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Au moins un soin à domicile

3.2 La prise en charge de l’enfant malade

3.2.3 La conception des actes thérapeutiques

Nous avons caractérisé le processus décisionnel conduisant à la pratique du soin d’une part en fonction des acteurs impliqués et d’autre part en fonction du schéma décisionnel.

L’étape première pour la conception d’un acte thérapeutique est la formulation d’une proposition de soin. Sur la base de cette initiative, la décision peut s’inscrire, ou non, dans le cadre d’échanges interpersonnels.

La mère est partie prenante de plus de 80 % de l’ensemble des décisions d’actes thérapeutiques, mais légèrement plus pour les soins à domicile que pour les recours externes (figure 3-10). Le père et les personnes autres sont nettement plus impliqués dans les décisions des recours externes que dans celles des soins à domicile : ils y participent respectivement 1,6 fois et 1,5 fois plus. Ces tendances sont encore plus marquées au niveau de la proposition des actes thérapeutiques. La mère de l’enfant est la première force de proposition, mais propose 1,5 fois plus souvent un soin à domicile qu’un recours externe ; à l’inverse, le père de l’enfant propose 2,7 fois plus souvent un recours externe qu’un soin à domicile (tableau annexe 3.13). Les personnes extérieures au couple parental prennent l’initiative d’environ 8 % des soins à domicile et du premier recours externe, mais plus de 15 % du recours externe pratiqué en seconde instance (tableau annexe 3.13).

Figure 3- 10 : Participation des différentes personnes aux décisions de soins à domicile et de recours externes 93,1% 33,6% 30,7% 84,9% 53,9% 46,4% 0,0% 10,0% 20,0% 30,0% 40,0% 50,0% 60,0% 70,0% 80,0% 90,0% 100,0%

Soins à domicile (N=1280) Recours externe (N=358)

Mère de l’enfant Père de l’enfant Autres personnes

La capacité des différents acteurs du recours aux soins à prendre l’initiative des actes thérapeutiques évolue au cours de l’épisode morbide : les personnes proposant les soins ne sont pas les mêmes aux différentes phases de l’itinéraire thérapeutique. Cependant, l’itinéraire thérapeutique se construit dans une micro-historicité où les conditions de production des premiers soins influencent les modalités de pratique des soins suivants. Ainsi, le fait de proposer le premier soin à domicile est fortement corrélé au fait de prendre l’initiative du second soin à domicile : lorsque la mère, le père ou les personnes Autres proposent le premier soin à domicile, ils prennent respectivement l’initiative du second soin dans 85 %, 30 % et 50 % des cas (p<0,01) (tableau annexe 3.14).

Dans une réflexion psycho-sociale, ce résultat renvoie aux conséquences de l’engagement d’un premier soin, prédisposant à la proposition d’autres soins (Grawitz, 1986). Il peut également être l’expression d’une répartition des rôles stabilisée au sein des cellules familiales étudiées.

Les modalités de conception des actes thérapeutiques sont très variables : un soin peut être conçu et mis en œuvre par une seule personne, mais il peut également être le fruit de discussions faisant intervenir, en différentes étapes, plusieurs personnes. La majorité des actes thérapeutiques sont décidés après concertation d’au moins deux personnes, avec une différence significative entre les soins à domicile et les recours externes, qui font respectivement l’objet d’une concertation entre plusieurs personnes à 45 % et à 70 % (p<0,01) (figure 3-11).

La nature même des actes thérapeutiques est associée à des schémas décisionnels différents : ainsi, l’administration de médicaments dans le cadre des soins à domicile donne plus souvent lieu à une concertation que les autres soins (p<0,05). De manière similaire, plus de 75 % des recours en poste de santé sont décidés collectivement, contre moins de 65 % des recours traditionnels (p<0,05) (tableau annexe 3.15).

Figure 3- 11 : Caractéristiques du schéma décisionnel pour les soins à domicile (N=1360) et les recours externes (N=358) 45,7% 54,3% 70,9% 29,1% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

Soins à domicile Recours externes

La forme du schéma décisionnel semble principalement déterminée par les enjeux et les contraintes inhérentes aux choix thérapeutiques. Les soins à domicile, faciles d’accès et très fréquemment pratiqués, sont perçus comme des soins relativement anodins, et à ce titre, relèvent le plus souvent de décisions individuelles. Les recours externes, en particulier biomédicaux, exposant l’enfant à des soins nécessitant l’engagement de moyens financiers et temporels conséquents, sont plus souvent décidés collectivement.

La concertation des membres de l’entourage vise principalement à surmonter les obstacles posés par le problème médical et par l’accès aux soins jugés efficaces : «presque toutes les mères ont affirmé qu’elles cherchent des conseils avant d’emmener leur enfant en structure sanitaire »70 (Mwenesi et al., 1995, p.1274).

Dans le cadre des échanges entourant les prises de décisions thérapeutiques, il est difficile de faire la différence entre la recherche de conseils, la sollicitation d’autorisation morale et l’attente d’un soutien matériel ou financier. En effet, les notions d’autorisation et d’information sont très proches et, dans le contexte culturel sereer, les nuances linguistiques ne nous permettent pas, dans le cadre de cette enquête quantitative, de dissocier ce qui ressort de l’action informative et ce qui est de l’ordre de la conformation aux impératifs sociaux ou financiers. Le discours formel met en avant l’autorisation morale et le respect des hiérarchies statutaires. Au contraire, dans la complexité des relations entre les membres de l’entourage de l’enfant, nos observations in situ nous donnent à penser que la concertation a principalement une dimension informative : le plus souvent, les choix sont consensuels, et le père approuve plus de 80 % des décisions auxquelles il n’a pas participé.

De manière assez surprenante au regard de la littérature, le schéma décisionnel varie également en fonction de l’identité de la personne proposant le soin. Ainsi, la mère de l’enfant se distingue par une forte propension à décider seule des actes thérapeutiques : elle décide seule 65 % des soins à domicile et 40 % des recours externes qu’elle propose (figure 3-12).

70 Traduction de l’auteur : « almost all mothers […] reported that they would seek advice before taking an ill child to a health facility »

Figure 3- 12 : Schéma décisionnel selon la personne proposant les soins à domicile (N=1279) et les recours externes (N=358) de première et seconde instance

65,7% 34,3% 40,9% 59,1% 18,8% 81,2% 21,8% 78,2% 22,5% 77,5% 12,3% 87,7% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

Mère SAD Mère RE Père SAD Père RE Autres SAD Autres RE

Seul Concertation

Toutes proportions gardées, la mère semble donc bénéficier d’une réelle liberté de conception des soins, ce qui nuance les observations selon lesquelles « le choix de la personne qui va soigner l'enfant ou qui va décider du thérapeute le plus approprié, bien souvent n'est pas fait par la mère de l'enfant » (Ouedraogo, 1999, p.52). A l’inverse, près de 80 % des soins à domicile et des recours externes proposés par le père et les grand-mères sont conçus en concertation : bien que dépositaires de l’autorité morale et le plus souvent du pouvoir économique, ils ne privilégient pas les décisions unilatérales. Ces tendances doivent être interprétées en fonction de la nature du recours : le père décide 2,2 fois plus souvent seul des recours traditionnels que des recours biomédicaux (p<0,1) (tableau annexe 3.16).

Les discussions autour de la décision de pratiquer un acte thérapeutique associent le plus souvent deux personnes, et rarement plus de trois. Les décisions pour les recours externes associent en moyenne plus de personnes que les décisions pour les soins à domicile, et celles pour les recours médicaux plus que celles pour les recours traditionnels.

Les parents de l’enfant consultent moins de personnes différentes que les autres acteurs de l’itinéraire thérapeutique : lorsque leur proposition fait l’objet d’une concertation, la mère et le père interagissent avec 1,1 personnes en moyenne, alors que les autres personnes interagissent avec 1,2 personnes pour les soins à domicile et 1,5 personnes pour les recours externes. De manière peu surprenante, chacun des membres du couple parental se tourne préférentiellement vers son conjoint.

Les différents acteurs de la santé de l’enfant influencent significativement la nature des choix thérapeutiques à tous les niveaux de la quête curative. Ainsi, au niveau des soins à domicile, le père propose dans 80 % des cas des médicaments ; les grands-mères prennent dans la moitié des cas l’initiative de massages et privilégient également l’administration d’aliments spéciaux et d’enveloppement frais (figure 3-13).

Figure 3- 13 : Nature du premier soin à domicile selon l’identité de la personne en ayant pris l’initiative : la mère (N=601), le père (N=104), les grands-mères (N=47) et les autres personnes (N=69)

57,4% 27,3% 9,0% 5,5% 0,8% 80,8% 11,5% 1,9% 2,9% 2,9% 27,7% 51,1% 12,7% 8,5% 0,0% 59,4% 24,6% 10,1% 4,4% 1,5% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

Mère Père Grands-mères Autres

La mère et les grands-mères proposent dans la majorité des cas des recours traditionnels (p<0,01) (figure 3-14). De plus, lorsqu’elles proposent un recours biomédical, elles privilégient les cases de santé. Au contraire, 80 % des recours externes proposés par le père sont orientés vers une structure sanitaire, le plus souvent vers un poste de santé. A l’image du père, les autres personnes non ascendantes de l’enfant intervenues dans l’itinéraire thérapeutique, qui sont le plus souvent les oncles ou les grands frères de l’enfant privilégient surtout les médicaments et les recours biomédicaux.

Figure 3- 14 : Nature du premier recours externe selon l’identité de la personne l’ayant proposé : la mère (N=150), le père (N=86), les grands-mères (N=32) ou d’autres personnes (N=24)

48,0% 52,0% 80,2% 19,8% 43,8% 56,2% 70,8% 29,2% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

Mère Père Grands-mères Autres

Recours biomédical Recours traditionnel

Le délai pour le premier recours externe varie selon la personne qui en a pris l’initiative : le délai au premier recours en centre de santé est respectivement de 2,4 jours (N=72), 2,6 jours (N=69) et 2,9 jours (N=31) selon que la mère, le père ou les autres personnes en aient pris l’initiative (t<0,01). Concrètement, les recours biomédicaux proposés par la mère interviennent significativement plus fréquemment dans les deux premiers jours de maladie que ceux proposés par le père, et surtout que ceux initiés par d’autres personnes (p<0,1) (tableau annexe 3.19).

Le délai de réalisation du premier recours externe varie également selon le schéma décisionnel (tableau annexe 3.18) : il est en moyenne de 2,2 jours (n=88) pour les recours réalisés par une personne seule et de 2,5 jours (n=204) pour ceux décidés en concertation (t<0,1). Lorsqu’elle décide toute seule, la mère agit nettement plus vite que dans le cadre des décisions concertées (t<0,1). Cette propension à agir plus vite seule ne varie pas selon la nature du recours externe. A l’inverse, si le délai des recours proposés par le père varie peu en fonction du schéma décisionnel, il est significativement plus rapide pour les recours traditionnels que pour les recours biomédicaux (t<0,05).

Lorsque ce sont des personnes extérieures au couple parental qui proposent le premier recours externe, le délai augmente de manière significative, avec un délai moyen maximal pour les recours biomédicaux (t<0,1). Les recours proposés par le père sont également plus rapides lorsqu’ils sont tournés vers les guérisseurs traditionnels, sans fortes variations selon le schéma décisionnel. Le délai de recours biomédical est toujours nettement supérieur à celui du recours traditionnel, sauf pour la mère de l’enfant, surtout lorsqu’elle décide seule.

Les résultats mettent en évidence l’existence de variations au niveau des choix thérapeutiques, des modèles décisionnels et des conditions de mise en œuvre des soins selon l’identité de la personne prenant l’initiative de l’acte thérapeutique. De manière conforme à la littérature, ils confirment la tendance des aînés, gardiens des traditions, à orienter les recours aux soins vers des thérapeutes traditionnels, au détriment des structures sanitaires (Adjamagbo et al., 1999).