Cette thèse se divise en trois parties dans laquelle nous étudions, le lien, le relais existant entre la presse de territoire et son appropriation par le lecteur. Nous avons choisi de faire une distinction entre la presse d’initiative ou [presse d’exception] et la presse liée aux grands éditeurs. L’étude de la presse spécialisée sera à la fois diachronique depuis l’apparition du média imprimé puis synchronique à l’approche de l’époque contemporaine et des bouleversements techniques de l’édition. Dans la dimension synchronique nous aborderons le journalisme, ses pratiques et les effets liés à la consommation des médias. Les deux modèles couvriront un espace de temps compris entre l’apparition de la presse à imprimer et la période contemporaine. L’objectif ici n’est pas de réaliser une histoire sociale du
111. Nous pensons au magazine Aqui. Après le format papier il a choisi le web pour la facilité de production et la légèreté des investissements <www.aqui.fr>, entretien avec Joël AUBERT en octobre 2007 et janvier 2008.
112. C’est nous qui soulignons.
journalisme français. Des travaux d’historiens ou de chercheurs en sciences de l’information et de la communication sont disponibles sur ces thèmes113. Ce travail débute par la notion de territoire et sa construction identitaire.
La première partie, découpée en trois chapitres, déploie le schéma d’arrivée de la presse écrite qui constitue une rupture dans des sociétés de l’oralité. L’identité nous renvoyant à la nécessaire historicité. Dans cette partie, nous approfondirons l’évolution de la presse spécialisée et son rapport au territoire. Trois sections nous feront traverser l’histoire de la presse du journalisme et la déclinaison territoriale que proposent certains magazines. Dans celle‐ci, les contingences d’écriture nous portent de l’évolution de la presse depuis T. RENAUDOT jusqu’au formatage des médias de territoire. L’étude que nous menons est en harmonie discursive puisqu’elle déroule de façon logique les rôles de l’ensemble des acteurs de la presse et leur implication dans le temps. Nous analyserons la transposition entre les débuts de la presse informative et l’époque actuelle.
Nous définirons dans le second chapitre l’évolution du rapport au territoire jusqu’à la presse magazine du même nom. Il nous oblige à un aparté méthodique du concept identitaire et territorial. Nous prononçons dans ce travail le terme de presse de territoire et nous devons, après avoir consacré une large place dans le chapitre à la presse, ouvrir notre champ de recherche et d’étude au territoire et à l’espace dédié ou consacré à cette dénomination. Au commencement de la presse, la notion de territoire est absente des schémas de pensée que nous connaissons aujourd’hui.
Le troisième chapitre est consacré à la conception subjective de l’espace et l’interface qui en découle dans l’approche qu’en fait la presse de territoire. C’est pour un élargissement du spectre d’analyse que, dans ce chapitre, l’histoire du territoire et ses déclinaisons actuelles sont déterminantes dans l’élargissement de nos concepts identitaires et culturels. Ajoutons un dimensionnement de la
113. Le lecteur pourra se reporter, pour l’histoire de la presse en France, aux ouvrages suivants :
Pierre ALBERT, La presse, PUF, Collection Que sais-je, 12ème édition, 2002 ;
Pierre ALBERT, Histoire de la presse, PUF, Coll. Que sais-je ?, 10ème édition, 2003 ;
Christian DELPORTE, Histoire du journalisme et des journalistes en France, PUF, Collection Que sais-je ?, 1995 ;
Thomas FERENCZI, L’invention du journalisme en France, Plon, 1993 ;
Henri AVENEL, Histoire de la presse française depuis 1789 jusqu'à nos jours, Ernest Flamarion, Paris, 1900. 60
conception subjective de l’espace et son interface avec le média de territoire. Les subdivisions amorcent l’évolution du concept dans les sciences sociales et définissent le lien étroit et consubstantiel entre l’espace et le média. Il est aussi finement ancré dans une psychosociologie de l’espace adaptable au territoire. Il s’agit pour nous d’étudier l’aspect anthropologique de l’espace et les conséquences épistémologiques de cette nouvelle approche.
La deuxième partie développe les comportements du consommateur dans les actes d’achats de presse. Cette conduite est liée en partie à son mode de vie – facteur déclenchant s’il en est. Nous la déclinons en trois chapitres.
Le premier est consacré aux fondements de l’enquête que nous avons menée et configure toutes nos approches d’observateur des phénomènes et sa concrétisation par un questionnaire. Dans un second temps, nous donnons les résultats de notre travail pour confirmer ou infirmer nos théories.
Le chapitre II ouvre les champs de l’observable face à l’image de presse. La photographie, élément déterminant du choix, connote l’approche sémiologique et sémantique que nous pouvons en faire. Nous qualifierons cette image que Pierre BOURDIEU appelait l’« art moyen »114 de deux manières distinctes : la photographie de presse dans le marché des grands tirages et celle de niche, extraite d’archives souvent personnelles, exprimant avec force la densité du récit iconographique. Son caractère fortement indiciaire nous installe dans une attitude de confiance et réveille à nos consciences un passé heureux. Cette photographie‐là propose une conjonction du réel et du passé. Ce qui est représenté a existé nécessairement et a imprimé sa propre trace lumineuse115.
Le troisième chapitre analyse l’impact du contexte socioculturel dans le
comportement de l’acheteur. Il va s’agir d’y étudier la déclinaison des notions de
114. Pierre BOURDIEU et al., Un art moyen, édition de Minuit, Paris, 1965.
115. Le lecteur intéressé par cette problématique précise pourra trouver une explication approfondie dans :
Pierre FREMOND, Le Droit de la photographie, le droit sur l'image, Publicness, Paris, 1982 ;
Gisèle FREUND, Photographie et Société, Seuil, collection Point d’Histoire, Paris, 1974 ;
Gisèle FREUND, Mémoire de l'œil, Seuil, collection Albums, 1977.
classe sociale, de style de vie et de culture. Nous croyons ces allégories incitatives et facilitatrices du déclenchement de l’acte d’acquisition.
Ces deux parties précèdent une troisième qui ouvre les perspectives annoncées des phases différentes du processus d’achat. Nous pourrons mesurer, dans les trois chapitres qui la constituent, la naissance du désir d’acquisition, et les plaisirs concomitants associés. Viennent ensuite le rôle du consommateur et son expérience de consommation qui va faire naître au travers d’une historicité le caractère de la prise de décision d’un achat de presse de territoire.
La conclusion générale ne se veut pas synthétique. Nous présentons en premier lieu les principaux résultats de ce travail. Puis nous montrons la progression du modèle de production de la presse de territoire et ses renvois aux identités associées. Nous désirons aussi ouvrir notre sujet à de futures perspectives
d’analyse. Monter ou démontrer combien la presse de territoire est un révélateur
identitaire et culturel des minorités. Terme que nous déclinons selon son acception du plus petit nombre, par opposition au plus grand nombre.
Nos interprétations sont bâties sur des faits, des données, des enquêtes, quelques entretiens, des analyses antérieures reconnues, des statistiques, etc. et aussi par une présence dans un passé proche en qualité de professionnel de la montagne affectionnant à la fois les mondes ruraux, littoraux, urbains et touristiques. Le but final étant de façonner une « connaissance scientifique », et d’arriver à un niveau de connaissance supérieur à celui de départ. L’intention est de déchiffrer les significations, les causes, les conséquences d’un procès [dans notre cas le processus d’identification et de décryptage de la presse de territoire], d’appréhender les logiques de fonctionnement des liens identitaires à la presse des acquéreurs, enfin d’essayer de comprendre un phénomène de société et ses représentations.
Les travaux qui marient à la fois identité [donc perception du vécu] et territoires ne sont pas légion. Longtemps, il n’était pas bien vu de s’intéresser à des éléments subjectifs alors que l’économie, les données quantitatives avaient tant à dire. 62
Pourtant, dans les écrits de Fernand BRAUDEL, Gaston BACHELARD, Norbert ÉLIAS, nous pouvons aisément retracer un processus de décomposition et de recomposition des territoires. Le fait de passer du pays116, au territoire administré, balisé, découpé en champs d’action par l’État, les administrations, les collectivités et les lieux communs de cultures…, pour en revenir probablement au « pays nouveau », rétrocède des racines identitaires et culturelles à ses habitants117. En amont de ces différentes questions, s’esquisse une autre interrogation, celle de notre appartenance territoriale. Nous décortiquerons par quel procédé les individus s’identifient à un espace et tenterons de définir la nature des rapports hommes/espaces118.
Cette problématique demeure sans réponse apparente. L’espace est souvent pensé en tant que toile de fond, support, cadre des événements ou alors comme surface de distribution des populations, des biens économiques, des langues, des lois ou des coutumes ; la liste n’étant pas exhaustive nous ajoutons à celle‐ci les médias de territoire, outils de transmission d’une certaine identité reflétant l’espace géographique et parfois culturel. Dans le rapport hommes/espaces, l’angle plus personnel n’est abordé que quelquefois. Gaston BACHELARD appelle cela « la
phénoménologie des valeurs d’intimité de l’espace ». La dimension « sentimentale »
des relations hommes/espaces, ou mieux encore leur dimension « existentielle », ne semble avoir été abordée que par G. BACHELARD119.
Nous comprenons, au vu des perceptions de l’actualité récente, que l’industrialisation et l’urbanisation font voler en éclats les modes de vie et de perception de l’espace du « monde ancien »120 qui baignait dans le symbolisme et le
116. Selon le mot ancien, le pagus espace où vit le paysan.
117 . Géographie et complexité : les espaces de la nostalgie, L'Harmattan, Collection L'ouverture philosophique, 2000.
118. Nous développons ce sujet sur les « territoires et leurs identités » dans la Première partie, Paragraphe III.
Cf. Petite histoire du territoire : le domaine de la presse magazine spécialisée. 119. Gaston BACHELARD, LaPoétique de l’espace, PUF, 1957.
120. Toutes les notions sur le territoire et les identités de ce paragraphe sont issues d’une note de synthèse répondant aux questions : « Questions à la fois générales et opérationnelles. Cette synthèse territoires & identité, est écrite par Dominique PERCHET MARKETEAM,février 2002.
1- Si la « société de cour » se perpétue à travers un mécanisme où la République a remplacé la monarchie, comment penser une décentralisation qui soit réellement ancrée dans le territoire et non branchée plus ou moins discrètement sur le pouvoir central (ministères, grands corps…) ? Comment les leaders d’un territoire peuvent-ils concilier « parisianisme » et « localisme » ?
mythique. L’espace intime des êtres, l’espace vécu quotidiennement a été émietté pour être recomposé selon des standards, aires spécialisées et fonctionnelles, de l’usine à la cité résidentielle en passant par les centres commerciaux et de loisirs.121
Cette représentation ancienne du territoire et des identités liées a cessé, comme le montre l’historien Eugen WEBER, dans La Fin des terroirs122 que cette entreprise n’a pu s’effectuer qu’à l’encontre des masses, attachées à leurs particularismes linguistiques, à leurs unités de poids et mesures, à leurs chemins, autrement dit à tout ce qui personnalisait le rapport au monde de l’individu au sein de sa communauté. Les conséquences sont nombreuses et provoquent des dysfonctionnements graves ; la perte d’identité en est une. Le magazine de territoire permet ce retour aux identités fortes, aux patrimoines : culturel, linguistique, culinaire, gastronomique, etc. Pour l’instant, le décalage, la disjonction entre espace vécu, espace d’enracinement et espace normé actuel provoquent des
2 –L’appréhension du vécu est généralement difficile à traiter. Comment se doter d’outils méthodologiques qui permettent de percevoir clairement les perceptions du territoire ?
3 –Les projets de territoire sont généralement menés par des groupes organisés (collectivités locales, entreprises et leurs représentations, association) : comment avoir l’assurance que leur perception et leur transcription du territoire sont réellement en phase avec les réalités profondes, souvent mal ou peu exprimées ?
4 –Comment reconstruire une identité réelle ? Les politiques de communication ne font que construire une appellation qui ne doit pas faire illusion. Un logo et un slogan ne seront jamais aussi forts qu’un « vivre ensemble » Mais comment refaire ce qui a été défait pour superposer à nouveau une grille sociale et une communauté, la modernité et le terroir ?
Cf. Cette note est inspirée de travaux de géographes, d’historiens ou de philosophes cités en bibliographie. Dans le contexte actuel des pays et des quartiers, ces éléments nous ont paru assez importants pour en faire une synthèse qui peut aider à enrichir la méthodologie sur les territoires.
121. Michel ROUX, Géographie et complexité : les espaces de la nostalgie, Édition L’Harmattan, 1999.
122. Eugen WEBER, La France de nos aïeux : La fin des terroirs, Les imaginaires et la politique au XXe siècle, traduction Antoine BERMAN, Bernard GENIES, Éditeur Fayard, Collection Les indispensables de l'histoire, 2005. « Eugen WEBER, sans négliger les mutations que connaît la société française depuis 1945, insiste sur les changements plus radicaux encore qu'elle a déjà subis au XIVe siècle et jusqu'à la Grande Guerre. C'est alors que s'est vraiment constituée la nation, que la puissance publique a pénétré des campagnes jusqu'alors hermétiques, que la langue française s'est imposée, que les particularismes locaux ont commencé à s'estomper. La centralisation, la conscription, les méthodes agricoles, le chemin de fer, une première forme de mondialisation ont été les plus puissants facteurs de cette révolution, mais il y en a eu bien d'autres, certains fort inattendus, qu’Eugen WEBER dégage dans son livre. Sont joints à ce volume quatre textes qui prolongent sa réflexion : que pouvons-nous connaître de l'imaginaire des Français au moment où la pensée magique perd du terrain ; comment se représentaient-ils la politique dont ils ne s'occupaient guère mais qui, elle, s'occupait d'eux ? Le regard porté dans les années 1970 par l'un des plus grands historiens américains sur l'entrée de la France dans la modernité a durablement bouleversé la perception que nous nous faisons de notre propre passé », note de la quatrième de couverture du livre.
65
troubles fonctionnels ou des symptômes dont certains peuvent sembler préoccupants. Parmi eux, notons la fascination de nos contemporains pour le retour aux sources, l’équilibre naturel, les vacances à la campagne ou la montagne. Hier encore, les seules destinations de vacances concernaient le bord de mer123. La montée de la notion de patrimoine est une préoccupation très naturelle. Elle illustre bien la demande de racines et d’appartenances et évolue souvent vers la crispation identitaire dans certains cas.
123. Sur « les vacances », Jacques GIMARD, Nos vacances à la mer, Éditeur Le Pré aux Clercs, 2006 ainsi que du même auteur, Les vacances de papa, Éditeur Terres Editions, 2008 ; Loly CLERC, Hier, nos vacances, (Album), Éditeur Aubanel, Collection Livre Illustré, 2007.
67