage,

jir ndiig. Les maladies sont également nommées en raison de la cause attribuée ou de l’agent

à l’origine du mal : ainsi, les maladies dites chien, chat, pilon, poule ou palissade marquent la transgression d'interdits envers les animaux ou objets de la concession (Kalis, 1997). La perception de la maladie dépend en premier lieu de la nature des symptômes, de leur durée et de leur intensité, mais les qualités relationnelles que l'individu entretient avec ses proches sont également pris en compte dans la représentation de la cause instrumentale responsable de l’épisode morbide.

Les maladies sont classifiées d’après l’opposition entre le désordre biologique et le désordre social : la nosologie sereer oppose « les maladies de Dieu et les maladies des agents maléfiques. Les premières sont des pathologies naturelles et ordinaires qui relèvent du destin […]. Les autres ne sont pas naturelles. Les entités responsables sont les ancêtres, les sorciers, les morts en sursis, les djinns, les génies nguus, le maraboutage ou magie instrumentale et la transgression d'un interdit » (Kalis, 1997, p.18). Les maladies de dieu regroupent, entre autres le paludisme, les douleurs dentaires, la varicelle, les hémorroïdes, les problèmes de tension, les vertiges, le diabète, la lèpre. Les maladies néonatales associées aux animaux de la concession, le ngan, lié au mauvais vent et le Diid, provoqué par une vision de l’enfant, celle d’un démon venant lui voler son âme, sont considérées comme des maladies surnaturelles. Les maladies surnaturelles, indissociables de la notion de sorcellerie, assurent un rôle de soupape dans des rapports sociaux très codés. La biomédecine est considérée comme inopérante sur les maladies surnaturelles : elle n’en atteint pas la cause, ne répare pas les transgressions d’interdits et ne peut qu’atténuer l’intensité des symptômes.

Dans les villages étudiés, le nombre de thérapeutes traditionnels en activité est important : chaque individu a dans son entourage immédiat « un individu qui connaît quelques recettes médicinales ou un maître des pangols pour effectuer une libation » (Kalis, 1997, p.116). Les guérisseurs sont majoritairement des hommes, d’un certain âge, qui ne constituent pas un corps professionnel fortement structuré : ils soignent parallèlement à leur activité principale, le plus souvent celle de paysan.

Il existe, dans la tradition sereer, plusieurs types de guérisseurs. Si l’origine et la légitimité des compétences, la nature du savoir et les techniques thérapeutiques employées sont très variées, les distinctions catégorielles entre les différents guérisseurs traditionnels sont avant tout théoriques : dans la pratique, il y a le plus souvent un syncrétisme. La pratique des maîtres du culte est fondée sur une divination géomantique couvrant à la fois les univers religieux et médicaux : ils possèdent une capacité de médiation entre les vivants et les morts, les esprits et les génies leur permettant d’assurer un équilibre dans la relation avec les ancêtres (Heinderich, 2000). Leur intervention thérapeutique s’appuie sur une dimension transcendantale visant à « réactualiser le mythe des origines et la conception de l'univers » (Kalis, 1997, p.19) : ils utilisent leur pouvoir sacré pour neutraliser les forces d'agression et régénérer, par le truchement de l'ancêtre, les forces vitales de l'individu. Leurs techniques thérapeutiques visent à manipuler les énergies vitales, cosmiques et divines qui circulent : elles prennent notamment la forme d’échanges à travers des rites de libation et de sacrifice d’animaux visant à réparer les transgressions commises et réaffirmer l’ordre traditionnel. La tradition sereer reconnaît d’autres techniques thérapeutiques, notamment celles des gardiens des secrets de la pharmacopée. Leur savoir tient à leurs connaissances des plantes, à leur capacité à préparer le traitement efficace en respectant les modalités de récolte, de préparation et d’administration. D’autres thérapeutes utilisent des techniques reposant sur une efficacité gestuelle reconnue : ils possèdent un savoir de l’ordre du magique et soignent à travers la manipulation d’objets, d’ingrédients ou d’incantations. Dans le milieu d’étude, de nombreux thérapeutes pratiquent des incantations associées à un geste de massage dans un mouvement de descente le long des éléments corporels : c’est le moss, qui chasse l'entité morbide hors du corps. Ainsi que décrit dans la littérature, il semble que les évolutions sociales au cours des dernières décennies ont rendu inacceptables ou obsolètes certaines pratiques thérapeutiques basées sur une connaissance technique de gestes apaisants et valorisant les pratiques de guérisseurs non spécialisés, possédant un savoir lié à l’élément surnaturel (Fassin, 1992).

Les différents thérapeutes traditionnels prodiguent également des soins préventifs : ils élaborent des remèdes, fabriquent des amulettes, préparent des objets à suspendre ou à brûler dans la maison et pratiquent des scarifications sur le corps afin de protéger l'enfant des maladies.