• Aucun résultat trouvé

4.3 Les caractéristiques socio-démographiques de l’enfant malade et de ses parents

4.3.3 Les caractéristiques de la famille de l’enfant

4.3.3.2 L’appartenance ethnique

En milieu rural sénégalais, la vie sociale reste principalement réglée par les codes de l’organisation sociale traditionnelle. Dans cette perspective, l’appartenance ethnique constitue un socle privilégié pour la constitution de l’identité individuelle et collective.

Au Sénégal, les pratiques culturelles, les formes d’organisation sociales et les normes comportementales varient selon les ethnies, comme l'indiquent les différences dans les niveaux de mortalité infanto juvéniles (tableau annexe 4.65).

Dans les villages étudiés, la population est quasiment homogène sur le plan ethnique : plus de 97 % des enfants enquêtés sont issus de l’ethnie sereer. Les autres enfants sont principalement des wolofs (n=12) et des toucouleurs (n=9), trois enfants étant rattachés à d’autres ethnies. Bien que cette forte homogénéité limite la portée de nos analyses sur le critère ethnique, nous formulons l’hypothèse que chaque groupe ethnique a ses codes traditionnels pour l’interprétation et le traitement de la maladie, mais également pour la définition des responsabilités au sein de la cellule familiale : l’ethnie est un facteur de différenciation des pratiques thérapeutiques et des modalités de prise en charge de la maladie.

La nature des actes thérapeutiques pratiqués varie significativement en fonction de l’ethnie (figure 4-31).

Figure 4- 31 : Pratiques thérapeutiques selon la religion des parents115 : la mère est chrétienne (N=175) ou non (N=705) 33,3% 25,1% 33,3% 21,4% 25,0% 11,4% 8,3% 16,7% 0,0% 10,7% 0,0% 5,0% 10,0% 15,0% 20,0% 25,0% 30,0% 35,0% Paracétamol ns (1,33) Recours en centre de santé ns (1,56) Recours en centre de santé 48H ** 2,19 Recours traditionnel ns (0,50) Recours traditionnel 48 H *

Ethnie non sereer Ethnie sereer

Les ménages d’ethnie non sereer se caractérisent par une forte utilisation de l’offre de soins biomédicale. En l’absence de relations statistiquement significatives, il apparaît qu’ils consomment plus de médicaments dans le cadre des soins à domicile et consultent plus en structure sanitaire. Les enfants qui ne sont pas sereers consultent en outre 2,2 fois moins souvent auprès de thérapeutes traditionnels dans les premières 48 heures de maladie (figure 4-31). Les associations observées tendent à confirmer nos hypothèses : les wolofs et les toucouleurs ne partageant pas l’ensemble des références étiologiques Sereer et étant d’implantation plus récente, ils ont moins tendance à consulter auprès des thérapeutes traditionnels locaux. Les différences au niveau des pratiques thérapeutiques différentes s'expliquent donc en partie par des facteurs proprement culturels ; conformément à une étude menée au Mali, elles sont également liées aux conditions de prise en charge de la maladie : «les différences entre les deux groupes ethniques étaient associées à des variations du statut de la mère, au regard de son soutien et de son autonomie dans le ménage »116 (Castle, 1993, p.137).

115 Nous nous sommes intéressés à la religion de la mère, renseignée pour 880 enfants contre 768 pour les pères. Les associations liés à la religion de la mère et du père sont très proches (tableaux annexes 6.62 et 5.63).

116 Traduction de l’auteur : "real differences between the two ethnic groups were reflected in variations in maternal status defined according to women's support and/or autonomy in their households"

4.3.3.3 La caste

Le système de castes stratifie la société sereer en plusieurs groupes liés entre eux par des systèmes de relations imbriquées impliquant un ensemble de rapports et d’obligations réciproques. Dans un milieu encore très traditionnel, les castes constituent une dimension majeure de la vie sociale : elles formatent le découpage des activités professionnelles et définissent en partie, au quotidien, les normes de vie sociale, en particulier les règles matrimoniales.

Dans ce cadre, nous formulons l’hypothèse que la caste constitue un déterminant direct des comportements de recours aux soins, dans le sens où les castes les plus marginalisées socialement ont moins recours aux centres de santé et privilégient les soins à domicile.

Bien que structurée en un nombre important de castes transmises au sein des lignages familiaux, l’organisation sociale sereer est cependant relativement peu hiérarchisée au regard d’autres peuples d’Afrique de l’Ouest (Akoto et al., 1989).

Pour cette analyse, nous avons regroupé les castes sereers en deux groupes principaux : d’une part, le groupe des castes socialement marquées, regroupant les artisans (forgerons ou cordonniers), les bûcherons et les griots, qui représentent près de 7 % des enfants enquêtés ; d’autre part, l’ensemble des autres castes, composé pour l’essentiel de paysans et des tiédos117.

Les enfants de castes socialement marquées, les griots, les artisans et les bûcherons ont des pratiques thérapeutiques relativement spécifiques (figure 4-32).

117 Les tiédos sont des guerriers, historiquement serviteurs des nobles dans les royaumes sereers. Par ailleurs, nous avons associé à ce groupe les enfants d’autres ethnies, dans la mesure où ils n’appartenaient pas à des castes socialement marquées.

Figure 4- 32 : Pratiques thérapeutiques selon la caste de la famille de l’enfant : l’enfant est griot, artisan (forgeron ou cordonnier) ou bûcheron (N=62) ou non (N=840)

6,5% 2,7% 35,5% 49,3% 35,5% 24,5% 9,7% 22,5% 4,8% 12,3% 11,3% 16,8% 0,0% 5,0% 10,0% 15,0% 20,0% 25,0% 30,0% 35,0% 40,0% 45,0% 50,0% Incantations * (2,41) Massages ** (0,72) Paracétamol * (1,45) Recours en centre de santé ** (0,43) Recours en centre de santé 48H * (0,39) Recours traditionnel ns (0,67) Griot, artisan ou bucheron Autre caste

*** Significatif à 1 % ; ** Significatif à 5 % ; * Significatif à 10 % ; ns non significatif à 10 % ; (rapport de fréquence) Dans le cadre des soins à domicile, les enfants des castes socialement marquées ingèrent plus de médicaments, notamment 1,5 fois plus de paracétamol, et prodiguent 2,4 fois plus de soins par incantations ou amulettes ; ils pratiquent en revanche moins de massages (figure 4-32). Les griots et les artisans se caractérisent surtout par une propension significativement moins importante à réaliser des recours externes, notamment en structure sanitaire : ils consultent 1,5 fois moins souvent auprès de thérapeutes traditionnels et 2,3 fois moins en structure sanitaire, avec une tendance très marquée à moins consulter dans les premières 48 heures de maladie (figure 4-32).

La caste d’appartenance influence relativement peu les modalités de prise en charge de l’enfant malade. Il apparaît cependant, en l’absence de relations significatives, que les griots, les artisans et les bûcherons prennent plus souvent les décisions thérapeutiques sans concertation et qu’ils mobilisent pour les recours externes des sommes moins importantes que les autres : ils ont ainsi mobilisé 920 Francs (n=5) en moyenne pour le premier recours externe vers une structure sanitaire contre plus de 1 500 Francs pour les autres (n=156).

Au regard des résultats, la caste apparaît comme un facteur majeur de différenciation des pratiques thérapeutiques. Les processus qui y sont associés se rapportent aux codes sociaux et culturels traditionnels : lors d'un entretien, un homme nous a rapporté, en parlant de ses voisins griots « que c'est mon devoir de soigner leurs enfants malades. Eux, ils vont attendre que je prenne l'enfant et que je l'emmène au dispensaire » (J.F., Sob).

4.3.4 Conclusion partielle

Conformément à notre hypothèse posant l’existence d’une multiplicité de déterminations, le profil socio-démographique de l'enfant malade, de sa mère, de son père et plus généralement de son groupe familial exercent une profonde influence sur les comportements de recours aux soins. Les différents paramètres socio-démographiques étudiés ont une influence variée sur le volume, le type et la nature des actes thérapeutiques pratiqués et sur les conditions de prise en charge de la maladie au sein de la cellule familiale. Parmi les nombreux facteurs influençant la consultation en structure sanitaire, il est ainsi possible de distinguer ceux favorisant, d’une manière générale, une activité thérapeutique tournée vers l'extérieur toutes filières thérapeutiques confondues et ceux favorisant spécifiquement le recours biomédical.

La majeure partie des associations observées abonde dans le sens des données de la littérature. L’influence des variables socio-démographiques est le plus souvent articulée autour du statut individuel et de l’identité collective : la capacité à décider et à financer une consultation en structure sanitaire est inversement corrélée au statut social, à l'image des niveaux de mortalité (Heggenhougen et al., 2003). Ainsi, en raison de processus faisant appel aux dimensions sociales et culturelles (Akoto et al., 1989), les marqueurs de l’identité du groupe familial constituent des facteurs de différenciation des comportements thérapeutiques : les enfants de l’ethnie sereer et ceux rattachés à des castes socialement marquées fréquentent moins les centres de santé. Dans la même logique, l’âge de l’enfant et celui de ses parents, avec pour corollaires respectifs le statut d’allaitement et le rang de naissance de l’enfant, déterminent profondément la sélection des moyens thérapeutiques. Conformément à la littérature, les jeunes enfants et les parents jeunes mettent plus souvent en œuvre des recours externes, notamment en structure sanitaire (Adjamagbo et al., 1999 ; Assogba, 1991 ; Von Seidlein et al., 2002).