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Au moins un soin à domicile

3.2 La prise en charge de l’enfant malade

3.2.6 L’administration du traitement

3.2.6 L’administration du traitement

La mère prodigue près de 80 % des soins à domicile et des traitements prescrits après consultation ; le père en administre moins de 10 % (figure 3-18). La personne administrant le traitement varie peu selon le rang de pratique des soins, même si le père pratique moins fréquemment les soins à domicile en seconde instance (p<0,01) (tableau annexe 3.27).

Figure 3- 18 : Identité de la personne administrant les soins pratiqués spontanément à domicile (N=535) et après prescription lors d’un recours externe (N=255), en première et en seconde instance

85,9% 5,8% 8,3% 78,8% 9,8% 11,4% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

Soins à domicile Recours externes

Mère Père Autres personnes

Les différents membres de la cellule familiale administrent des soins de natures différentes : plus de 80 % des traitements administrés après consultation par le père et la mère sont médicamenteux alors que les personnes autres administrent des traitements traditionnels dans 60 % des cas (p<0,01)71. Cependant, hormis le fait que tous les soins à base de sirop de chloroquine sont administrés par la mère de l’enfant, la nature des médicaments ingérés ne varie pas selon la personne les administrant.

L’administration du soin est la dernière étape du processus thérapeutique et l’identité de la personne mettant en œuvre le traitement est fortement corrélée à l’identité des personnes impliquées dans les étapes antérieures. Ainsi, la mère prodigue plus de 90 % des soins à domicile qu’elle propose, mais moins de la moitié des soins proposés par le père de l’enfant (p<0,01).

3.2.7 Conclusion partielle

A Niakhar, la prise en charge de la maladie de l’enfant apparaît avant tout comme un processus collectif, construit selon un découpage des rôles socialement organisé. Chacun des membres de la cellule familiale intervient dans un registre d’action prédéfini, en fonction des rapports de genre et intergénérationnels qui fixent les normes de partage du pouvoir, délimitent les sphères d’activité et l’accès aux ressources financières (Castle, 1993, p.139 ; Tanner et al., 1998, p.528). Au sein du cadre collectif de prise en charge de la maladie, la nature, le moment et les modalités de l’intervention de la mère, du père et des personnes extérieures au couple parental sont spécialisés. Les membres de la parenté de l’enfant remplissent des rôles précisément fixés et complémentaires entre eux : «les individus insérés dans les réseaux sociaux sont plus qu'un source d'influence dans la recherche de soins, ils sont des conseillers et des intervenants intégrés à un système de prise en charge thérapeutique collectif»72 (Pescolido, 1992, p.1113 ; Janzen, 1978 ; Igun, 1987).

L’étude des pratiques thérapeutiques des différents membres de la cellule familiale doit être insérée dans la perspective de ce modèle collectif de prise en charge de la maladie de l’enfant. Il apparaît important de dissocier, dans l’analyse des comportements, les effets des choix individuels et les effets de la répartition sociale des rôles pour soigner l'enfant : dans quelle mesure le père tend, par préférence à orienter un soin vers une structure sanitaire et dans quelle mesure le découpage des rôles au sein de la sphère domestique sereer lui confère la charge de décider un recours biomédical en cas d’épisode morbide grave ? Les choix thérapeutiques opérés ne sont pas le simple prolongement de représentations différentes, mais également le fruit du découpage social des rôles imposé par les rapports de genre et les mécanismes de distribution des ressources au sein de la famille sereer. Dans une analyse faisant appel aux fondements de la psychologie sociale et de la sociologie interactionniste, c’est plus généralement la place occupée dans le groupe, la forme du groupe et les liens entre les personnes qui le compose qui déterminent les choix thérapeutiques et les conditions d’intervention dans l’épisode morbide des différents membres de la cellule familiale (Becker, 1963).

72 Traduction de l’auteur: « individual in social networks are more than an influence on help seeking, they are caregivers and advisors, part of a « therapy managing group ».

Nos résultats montrent que l’épisode morbide appartient fondamentalement à la sphère de responsabilité maternelle : la mère de l’enfant est la principale actrice de l’itinéraire curatif. L’implication de la mère n’est cependant pas uniforme à toutes les étapes du processus thérapeutique : ses interventions sont plus centrées sur la mise en oeuvre que sur la conception des actes thérapeutiques ; son activité diminue avec le temps de maladie, pour les recours externes et pour les soins pratiqués en seconde instance. Conformément à la littérature, la mère de l’enfant reconnaît en premier lieu les symptômes de maladie, s’alarme des signes pathologiques et propose les premières réponses thérapeutiques, dans de courts délais (Werner, 1989, p.347 ; Garenne, 1989 ; Konradsen, 2000 ; Mwenesi, 1994 ; Mwenesi et al., 1995 ; Lehesran et al., 2002). Dans une première phase, la maladie de l’enfant est confinée à la sphère de responsabilité maternelle : bénéficiant de sa grande proximité au jeune enfant, elle est relativement autonome pour prodiguer les premier soins, notamment ceux pratiqués spontanément dans la concession. Dans la population étudiée, l’affirmation du statut de femme dépend en grande partie de la capacité à être mère, entendue comme la capacité à engendrer et à s’occuper de ses enfants. Toute mère confrontée à la maladie cherche donc à la fois à soigner son enfant et à faire preuve de sa capacité à soigner son enfant malade : dans les premières heures de maladie, la mère a tendance à décider seule et à agir vite, en utilisant les ressources les plus directement accessibles pour prouver sa capacité à soigner l’enfant sans aide extérieure. Dans sa recherche de solutions rapides et faciles à mettre en œuvre, la mère de l’enfant, souvent dans l’incapacité de pouvoir faire face aux dépenses des postes de santé, privilégie les soins à domicile et les consultations auprès de thérapeutes traditionnels.

La posture de la mère dans le processus thérapeutique est complexe : elle est loin d’être un acteur autonome et indépendant ; elle n’est pas non plus systématiquement mise sous tutelle et, pour l’essentiel, bénéficie d’un réel espace d’action, avec un véritable pouvoir de décision. Les limites du champ d’intervention de la mère semblent principalement définies par le poids des contraintes, en terme d’enjeux de la maladie et d’autonomie financière (Ettling et al., 1989 ; Rashed et al., 1999). La tendance de la mère à financer plus fréquemment des recours traditionnels que des recours biomédicaux s’explique ainsi par un faible accès aux ressources financières de la famille : si elle peut s’acquitter de soins à domicile coûtant moins de 100 Francs CFA ou de recours traditionnels de moins de 200 Francs CFA, il lui est plus difficile d’assurer un recours en poste de santé dont le coût moyen est supérieur à 1000 Francs CFA.

Le manque d’autonomie financière de la mère limite sa capacité à gérer seule la maladie au-delà d’un certain stade et, en cas d’échec des premiers soins, elle doit faire appel à d’autres membres de la cellule familiale. C’est lorsque la maladie se prolonge ou que les symptômes s’intensifient que la mère se doit de chercher un appui moral ou financier pour trouver des soins efficaces : elle n’a, dès lors, plus « toute latitude de choix et l'intervention du père des enfants ou des grands-parents est susceptible d'influencer les décisions prises » (Adjamagbo et al., 1999, p.121 ; Locoh et al., 1992 ; Ouedraogo, 1999).

L’intervention du père de l’enfant dans le processus thérapeutique s’inscrit dans une perspective complètement différente. Le père agit surtout en tant qu’autorité morale et financière. Il est relativement peu concerné par la mise en œuvre des soins, mais est impliqué dans une part importante des décisions, bien qu’il avalise plus qu’il ne propose les actes thérapeutiques. Le champ d’action du père, principalement centré sur le financement des soins, concerne surtout les recours externes et, dans une moindre mesure, les soins à domicile envisagés en seconde instance. Le père intervient peu dans le traitement des épisodes courts et bénins : « les femmes restent les soignantes privilégiées dans le domaine des affections courantes qui touchent leur progéniture » (Kalis, 1997, p.196). L’implication du père augmente avec la difficulté d’accès aux actes thérapeutiques : en cas d’échec des premiers soins à domicile, de prolongement ou d’aggravation de la maladie, il incombe au père, désigné par la tradition comme le responsable « financier » de la cellule domestique (Troy, 1996), de prendre en charge d’autres types de soins, plus onéreux, qu’il les ait lui-même proposé ou qu’ils aient été initiés et réalisés par d’autres personnes.

Le cadre de l’intervention du père explique en partie son comportement pour la prise en charge de la maladie de l’enfant (Garenne, 1989, p.165). Ainsi, le fait qu’il soit principalement impliqué dans des soins difficiles à mettre en œuvre explique en partie sa tendance à privilégier les décisions prises dans la concertation et après de longs délais : bien que détenteur de l’autorité morale, le père décide rarement seul. Plus encore, l’association entre l’implication du père et la mise en œuvre de recours en structure sanitaire peut également être interprétée comme un effet des conditions de son intervention : en effet, au niveau des soins à domicile, le père ne manifeste pas une plus forte propension à proposer un traitement par chloroquine.

Les personnes extérieures au couple parental interviennent relativement peu et surtout en seconde instance : elles ne se substituent pas d’emblée aux parents biologiques de l’enfant, mais apportent, lorsque nécessaire, un appui pour un épisode morbide durant dans le temps. Les personnes extérieures au couple parental agissent principalement en temps que forces de proposition et de mise en œuvre de soins, mais rarement sous la forme de soutien financier. Enfin, les grand-mères de l’enfant privilégient les soins traditionnels.

Dans la littérature, l’analyse des comportements thérapeutiques de chacun des membres de la cellule familiale est, à juste titre, le plus souvent posée en terme de pouvoir, d’autonomie, d’accès aux ressources. Nos résultats mettent également en évidence l’impact des obligations sociales sur les comportements thérapeutiques. Ainsi, l'organisation sociale, culturelle et économique des rôles pour assurer le traitement d’un enfant malade investit le père de la responsabilité de décider et de financer en cas d’épisode grave, c'est à dire menaçant la survie de l'enfant ou nécessitant le recours à des soins onéreux : il lui revient donc de prendre l’initiative d’une consultation en structure sanitaire.

Par ailleurs, en dehors du champ de la maladie, chacun des membres de la cellule familiale est tenu de remplir un certain nombre d’obligations. En particulier, en Afrique rurale, les femmes assurent une grande charge de travail : elles s’occupent du suivi des enfants, des corvées d’eau, de la préparation du repas, des récoltes, et du ménage. Les pratiques thérapeutiques qu’elles conçoivent ou mettent en œuvre sont fonction de leurs lourdes obligations sociales, qu’elles doivent continuer d’assumer pendant qu’elles soignent l’enfant malade.

L’étude de la nature et des conditions d’intervention de la mère, du père et des personnes extérieures au couple parental souligne l’existence d’une véritable organisation sociale des rôles pour la prise en charge de la maladie de l’enfant, dont les différentes caractéristiques sont synthétisées dans le tableau 3-7.

Tableau 3- 7 : Modalités d’intervention des membres de la cellule familiale dans l’itinéraire thérapeutique

Mère Père Grand-mères Autres

Soins à domicile

Type de décision Seule Concertation Concertation Mixte

Type des soins Mixte Biomédical Traditionnel Mixte

Administration Très fréquent Rare Très rare Très rare

Financement Très fréquent Rare Très rare Très rare

Recours externe

Type de décision Mixte Concertation Concertation Concertation

Type des soins Mixte Biomédical Traditionnel Biomédical

Délai Assez rapide Peu rapide Tardif Tardif

Fréquence Administration Très fréquent Rare Rare Rare

Nature administration Biomédical Biomédical Traditionnel Traditionnel

Fréquence financement Fréquent Fréquent Rare Rare

Nature financement Mixte Biomédical Mixte Mixte

Ce modèle reste très général. Il est notamment susceptible de varier en fonction des caractéristiques de l’épisode morbide. En effet, un épisode court et bénin, efficacement traité par des soins à domicile, peut être pris en charge par un seul individu. En revanche, lorsque la maladie se singularise par une évolution inattendue ou des manifestations spectaculaires, la nécessité d’avoir une réaction rapide et efficace tend à concerner toute la cellule familiale : « pour une banale maladie nécessitant seulement le recours au dispensaire ou à la guérisseuse du quartier, et donc mobilisant une énergie et une somme minimes, la décision peut être prise par la mère (ou une autre femme de la maison, tante ou grand-mère) ; en revanche, pour une affection qui engage des frais plus importants […], le père sera presque toujours partie prenante de la décision » (Fassin, 1992, p.166).

L’organisation des rôles dépend également des l’histoire de l’itinéraire thérapeutique, construit par un enchaînement d’étapes successives où les phases de proposition, de discussion, d’accompagnement, de financement et d’administration ne sont pas indépendantes.