La première partie a pour objectif de nous permettre de mieux délimiter et commenter notre objet d’étude et notre objet de recherche. Comme son titre l’indique, nous nous proposons d’établir le déroulé temporel et historique de la presse. Phase que nous étudierons depuis la pseudo‐création de sa forme contemporaine, jusqu’à aujourd’hui, la presse spécialisée et la presse de territoire. Nous voulons en préciser les modalités et les contours, en examiner les critiques de tout un courant de pensée qui dénonce l’avilissement de la société et de la culture et qui demeure l’orientation de notre travail sur le magazine de territoire. Cette combinaison alambiquéeest soumise à l’influence des moyens de communication
78. Marshall MC LUHAN, Pour comprendre les médias, Op. Cit. p. 36.
79. Jean-Claude COQUET, Sémiotique Littéraire –Contribution à l'Analyse sémantique du discours, [Éditeur Jean-Pierre DELARGE], Mame, L'Univers Sémiotique, 1976, p. 7.
de masse. Dans le regard porté depuis un siècle sur la communication, l’accent a largement été mis sur les médias de masse par un effet de nouveauté évident, ceux‐ ci ayant fait une bruyante irruption dans le quotidien de la grande majorité des individus à partir de la fin du XIXe siècle. Il existe une autre raison à ce succès : ils constituent le fait communicationnel le plus original et le plus déterminant dans les sociétés qui se définissent désormais majoritairement par la démocratie80. Ils impliquent d’un coup les trois questionnements sur nos univers d’appartenance en rendant possible une mise en relation rapide et permanente des peuples et des cultures par le biais d’images, de textes et également de sons81, en rupture avec les moyens de communication et les régimes politiques antérieurs. Nous montrerons que les médias, dans leur ensemble, participent parfois à l’altération de la pensée. Nous confirmerons notre propos en évoquant la symbolique de Pierre BOURGAULT :
« Je ne crois pas exagérer en affirmant que les journaux, les magazines, la radio, la télévision affectent l'esprit humain exactement de la même manière que le font les drogues mineures. Le pot et le hasch annihilent — du moins temporairement — l'esprit de synthèse pour lui substituer un processus linéaire qui ne permet pas le retour en arrière, qui procède par flashes consécutifs, sans lien les uns avec les autres, et qui, en conséquence, fait éclater l'esprit en autant de petites cases indépendantes qui se suffisent à elles‐mêmes avant de mourir d'inanition »82.
Avant de continuer, nous souhaitons préciser certains points. L’histoire où le passé de la presse n’a pas été toujours stricto sensu au service de l’information mais
lato sensu en faveur de la propagande. Si la presse et plus particulièrement la
presse magazine, a une fonction d’information, ce n’est pas exclusivement en faisant référence à son étymologie première, mais bien à des manœuvres mercantiles ou politiques. Si le cœur des interrogations sur les effets semble aujourd’hui l’univers de l’enfance, le champ politique peut prétendre au statut de matrice des croyances en la puissance persuasive des médias avec le succès démesuré du concept de propagande.
80. Éric MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, Armand Colin, Paris, 2003, p. 13.
81. Le « son » ne nous concerne pas dans notre approche il est essentiel néanmoins de le citer pour approfondir notre réflexion et globaliser nos approches sur la communication médiatique.
82. Pierre BOURGAULT, La Culture. Écrits polémiques tome 2, PCL, 1996, p. 185.
« De nos jours, la plume est aussi puissante que l'épée lorsqu'elle se trouve au service d'un despote. Autrefois, les tyrans se recrutaient parmi les grands généraux ; de nos jours, les tyrans sont des stratèges passés maîtres dans l'art de la communication ; des orateurs ou des propagandistes experts en tromperie. Leurs armes sont la radio et la presse, tout autant que la police secrète et les camps de concentration. Lorsque les gens se sont laissé berner par la propagande, ils deviennent aussi serviles que lorsqu'ils sont soumis par la force brutale. Ce sont alors des fantoches politiques, non des hommes libres gouvernés démocratiquement »83.
Le constat fait par Bernard MIEGE et son équipe française en 1978 porte sur l’étude de l’histoire de la théorie des industries culturelles. Nous y reviendrons. Elle a démontré que, si le secteur de la production culturelle n’échappait pas à la logique de la reproduction capitaliste basée sur la production et sur la vente de marchandises reproductibles, cette reproduction se heurtait à certaines limites découlant du caractère spécifique des biens et services culturels84, alors que les penseurs francfortistes avaient mis l’accent sur la dénonciation de l’industrie culturelle comme un élément faisant partie d’un système beaucoup plus vaste.
Cette première partie, consacrée à l’histoire de la presse et du magazine, est souvent traitée par un grand nombre de chercheurs ou d’écrivains sous une forme différente de celle‐ci. Nous reprenons ici une idée de Francis BALLE, qui consiste à dire qu’il faut beaucoup d’audace et une certaine naïveté pour présenter, en un seul précis, les institutions des médias. Il peut même paraître inconvenant de présenter, dans cette thèse, les nombreuses discussions, souvent pathétiques et parfois frivoles, à propos de l’influence des médias, qu’ils soient petits ou grands, anciens ou nouveaux85. Forme que nous conduirons dans l’espace consacré à l’analyse du territoire et du terroir. Nous définirons subséquemment la notion de territoire géographique, culturel, économique, en en mesurant autant que faire se peut les limites. Notre approche du magazine spécialisé de la presse de territoire doit tenter de faire la lumière sur cette notion que nous pourrions idéologiquement
83. Mortimer Jerome ADLER,Comment lire les grands auteurs, traduction Louis-Alexandre BELISLE, Le Club des Grands Auteurs, 1964, p. 377.
84. Alain LEFEBVRE, Armel HUET, Jacques ION, Bernard MIEGE et René PERON, Capitalisme et industries culturelles, Presses universitaires de Grenoble, Grenoble, 1978.
85. Francis BALLE, Médias et société, Éditions Montchrestien, Collection université nouvelle, Domat politique, treizième édition, 2007, p. 7.
classer plus facilement dans la géographie des espaces que dans l’appropriation culturelle d’une zone terrestre ou maritime. Dans le même temps, nous ferons un historique des différentes formes de presse passée et présente et évoquerons les ancêtres du journalisme. Héritiers des « menanti »86 auxquels les rigueurs romaines souhaitaient qu’on coupât la main et arrachât la langue, les nouvellistes s’efforceront de déjouer les censeurs officiels jusqu’à la fin du XVIIIe siècle87. Bernard VOYENNE88 constate, « on ne leur demande pas d’être intelligent, ni même
de savoir écrire, mais seulement d’avoir l’ouïe fine et de se trouver là au bon moment »89.Aussi avons‐nous éprouvé le besoin d’éclairer le terme de presse, perçu quelquefois comme organe de promotion plutôt que d’information. Nous tenterons ensuite — l’épreuve est complexe, les informations souvent disparates — d’établir une sorte de chronologie de la presse à travers le temps. Ce qui nous conduit à préciser la généalogie de la notion de presse, notamment celle très différenciée de presse de territoire.
Dans un premier temps, nous proposons, au travers du chapitre II intitulé
« petite histoire du territoire : le domaine de la presse magazine spécialisée », un
cadrage initial des dimensions rattachées au lieu géographique. Nous tentons d’éclairer deux termes importants et non synonymes que sont « le territoire
géographique, et idéologique » et de les différencier. Si autrefois nous pouvions
assembler l’espace comme la division indiquée par les conditions naturelles du sol, aujourd’hui nous prenons le parti pris de distinguer la géographie physique et la géographie humaine.
86. Le nom commun "menanti" désigne littéralement : « ceux qui mènent, font l'opinion » ; ils ne conservaient plus qu’une façon de se venger : quand un pape trop dur pour eux venait de mourir, ils se chargeaient de composer une oraison funèbre que la vacance du Saint-Siège laissait impuni nous dit l’historien Jean DELUMEAU, dans son ouvrage Rome au XVIe siècle, 1975, p. 12-13. Ce mot absent des dictionnaires usuels français trouve ses racines en Italie à la fin du XVIe siècle.
87. Francis BALLE, op. cit., p. 80.
88. Bernard VOYENNE, Journaliste, professeur et écrivain, est né en 1920, à Vichy. Il prit part durant la Seconde Guerre mondiale à la Résistance et participa aux côtés d'Albert CAMUS à la rédaction du journal Combat. À partir de 1952, il devint professeur au Centre de formation des journalistes et poursuivit son enseignement à l'Institut français de presse de l'université de Paris II. Proudhonien convaincu, il fut aussi un militant anarcho-syndicaliste et fédéraliste. Historien, il fut l'auteur d'une dizaine d'ouvrages dont une encyclopédie sur l'histoire du mouvement fédéraliste.
89. Bernard VOYENNE, les journalistes in- Revue française de Sciences politiques, décembre 1959, volume 9, p. 901.
Cette phase est importante ; elle nous permet de spécifier la singularité de la presse spécialisée de territoires et d’en proposer une définition provisoire. Aujourd’hui, cette presse spécialisée entre dans un corpus du marché de l’édition90. Elle se distingue également parmi certains groupes de presse dans des rubriques très diverses : touristiques, gastronomiques, masculines, etc. Figure 1 Pyrénées magazine, n° 17 septembre – octobre 1991 Figure 2 Médoc magazine, hors série n° 1 été 2004 Sources : Photographie de l’auteur
Précisons que le groupe Milan Presse donne cette appellation à ces magazines découpant le territoire en secteurs géographiques, gastronomiques, culturels et historiques. Nous observons également cette prise en compte de presse de territoire91 que très récemment — depuis 2003 — dans Média Poche92, ouvrage qui
90. Selon l’Association pour le contrôle de la diffusion des media déclarations de diffusion sur l’honneur (D.S.H.). Sous la responsabilité de l’éditeur et procès verbaux de contrôle (P.V.) ; book 2007/2008 presse payante grand public, établi le 11/11/2008. Cette association nous donne dans la rubrique Loisirs (06), Tourisme –voyages (06.04) : Le chasse marée, Détours en France ; Géo ; Grands Reportages ; National Géographic ; Rail passion ; Terre sauvage ; Ulysse ; La vie du rail magazine. Territoires (06.06) : Alpes loisirs ; Alpes magazine ; Bretagne magazine ; En Alsace ; Massif Central magazine ; Pays Basque magazine ; Pyrénées magazine ; Terre de vins ; Terres catalanes.
91. Sur les magazines traitant du territoire et en fonction d’un classement à double entrées nous notons : Rubrique Tourisme –Voyages : L'art de voyager, Le chasse-marée, Détours en France, Géo, Grands reportages, National géographic, Rail passion, Terre sauvage, Ulysse, La vie du rail magazine, Voyages d’affaires. Rubrique Territoires :
Alpes loisirs, Alpes magazine, Bretagne magazine, En Alsace, Forêts magazine, Massif Central magazine, Pays Basque magazine, Pays de Provence, Pyrénées magazine, Terre de vins, Terres Catalanes.
92. Média Poche, SDPES – MPG Ressources, Puteaux, Édition 2006-2007. 48
recense la pénétration des médias dans l’univers culturel des Français. Le chapitre III de cette première partie nous donnera un éclairage sur les notions d’espace dans les sciences sociales. Nous pensons nécessaire de clarifier cette dimension sociétale qui correspond aux relations établies par la distance entre différentes réalités sociales. Nous devons intégrer cette notion indispensable à la compréhension de notre thèse93 ; nous pensons que le simple fait d’appartenir aujourd’hui à un espace géographique implique de facto une appartenance idéologique à un territoire94. Après avoir contextualisé notre sujet, nous en ferons de même avec notre objet de recherche.