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4.1 Caractéristiques de la maladie enquêtée

4.1.1.2 Influence sur les pratiques thérapeutiques

A la lumière de l’étude des caractéristiques des épisodes enquêtés, nous avons choisi d’articuler l’analyse de l’influence de la symptomatologie sur les pratiques thérapeutiques à partir de trois indicateurs distincts. Dans l’objectif d’étudier les pratiques thérapeutiques au cours des premières heures de maladie, et considérant que la persistance des symptômes distingue clairement des profils symptomatiques différents, notre principal indicateur prend en compte la présence continue de certains symptômes les deux premiers jours de maladie. Cependant, pour contrôler l’influence des effets des soins à domicile, pratiqués à 85 % (n=1461) le jour d’apparition des symptômes, nous établirons un second indicateur, basé sur les caractéristiques de la symptomatologie le premier jour de maladie. Enfin, pour analyser pleinement la dimension temporelle du recours aux soins, et puisque, pour les répondants, le principal facteur de gravité est la persistance des symptômes75, un troisième indicateur sera centré sur la présence de symptômes continus durant au moins 48 heures consécutives.

Au regard de la littérature épidémiologique, de la description des caractéristiques des épisodes morbides, nous avons choisi d’articuler en premier notre analyse des associations entre les caractéristiques de la symptomatologie rapportée et les pratiques thérapeutiques sur l’étude de la fièvre, des vomissements et de l’indisposition. Dans un second temps, nous avons étudié l’influence des diarrhées, des convulsions, des céphalées et des douleurs corporelles.

Dans la mesure où près de 95 % des enfants sont atteints de forte fièvre le premier jour de maladie, nous avons principalement étudié l’influence de la présence continue d’une forte fièvre les deux premiers jours de maladie76. La présence d’une fièvre forte continue les deux premiers jours de maladie influence fortement la nature, le volume et le délai des pratiques thérapeutiques. Elle favorise la la mise en œuvre d’une activité thérapeutique intense : moins de 1,5 % des enfants avec forte fièvre continue les deux premiers jours de maladie ne reçoivent aucun soin, soit trois fois moins que les autres enfants (figure 4-1).

75 Se reporter au chapitre 5.2 portant sur les connaissances et les représentations en matière de santé.

76 La présence de fortes fièvres le premier jour de maladie est associée à une ingestion légèrement plus fréquente de chloroquine et moins de soins par aliments spéciaux (tableau annexe 4.7).

Figure 4- 1 : Pratiques thérapeutiques selon l’intensité de la fièvre les deux premiers jours de maladie : fièvre forte continue ou modérée

54,1% 63,0% 20,8% 13,8% 16,5% 10,7% 34,7% 13,3% 17,7% 8,0% 24,2% 11,4% 0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 Médicament *** (0,86) Aliments spéc. ** (1,51) Enveloppe frais ** (1,54) Recours en centre de santé *** (2,61) Recours en centre de santé en moins de 48H *** (2,21) Recours à un tradithérapeute *** (2,12)

Fièvre forte (n=351) Fièvre faible ou modérée (n=551)

*** Significatif à 1 % ; ** Significatif à 5 % ; * Significatif à 10 % ; ns non significatif à 10 % ; (rapport de fréquence)

La présence d’une fièvre forte continue les deux premiers jours de maladie est associée à une utilisation 1,5 fois plus fréquente d’aliments spéciaux77 et d’enveloppement frais, afin d’abaisser la température de l’enfant. Elle limite l’ingestion de médicaments dans le cadre des soins à domicile, mais renforce fortement la propension à faire un ou plusieurs recours externes : elle favorise 2,1 fois le recours à un thérapeute traditionnel et 2,6 fois la consultation en structure sanitaire. La présence d’une fièvre forte continue favorise en outre la mise en œuvre de recours externes rapides, de nature biomédicale comme traditionnelle (figure 4-1 et tableau annexe 4.8).

La présence de vomissements est peu associée à la pratique de soins à domicile, mais influence significativement la tendance à réaliser un ou plusieurs recours externes : plus de la moitié des enfants vomissant consulte au moins une fois (tableau annexe 4.8). Les vomissements sont perçus comme des symptômes de gravité nécessitant une expertise extérieure, de préférence biomédicale : les enfants vomissant les deux premiers jours effectuent ainsi 1,5 fois plus de recours traditionnels et 2,5 fois plus de recours biomédicaux (figure 4-2).

La présence de vomissements induit une réaction rapide : la propension à consulter rapidement en structure sanitaire est 2,0 fois plus importante lorsque l’enfant vomit les deux premiers jours de maladie (figure 4-2). Les associations observées sont encore renforcées lorsque les vomissements sont intenses (tableau annexe 4.8).

Figure 4- 2 : Pratiques thérapeutiques selon la présence de vomissements les deux premiers jours de maladie : vomissements (N= 132) ou non (N=770)

44,7% 17,7% 20,5% 10,3% 23,5% 15,2% 0,0% 5,0% 10,0% 15,0% 20,0% 25,0% 30,0% 35,0% 40,0% 45,0%

Recours en centre de santé *** (2,53)

Recours en centre de santé en moins de 48H *** (2,00)

Recours à un tradithérapeute ** (1,55)

Vomissements Pas de vomissements

L’indisposition78, considérée le seul premier jour de maladie, influence peu les pratiques thérapeutiques. En revanche, lorsque l’indisposition est persistante les deux premiers jours de maladie, les enfants reçoivent un nombre plus important de soins à domicile (tableau annexe 4.11) ; ils ingèrent notamment plus d’aliments spéciaux (figure 4-3). Les enfants indisposés les deux premiers jours de maladie effectuent plus souvent un ou plusieurs recours externes (tableau annexe 4.11), y compris au cours des premières heures de maladie, avec 2,1 fois plus de consultations en structure sanitaire et auprès des thérapeutes traditionnels (figure 4-3).

Figure 4- 3 : Pratiques thérapeutiques selon l’indisposition continue de l’enfant les deux premiers jours de maladie : indisposition continue (N= 633) ou non (N=269)

19,3% 10,0% 25,8% 11,9% 13,9% 6,7% 19,4% 9,3% 0,0% 5,0% 10,0% 15,0% 20,0% 25,0% 30,0%

Aliments spéciaux *** (1,93) Recours en centre de santé *** (2,17)

Recours en centre de santé en moins de 48H *** (2,07)

Recours à un tradithérapeute *** (2,09)

Indisposition continue Non

*** Significatif à 1 % ; ** Significatif à 5 % ; * Significatif à 10 % ; ns non significatif à 10 % ; (rapport de fréquence)

78 Les principaux critères d’indisposition sont l’alitement, et, pour les tous jeunes enfants, l’inappétence et la somnolence.

La présence de diarrhées, persistantes ou non, influence fortement les pratiques thérapeutiques (figure 4-4). De manière attendue et conforme aux observations de la littérature, la présence de diarrhées double la propension à ingérer des aliments spéciaux. En revanche, de manière surprenante, la consommation de médicaments ne varie pas en fonction de la présence de diarrhées et, spécifiquement, l’ingestion de paracétamol diminue.

Les structures sanitaires sont identifiées comme des espaces efficaces pour la prise en charge de la morbidité avec diarrhées : les diarrhées sont associées à 2,0 fois plus de recours en structure sanitaire, mais ne favorisent pas le recours à un thérapeute traditionnel (figure 4-4). Cependant, les diarrhées ne sont pas perçues comme une urgence et n’influencent pas la propension à consulter dans les premières 48 heures de maladie.

Figure 4- 4 : Pratiques thérapeutiques selon la présence de diarrhées continues les deux premiers jours de maladie : présence de diarrhées continues (N= 61) ou non (N=861)

11,5% 26,3% 31,2% 15,5% 41,0% 20,2% 11,5% 11,8% 19,7% 16,2% 0,0% 5,0% 10,0% 15,0% 20,0% 25,0% 30,0% 35,0% 40,0% 45,0%

Paracétamol ** (0,44) Aliments spéciaux *** (2,01) Recours en centre de santé *** (2,03) Recours en centre de santé en moins de 48H ns (0,97) Recours à un tradithérapeute ns (1,22) Diarrhées Pas de diarrhées

Bien que basés sur de faibles effectifs (n=12), nos résultats indiquent clairement que les crises convulsives sont perçues comme des signes de gravité extrême, nécessitant l’intervention d’une personne qualifiée. La présence de convulsions entraîne quasi-systématiquement un recours externe : 85 % des enfants convulsant au cours des trois premiers jours sont amenés au moins une fois en consultation et 40 % d’entre eux effectuent plusieurs recours consécutifs (tableau annexe 4.11). La survenue de crises convulsives induit une réponse rapide : plus de 65 % des enfants atteints de convulsions ont été emmenés en structure sanitaire en moins de 48 heures (tableau 4-2).

Cependant, contrairement aux observations d’autres études, la forte activité thérapeutique générée par la survenue de consultations ne semble pas orientée vers une filière thérapeutique spécifique : les épisodes avec crises convulsives ont entraîné autant de recours biomédicaux que de consultations traditionnelles. Par ailleurs, la présence ponctuelle ou persistante de crises convulsives influence peu la pratique de soins à domicile : on observe tout juste une moindre consommation de médicaments chez les enfants atteints de convulsions au cours des trois premiers jours de maladie (tableau annexe 4.7).

Tableau 4- 2 : % des enfants malades ayant réalisé un recours externe, un recours médical, un recours traditionnel, un recours biomédical rapide et un recours traditionnel rapide

Recours biomédical Recours traditionnel Recours biomédical 48 heures N Convulsions Oui (Jour 1 ou 2) Non *** 66,7 21,0 *** 58,3 15,8 *** 66,7 11,0 902 12 890 Céphalées Oui (jour 1) Non *** 18,6 30,1 * 15,1 20,1 ** 10,3 15,9 902 663 239

*** Significatif à 1% ; ** Significatif à 5% ; *significatif à 10% ; ns non significatif à 10%

La présence de céphalées le premier jour de maladie exerce une influence très particulière sur les pratiques thérapeutiques. Les céphalées favorisent un diagnostic de maladie bénigne qui majore la pratique de soins à domicile et inhibe la mise en œuvre de recours externes, surtout biomédicaux (tableau 4-2, tableaux annexe 4.11 et tableau annexe 4.8). Les céphalées favorisent spécifiquement l’ingestion de médicaments dans le cadre des soins à domicile, avec une consommation 2,4 fois plus importante de paracétamol et 1,9 fois de chloroquine (tableau annexe 4.7).

Plusieurs symptômes de douleurs influencent significativement la pratique de soins à domicile mais peu celle des recours externes. Les douleurs corporelles renforcent ainsi 1,9 fois l’ingestion d’aliments spéciaux (tableau annexe 4.7). Lorsque l’enfant est atteint d’asthénie au cours des deux premiers jours de maladie, il ingère 2,7 fois plus d’aliments spéciaux, mais consomme moins de médicaments et reçoit moins d’enveloppement frais (tableau annexe 4.7). Le mal de côte, qui d’après la nosologie traditionnelle sereer, est la principale manifestation d’une maladie surnaturelle appelée diid, est spécifiquement associé à la pratique d’incantations79, pratiquées pour 13,3 % (n=15) des enfants souffrant de douleurs costales contre seulement 2,8 % des autres (n=887).

Les associations observées entre la symptomatologie des deux premiers jours de maladie et les pratiques thérapeutiques s’exercent, plus généralement, tout au long de la maladie. La prise en compte du calendrier d’apparition des manifestations de la symptomatologie et de la chronologie de mise en œuvre des recours externes souligne la grande réactivité de la population à l’évolution des symptômes au cours de la maladie. Ainsi, la survenue d’une forte fièvre, de vomissements ou d’indisposition au cours des cinq premiers jours de maladie80 est fortement associée à la réalisation de recours externes le jour même, et dans une moindre mesure, le lendemain (tableau annexe 4.9).

La propension à consulter en structure sanitaire est la plus sensible à l’évolution des symptômes dans le temps : ainsi, de manière statistiquement significative, plus de 15 % des enfants atteints de fièvres ou de vomissements le quatrième jour de maladie réalisent un recours biomédical et 8 % consultent un thérapeute traditionnel le jour même, contre à peine 2 % des autres enfants (tableau annexe 4.9).

79 Forme de massage avec récitation de paroles magiques

80 Nous n’avons considéré que les cinq premiers jours de maladie car à partir du sixième jour, la faiblesse des effectifs limite la significativité des observations

La figure 4-5 illustre l’intensité de la relation entre l’évolution des symptômes le jour même et la propension à aller consulter en structure sanitaire. Cette propension est encore renforcée lorsque les symptômes persistent durant 48 heures : plus de 25 % des enfants indisposés et 35 % de ceux atteints de forte fièvre durant deux jours consécutifs consultent en structure sanitaire contre 10 % des autres enfants (tableau annexe 4.10).

Figure 4- 5 : Propension à réaliser un recours biomédical le troisième jour (N=868), le quatrième jour (N=677) et le cinquième jour (N=460) de maladie selon les symptômes de l’enfant le jour même

0,0% 2,0% 4,0% 6,0% 8,0% 10,0% 12,0% 14,0% 16,0% 18,0%

Jour 3 Jour 4 Jour5

Fièvre forte Pas de fièvre forte Vomissements

Pas de vomissements Indisposition Pas d'indisposition

Pour replacer l’influence indépendante et spécifique de chaque symptôme dans le cadre d’épisodes morbides caractérisés par des tableaux cliniques associant plusieurs signes, nous avons construit des indicateurs combinant la présence d’une forte fièvre et d’un autre symptôme. La présence simultanée d’une forte fièvre et de céphalées le premier jour de maladie est à la fois associée à une plus forte consommation de médicaments, notamment de chloroquine dans le cadre des soins à domicile et à une moindre propension à faire un recours externe, en particulier en direction des structures sanitaires (tableau annexe 4.12).

A l’inverse, la présence d’une forte fièvre et de vomissements ou/et d’indisposition les deux premiers jours de maladie induit une moindre consommation de médicaments, même si la propension à ingérer de la chloroquine reste stable, mais favorise la réalisation de recours externes, 2,2 fois auprès des thérapeutes traditionnels et 2,5 fois en structure sanitaire.

Ainsi, plus du tiers des enfants atteints d’une forte fièvre associée à des vomissements ou de l’indisposition consulte en structure sanitaire, dont près de 20 % dans les premières 48 heures de maladie (figure 4-6).

Figure 4- 6 : Pratiques thérapeutiques selon la présence simultanée et continue d’une forte fièvre et de vomissements ou d’indisposition les deux premiers jours de maladie : oui (N= 329) ou non (N=573)

53,5% 63,0% 9,7% 11,9% 35,0% 14,0% 17,6% 8,4% 24,9% 11,5% 0,0% 10,0% 20,0% 30,0% 40,0% 50,0% 60,0% 70,0% Médicament *** (0,85)

Chloroquine ns (0,81) Recours en centre de santé *** (2,50) Recours en centre de santé en moins de 48H *** (2,10) Recours à un tradithérapeute *** (2,17)

Oui (jours 1 et 2) Non

Le profil symptomatique détermine également les conditions d’administration des soins. Dans le cadre des soins à domicile pratiqués spontanément au sein de la concession, le respect des règles d’administration du traitement par chloroquine est 3,3 fois plus fréquent pour les enfants indisposés les deux premiers jours de maladie (figure 4-7).

Figure 4- 7 : Propension à administrer de la chloroquine conformément aux règles de posologie (N=100) selon la présence continue les deux premiers jours de maladie de différents symptômes

23,6% 7,1% 5,7% 26,2% 0,0% 22,1% 6,3% 25,0% 0,0% 5,0% 10,0% 15,0% 20,0% 25,0% 30,0%

Indisposition * (3,32) Fièvre forte ** (0,22) Vomissements * (0) Fièvre forte et vomissement ou/et indisposition ** (0,25)

Oui Non

*** Significatif à 1 % ; ** Significatif à 5 % ; * Significatif à 10 % ; ns non significatif à 10 % ; (rapport de fréquence) En revanche, l’observance de la chloroquine ingérée spontanément est nettement moins bonne pour les enfants atteints de forte fièvre, de vomissements ou d’un tableau clinique sévère. Pour les vomissements, ce résultat s’explique par les difficultés d’ingestion par voie orale. Plus généralement, cette tendance reflète l’impatience des proches de l’enfant dans l’attente d’effets immédiat s: en cas de tableau clinique grave, si la symptomatologie n’évolue pas rapidement, le traitement par chloroquine est arrêté au profit d’autres soins. Après consultation en structure sanitaire, l’observance est meilleure pour les enfants atteints de céphalées et de forte fièvre (tableau annexe 4.13).