Chapitre I. Évolution du rapport au territoire dans la presse
Section 3. Le] besoin de définir la presse magazine
Notre travail de créateur et de concepteur dans la presse magazine de territoire nous autorise à qualifier ce qui nous semble être la déficience calligraphique et visuelle d’un support imprimé. Afin de comprendre mieux notre propos, nous déclinons en quatre catégories les mises en page douteuses : la première entrouvre la porte du non‐respect de la logique du magazine, intrusive, elle oblige à une lecture forcée ; la seconde ne respecte pas le contrat de lecture. Nous avons constaté que les clients qui ont choisi le magazine, l’ont acheté, affirmant une certaine image d’eux‐mêmes, une identité au média. Les concepteurs créent un décalage en imposant une sur‐argumentation graphique et textuelle, admettant que le lecteur n’est pas capable de comprendre le message et forcent au feuilletage et à la subjectivité de choix associés. Il est évident, et nous l’avons observé, que lors d’un choix durant parfois plusieurs minutes, l’idée précise devient nébuleuse et incertaine.
La troisième irrégularité observe une profusion non maîtrisée d’outils rendant impropre l’esthétique du magazine avec le règne tout puissant de la publication assistée par ordinateur vigoureusement associée à la création assistée par ordinateur. Cruellement, le simple fait de triturer les logiciels habille d’une
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coloriées. L’ordinateur domine trop souvent la création et le concept final est faiblement apprécié par les créateurs. Les réponses appropriées passent par la photo et la typographie, c’est donc l’outil qui domine la création. Nous avons perdu dans ce voyage la politesse de l’esthétique. Néanmoins, un champ de l’esthétique demeure et prospère : c’est celui de la photographie. L’exigence dans la réalisation d’une image est aujourd’hui vitale, la forme étant aussi importante que le fond pour communiquer une idée. Faire une image photo plutôt qu’une image idée pour laisser au magazine son côté vitrine mais aussi sa source de fantasme, d’envie, d’imaginaire et créer une scénographie unique.
a. De la presse magazine spécialisée jusqu’au magazine de territoire
La difficulté apparente dans la presse magazine réside dans l’esprit de créativité insuffisamment dégagé de la globalité mais souvent enfermé dans sa page ou un concept éditorial étriqué. La simplicité d’une idée est la garantie de la compréhension du message par le lecteur. Le Littré nous donne une définition déterminant notre propos : « Qui n'est pas compliqué, qui est facile à employer, à
comprendre, à exécuter ». C’est une des conditions nécessaires sans laquelle les
autres caractéristiques deviennent stériles. Nous pensons inutile d'avoir une idée originale, reposant sur une stratégie pertinente, si le destinataire du message ne la comprend pas ou la comprend mal. Le créateur doit savoir dépouiller son style, le rendre assimilable.
Le magazine de presse se doit de faire gagner du temps par un contrat de lecture facilitant le déplacement dans les colonnes pour trouver l’information souhaitée dans un temps donné, et être ainsi conforté dans sa volonté d'achat. La frustration est parfois forte de n’avoir pu tout lire, dit encore Nata RAMPAZZO271. C’est pour cette raison que la navigation efficace apporte l'information de « proximité »
271. Nata RAMPAZZO avait, en 2004, effectué une intervention aux Journées Jean-François DE SALLES organisées autour du thème « La lecture et le temps ».
127 tâche, en lui donnant des clés ciblant le type d'information, l'univers qui l'attire. Ces clés de tri sont notamment la hiérarchie mais aussi les modes de traitement. Cette prise en charge du lecteur est « exemplaire » dans la presse des gratuits : hiérarchie et repérages maximum, textes courts, outils rédactionnels multiples... qui optimisent sur chaque page l'organisation de l'espace et du temps au détriment d’une certaine qualité.
L'histoire de la presse a une double vocation. Elle doit d'abord décrire la croissance du monde des périodiques depuis ses origines, analyser les facteurs de son développement, apprécier l'influence des journaux sur la vie des sociétés et sur le comportement des individus : elle doit identifier et suivre le courant particulier de la presse dans le flot de l'histoire générale. Elle est ensuite, et en même temps, une science auxiliaire de l'histoire ; les journaux, archives de la vie quotidienne, sont une source essentielle pour les historiens de toute vocation qui ne peuvent reconstituer valablement le passé sans recourir à leur témoignage. Ses difficultés actuelles sont réelles. À l’heure où nous écrivons ce chapitre, des bouleversements importants naissent dans le financement des chaînes de télévision publique par exemple. Nous parions sur l’accroissement des magazines dans un avenir proche avec une augmentation importante des budgets publicitaires reportés d’un média sur l’autre. Écho de toutes les activités des hommes et agents d'influence pour toutes les forces politiques, économiques, sociales et spirituelles, la presse exige, pour être analysée, une sorte de compétence encyclopédique. Les collections de journaux et de magazines, qui sont la matière première de leur histoire, forment une masse énorme dont le dépouillement demande un temps et des efforts démesurés. Peuvent se dessiner alors les contours plus précis du comportement de l’acheteur de presse magazine et de territoire. Fortement influencé par les courants
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et une presse digitale. Presse digitale dont Le Monde constate272 :
« Aujourd'hui, en France, une quinzaine de quotidiens revendique plus d'un million de visiteurs uniques mensuels. Si <Lemonde.fr> reste toujours en tête, selon le classement publié, lundi 16 juin 2008, par Nielsen‐NetRatings pour mai, derrière c'est la bousculade. Le site du Figaro est deuxième et se rapproche du leader, Google News se classant au troisième rang. L'affrontement est d'autant plus vif que l'internaute ne brille pas par sa fidélité. “Il y a une extraordinaire volatilité”, constate Jean‐Claude DASSIER273. Classement, mais aussi niveau des audiences fluctuent fortement d'un mois sur l'autre. En cause : la richesse de l'actualité mais aussi les opérations spéciales menées par chacun pour attirer le lecteur ».
Devant les différences d’évolution de la presse de territoire que nous arrivons à étudier, le transfert que nous allons dresser dans la prochaine subdivision, entre la presse magazine spécialisée et celle de territoire, nous surprend peu.
Il expose deux secteurs médiatiques très différents, quoique ressemblants quant aux limites de l’adoption du modèle de production de l’information écrite et visuelle. Il certifie la prépondérance entre le magazine des groupes de presse et celui d’initiative, mais aussi l’importance décisive du rôle des acteurs dans l’adoption du modèle et son incarnation dans le registre du politiquement correct.
Dans son enquête, l’AEPM note :
« il existe aujourd’hui une certaine multifidélité à la presse. Les Français explorent souvent différents magazines d’un même domaine. Ils sont fidèles à un besoin et vont chercher plusieurs réponses »274.
Fixer les limites d’un média de presse magazine pose un premier problème, celui de son identification ; de surcroît parler du magazine de territoire est encore plus insolite. Force est de constater que cette dénomination n’apparaît que très
272. Le Monde, La course à l'audience des sites d'information s'accélère, 19 juin 2008, Laurence GIRARD et Pascale SANTI.
273. Jean-Claude DASSIER, Directeur général de la chaîne d'information en continu LCI de 2000 à 2008, il est depuis 2008 directeur de la rédaction de TF1 (dont LCI est une filiale). Le Nouvel Observateur, La biographie de Jean-Claude Dassier, juin 2008.
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référence territoriale. Indication complexe dans la signification de territoire ; étendues géographiques non définies et ayant des frontières plus commerciales que territoriales, régionales ou autres enclaves géographiques. Le territoire, au sens sociologique, peut être lié à l'identité culturelle des populations l'habitant ou encore aux représentations que l'on s'en fait. Par référence, certains territoires sont considérés comme tels parce qu'ils ont été marqués par la culture et la population ou bien encore imprégnés d’un passé historique ou laborieux. Cet espace constitue, parce que nous le considérons comme tel, bien qu'aujourd'hui les mouvements de population et notamment dans les secteurs géographiques enrichis durant les saisons estivales ou hivernales y côtoient une population autochtone minoritaire et sous représentée. Ce concept de territorialité désigne le processus d'appropriation du territoire par les groupes sociaux. Géographiquement et théoriquement, nous ne pouvons le définir comme étant l'unité de l'identité par les lieux liés. Ces questions sur le magazine et le territoire s’inscrivent dans une ligne de réflexion critique sur les médias. Introduire concomitamment le magazine et la notion de territoire dans la société nous pose le problème de définir ces deux termes. Nombre de publications regroupées sous le terme ambigu de « magazine de territoire » reposent sur la capacité de percevoir ou ne pas percevoir les signes qui distinguent ces deux mots. Les médias et la société s’influencent mutuellement. Le lien social et le média sont intimement liés. Les dernières décennies ont connu des processus de redéfinition radicale de la territorialité. L’expansion des marchés de la presse, sous la poussée des changements introduits par les nouvelles techniques de l'information et de la communication, les frontières traditionnelles du journalisme et de l’édition sont devenues de plus en plus poreuses, la frontière facilement franchissable ; l'enchevêtrement entre les sphères locales, régionales, nationales, mondiales apparaissent plus que jamais manifestes.
275. Dans les chapitres suivants nous donnerons à cette acception de magazine de territoire une définition précise. Malgré les contours flous du territoire aujourd’hui confondu avec terroir, région ou bien même lieu dit. Dans nos enquêtes de terrain cette carence a été mesurée.
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Le franchissement des frontières médiatiques concerne à la fois la demande des lecteurs, l'offre des médias, l'organisation de la presse, l'élaboration des stratégies et des messages communicants. Disons‐le d'emblée276, dans la société actuelle, c'est d'abord selon les aléas de notre propre histoire que nous découvrons le monde qui nous entoure. Nous sommes immergés dans un monde de messages disparates.
En France, la presse magazine joue la carte de la spécialisation ou de la diversification parfois sans beaucoup de succès ; elle réussit néanmoins à conserver son dynamisme et à renouveler son lectorat. Selon Pierre ALBERT277, la médiocrité récurrente du marché de la presse en France confirme la règle selon laquelle la prospérité du « quatrième pouvoir », par‐delà les conditions strictement économiques, tient d'abord au bon équilibre des trois autres et à la stabilité des institutions.
Ce paragraphe se propose de mettre en évidence quelques‐unes des logiques structurantes qui dirigent le développement de la communication médiatique territoriale. Résonance de toutes les activités des hommes, également instrument d'influence pour les forces politiques, économiques, sociales et spirituelles, la presse et au‐delà la presse magazine exigent, pour être étudiées, des moyens en temps face au foisonnement de titres, une érudition et des connaissances pratiques sur le sujet pour un résultat parfois très au dessous des espérances.
Néanmoins et afin de connaître et comprendre dans le nombre croissant de magazines spécialisés, nous avons, pour mener cette étude, examiné un corpus ayant deux origines principales. Nous avons distingué dans cette thèse trois formes de magazine de territoire. Celle éditée par les grands groupes de presse (Cf. figure 1
276. Cf. Serge PROULX, Culture de l’école, culture des médias, chronique Familles et médias, Le Familier, Fédération des unions de famille, Montréal, juin 1995.
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territoire lié à la détermination d’un groupe de personnes et qui a migré vers l’Internet (Cf. figure 5 et 6).
Il s'agit d'une part, de magazines édités par de grands groupes de presse en particulier ; d'autre part de publications relevant de défis régionaux en matière d’information locale, d’opuscules délivrés par des éditeurs de très faible envergure et relatant souvent des us et coutumes locales favorisant la publicité et les annonceurs avec un spectre d’articles à très large couverture. Nous travaillons, pour affermir nos raisonnements et en comprendre les rouages et la terminologie, avec un éditeur local se souciant de promouvoir une identité. Archétype de la presse magazine de territoire, Bassin Magazine développe un concept proche des autochtones et du territoire avec une emprise forte sur les métiers de la mer. Pour cette raison nous pouvons conduire cette vaste enquête et décrypter notre monde contemporain, qui reflète les orientations et les enjeux et aussi la fécondité des travaux actuels sur la presse magazine spécialisée. Ces corrélats introduisent des relations suggérant des approches inhabituelles de la presse, lorsque tout ou presque a été dit sur le sujet. T. RENAUDOT écrit en 1632 : « Le commerce de mes
Nouvelles ne s'est jamais pu défendre : il tient en cela de la nature des torrents qu'il se grossit de la résistance »279.
En apparence, la presse est en réalité insaisissable dans sa globalité : elle se diversifie en un ensemble hétérogène de catégories aux fonctions différentes et en une infinité de publications concurrentes. Son histoire s'émiette dans les destins particuliers de dizaines de milliers de titres et s'éparpille dans le récit d'une multitude d'épisodes. La presse de territoire n’échappe pas à cette règle ; nous avons vu auparavant combien la difficulté est grande de définir avec précision la ligne éditoriale de certains magazines à champ extrêmement large.
278. Nous utiliserons par simplification le terme “initiative locale” ou simplement “magazines et presses d’initiatives” pour désigner la presse élaborée par des acteurs territoriaux n’appartenant pas à des groupes de presse. Lorsqu'une distinction sera nécessaire, nous recourrons à la formulation développée.
132 contours que le champ de notre recherche est sorti de l’Hexagone. Chaque nation, selon les conditions et les circonstances spécifiques de sa propre histoire, a orienté son évolution, façonné les structures de son marché et modelé son journalisme de manière irréductiblement originale. Le recours au passé est donc, dans le domaine de la presse, encore plus indispensable que dans les autres secteurs des sciences sociales pour comprendre les réalités du présent et en faire l’analyse.
La presse de territoire n’échappe pas à cette violence du lecteur qui boude sans cesse une publication puis une autre et met au pilori ce qui ne lui convient pas immédiatement. Cette presse‐là est à la fois un lien identitaire au lieu et une ramification pour un expatrié géographique. C’est ce particularisme qui lui donne à la fois force et faiblesse. Force d’appartenance à une identité territoriale et faiblesse de n’avoir qu’un intérêt subjectif sans lien précis avec l’actualité.
Les titres de la presse périodique d'information générale sont nombreux et divers : il nous suffit d’aller chez un distributeur de presse pour le constater. Chacune des catégories poursuit un objectif différent, propose aux lecteurs une synthèse de l'actualité politique, économique, culturelle, nationale et internationale concernant la semaine, la quinzaine ou le mois écoulé. Elle se rejoint trop souvent et accentue le phénomène de feuilletage du lecteur. La presse du dimanche également poursuit sa conquête de lectorat avec le lancement depuis quelques années du supplément magazine au quotidien. Il est souvent porteur d’une forte philosophie identitaire et culturelle et abreuve ses pages de produits de terroirs. Ce supplément magazine puise son origine en 1978 où les grands quotidiens nationaux, pour endiguer la chute des ventes le samedi, se sont engagés dans la politique du supplément magazine280. En général très orienté sur le territoire il permet au lecteur une visite commentée historique, gastronomique — somme toute culturelle
280. C'est le groupe HERSANT qui commence en 1978 avec Le Figaro Magazine placé sous la direction de Louis PAUWELS ; le même groupe lance France-Soir Magazine en 1981, dominant ainsi largement ce marché. Enfin, le quotidien L'Équipe a lancé son supplément en 1983, avec succès, alors que la tentative de Libération d'un magazine hebdomadaire a échoué en 1995.
133 catégorie qui se développe chaque année de manière exponentielle. Le magazine de territoire entre dans une catégorie distincte ; dans sa catégorie, il est en marge, avec une influence parfois très orientée. La définition du fait du spectre éditorial très vaste se perd dans les méandres de catégories et sous catégories correspondantes à des configurations parfois équivoques (masculin, féminin, voyage, aventure, raid …). Les magazines à pôles d’intérêts illustrent parfaitement le mouvement de la presse magazine qui permet d’accroître le nombre de titres par domaine en étendant les thématiques vers des secteurs ou des niches de plus en plus élaborés. La floraison des titres adjointe à l’affinement des thématiques développées s’accompagne paradoxalement d’un lectorat en progression pour s’enrichir de données culturelles et, de par la vulgarisation parfois obligée, désinvestit les leaders historiques de la presse. Le foisonnement des titres favorise cette tendance ; nous l’avons constaté au cours de nos investigations sur le terrain. Le chaland est face à une diversité si grande que le simple choix le frustre. Le feuilletage dispose à un achat plus judicieux en répondant aux critères les plus divers et variés de l’acquéreur. Les magazines à pôle d’intérêt sont le siège de contrastes importants s’agissant de la notoriété dont ils bénéficient dans certains secteurs géographiques, ou bien encore du prestige attaché à leur ligne éditoriale. Notre enquête faite au cours de l’année 2007 et 2008 nous convie à penser que, de manière générale, le lecteur s’observe dans le magazine comme dans un miroir. Celui‐ci ne projette pas une image globale de son lecteur mais des particularismes ou des traits spécifiques. Le magazine de territoire propose à la fois cette diversité et cet ancrage territorial. Il offre à son lecteur des domaines l’intéressant, s’adapte à son sexe, à son âge, à ses responsabilités et à son statut social comme familial. Ce genre de magazine entretient une relation intimiste avec son lecteur en attirant son attention et en le séduisant. Cette alchimie complexe se révèle bénéfique pour l’éditeur ; une fois la séduction avérée, l’achat et la lecture se feront. Le contenu et le cheminement sont une part importante du contrat de lecture : nous avons vu précédemment que feuilleter un magazine avant son acquisition est une pratique
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ambiance suscitant le geste imprécis. Les surfaces marchandes importantes, elles aussi, développent dans leurs rayons des zones de presse incitant encore plus à la lecture rapide, le saupoudrage visuel affectant directement l’acte d’achat. Nous ne pouvons passer sous silence que la reconduction d’un achat sera générée par l’accumulation de ces facteurs de choix.
c. La place de l’image dans la presse magazine
Le graphisme, la photographie, les typographies utilisés dans la mise en relief de l’information sollicitent l’attention de l’individu qui n’est plus affilié à la lecture d’un seul média. De ce point de vue, le lecteur est à l’instigation de l’achat ; actif dans son choix en fonction de son humeur du moment. Entrent dans le jeu des facteurs très variables : l’état d’esprit, la saison, l’endroit, le vécu, la manière d’être du moment, la relation au milieu. Ces constations, sont avérées lors du questionnement de clients chez un distributeur de presse. Les réponses, bien que différentes, s’approchent d’une réalité commune : « Je ne trouve pas ce magazine
très beau » ; « les couleurs sont froides et ne m’encouragent pas avec ce temps » ; « la couverture est brouillonne » ; « ce n’est pas le jour de lire du noir et blanc » ; « c’est gros et lourd, encombrant » ; « j’aime beaucoup toutes ces balades » ;