Faisant suite à ces dernières réflexions, nous devons définir le trajet effectué de l’enquête67 à celle dite expérientielle dont nous aborderons largement le sujet dans le chapitre I de la deuxième partie (Cf. « Les comportements du consommateur, chapitre I. la notion “d’enquête” et le comportement d’achat dans la presse spécialisée, section 1. fondements de l’enquête expérientielle). Notre investigation a pour but principal de mener une étude ou une recherche en vue de connaître des faits ou des opinions, à l'aide d'expériences techniques ou scientifiques, de consultations de documents, d'interviews ou d'interrogations par la voie d’un courrier électronique. C’est pour cela que la méthode de l’enquête expérientielle,
64. Nous voulons à ce moment dans cette thèse faire la distinction entre expérience et enquête et donner le sens de notre usage de ces mots. La différence tient essentiellement à l'objet que nous étudions : quand l'étude porte sur des comportements, nous parlons plutôt d'expérience ; quand elle porte sur des opinions, nous employons de préférence le terme d'enquête.
65. John DEWEY, Logique, théorie de l’enquête, traduction de Gérard DELEDALLE, PUF, Presses universitaires de France, (1ère édition 1967), Collection L’interrogation philosophique, 1993.
66. John DEWEY,Le public et ses problèmes, Comme le souligne Joëlle ZASK, « J. Dewey opère une distinction nette entre un consensus apparent et un consensus délibéré », L’opinion publique et son double.2, John DEWEY, philosophe du public, L’Harmattan, 2000, p. 175.
67. Sur « l’enquête » : Florence WEBER et Stéphane BEAUD, Guide de l'enquête de terrain : Produire et analyser des données ethnographiques, La Découverte, Édition Nouvelle, Collection Guides repères, 2003 ; Alain BLANCHET et Anne GOTMAN, L'Enquête et ses méthodes, Armand Colin, 2eédition, Collection Sociologie 128 n° 19, 2007.
dont nous nous sommes servi, a mis en évidence les résultats. Reprenons cette idée de Gaston BACHELARD pour épaissir le trait de notre réflexion :
« Tout le long de notre enquête, nous trouverons les mêmes caractères d'extension, d'inférence, d'induction, de généralisation, de complément, de synthèse, de totalité. Autant de substituts de l'idée de nouveauté. Et cette nouveauté est profonde, car ce n'est pas la nouveauté d'une trouvaille, mais la nouveauté d'une méthode »68.
Si nous parlons ici d’effort, c’est parce qu’une enquête demande du travail. La quête et le résultat sont indispensables au chercheur pour promouvoir une théorie et la défendre. Au risque de se laisser emporter par le sens commun, signalons tout de même qu’une enquête mal préparée ne donne pas toujours des réponses fiables et peut même aboutir à d’énormes contre‐sens. C’est pourquoi sa préparation doit passer par plusieurs phases et sa raison doit être bien définie. Nous avons marqué en creux et en relief le fait que le chercheur doit réaliser son étude afin qu’aucune distorsion ou appréhension d’une situation par un tiers ne puisse dénaturer la pensée initiale.
Dans notre étude, l’enquête reflète l’opinion d’un échantillon de 147 personnes sur un questionnaire adressé par courrier électronique à 1400 individus69. Mettre en avant les résultats d’une enquête est différent que de mettre en avant ce que l’on pense. En élargissant cette perspective, nous avons, sur le terrain, regardé vivre le consommateur de produits de presse magazine. Cette étude bipolaire nous permet de traiter l’information et d’en extraire de grands courants comportementaux dignes de figurer dans ces pages. En parallèle de cette dernière expérience sur le terrain, nous avons également constaté la profusion de magazines de territoire dans les rayons des distributeurs et ce au moment «chaud» de
68. Gaston BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique, PUF, 2003, p. 12.
69. Détail de l’échantillon dans la deuxième partie – les comportements du consommateur, chapitre IV. Clarifier la notion d’enquête et le comportement d’achat dans la presse spécialisée, section 2. Des méthodes d’observation ethnographique et d’entretien indirect au cœur de l’observation. C. Affiner nos interrogations : du questionnaire remis à l’observation acquise.
l’année70. Rappelons à cet effet que le nombre de titres de presse magazine s’est accru de près de 134 % durant cette même période de 2006 – 2007 et 200871.
Au cours de cette thèse, nous traiterons de l’analyse des comportements d’achat du consommateur de presse et la clé de déclenchement du processus d’acquisition. Ce concept nous permet d’approfondir une notion à forte densité, celle de l’idée « d’enquête » et le comportement d’achat dans la presse spécialisée associé aux fondements de l’enquête expérientielle72 pratiquée chez le distributeur. Nous nous intéresserons également au sentiment d’identification de l’acheteur, à la personnalité du magazine, qui s’inscrit dans une perspective culturelle et d’appartenance à un groupe constitué. Ainsi, nous apprécierons le rapport entre identification et appartenance pour mieux opérer une distinction entre les deux termes. Nous évoquerons dans les quelques lignes suivantes la notion de causalité prépondérante entre le choix du magazine et l’obsession de l’objet magazine représentatif d’appartenance et d’identification à la symbolique d’image de son contenu. Dans la tentation de l’innocence, Pascal BRUCKNER nous initie sur une forme de l’obsession : « La libération de la nécessité matérielle n'est qu'une des conditions de la liberté, elle n'en est pas synonyme. De même les revues et associations de défense des consommateurs ont en commun avec les journaux et magazines ordinaires de nous obséder sur les objets, leurs qualités et leurs défauts au lieu de nous en affranchir. Il y a bien eu révolution mais à l'intérieur du monde de la marchandise : le contre‐pouvoir des acheteurs signifie simplement qu'on maîtrise mieux les règles du jeu, ou qu'on cesse de jouer »73.
Par la suite, nous chercherons à isoler ce que recouvrent les actes d’achats et les comportements du consommateur, au travers d’une réflexion à la suite d’observations faites sur les lieux de vente. Ce qui nous conduit à aborder les sciences du comportement et ses mécanismes. Dans ce chapitre, nous essaierons de déterminer en quoi les sciences du comportement assurent la légitimation du
70. Constat des mois de juin, juillet et août des années 2006 –2007 –2008.
71. Étude AEPME par Audipress : Cumul de juillet 2007 à juin 2008, L'audience de la Presse Magazine titre par titre, septembre 2008.
72. Jean-Claude ANDREANI, L’interview qualitative en marketing, Revue Française du Marketing, n°168/169 -1998. Françoise CONCHON, Le Management des Études Qualitatives Internationales.
73. Pascal BRUCKNER, La Tentation de l'innocence, le Livre de Poche n°13927, 1995, p. 78.
processus d’achat et de la conduite associée, répertoriée. Alexis CARREL développe parfaitement cette notion dans son livre L'Homme, cet inconnu, avec cette phrase significative incitant à la réflexion «La mise en jeu fréquente des activités mentales et spirituelles s'exprime par un certain comportement, certains actes, une certaine attitude envers nos semblables74.Nous en proposerons une approche à la fois psychosociale et anthroposociale. Les questions de l’identité médiatique et de l’image, ainsi que le rapport entre les deux s’avèrent incontournables. Ceci nous conduit à interroger la légitimation de cette approche afin de déboucher sur une présentation plus détaillée de notre questionnement et notamment du jeu des hypothèses. Nous porterons le regard sur la sensibilité qui se dégage de notre acte d’achat à travers le filtre du magazine de territoire. C’est dans le paragraphe sur l’impact du contexte socioculturel que nous définirons la classe sociale, le style de vie et la culture. De cette trilogie nous dégagerons dans la troisième partie de cette thèse les différentes phases du processus d’achat aboutissant à la formulation de nos objectifs et de nos hypothèses de recherche, afin d’analyser les ressorts des comportements vis‐à‐vis de l’offre au consommateur, à travers les parutions, sur quelques années, des magazines de la presse spécialisée de territoire, ses évolutions géographiques et culturelles, qui exposent les stratégies de création au flanc de la critique et de la versatilité.
Il nous apparaît également essentiel de citer, en note de bas de page, certains auteurs mis en « disgrâce » médiatique parce que se trouvent accolés à leurs réflexions les éléments qui constituent le noyau du présent travail. Écrire une thèse, c’est aussi se pencher sur un grand nombre d’auteurs plus ou moins connus, plus ou moins édités. Il nous semble intéressant, au profit de possibles lecteurs, que de donner à certains, trop anonymes, une place tout au long de ces pages75. Auteurs qui sont inclus dans un index des auteurs cités en fin de document pour en faciliter la recherche et la localisation dans la thèse.
74. Alexis CARREL, L'Homme, cet inconnu, Plon, 1935, p. 45.
75. Subrogation survenue au cours d’une discussion en septembre 2007 avec mon fils Vincent sur l’énonciation unique de « grands auteurs » au détriment d’autres moins connus mais dont les ouvrages contiennent des réflexions obtenant notre suffrage.
« Si on ne regarde que certains ouvrages des meilleurs auteurs, on sera tenté de les mépriser. Pour les apprécier avec justice, il faut tout lire »76.
« J'ai fait le test, j'allais dire l'épreuve : lire les quinze ou vingt ouvrages récemment consacrés aux méfaits de la société médiatique. La liste est impressionnante et l'on pourrait croire que la télévision a pris la place du Diable lui‐ même. Voici, sans ajout de ma part ni exagération d'aucune sorte ce que, pêle‐mêle, j'ai pu rapporter de cette plongée antimédiatique : la télévision aliène les esprits, elle montre à tous la même chose, véhicule l'idéologie de ceux qui la fabriquent, elle déforme l'imagination des enfants, appauvrit la curiosité des adultes, endort les esprits, elle est un instrument de contrôle politique, elle fabrique nos cadres de pensée, elle manipule l'information, elle impose des modèles dominants, pour ne pas dire bourgeois, elle ne montre de façon systématique qu'une partie du réel en oubliant la réalité du monde ouvrier, elle marginalise les langues et les cultures régionales, elle engendre la passivité, détruit les relations interpersonnelles dans les familles, tue le livre et toute culture “difficile”, incite à la violence, à la vulgarité ainsi qu'à la pornographie, empêche les enfants de devenir adultes, concurrence de façon déloyale les spectacles vivants, cirque, théâtres, cabaret ou cinéma, génère l'indifférence et l'apathie des citoyens à force de surinformation inutile, abolit les hiérarchies culturelles, remplace l'information par la communication, la réflexion par l'émotion, la distanciation intellectuelle par la présence de sentiments volatils et superficiels, dévalorise l'école... À se demander comment chaque soir, l'immense majorité des citoyens se partage entre ceux qui sont devant leur écran, et ceux qui, tout en la critiquant, s'interrogent sur la façon la plus adéquate d'y accéder dans les meilleurs délais... »77.