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3. LA DIMENSION OPÉRATIONNELLE

3.2 Le comment enseigner ce qui sera enseigné

Le comment enseigner ce qui sera enseigné renvoie à la manière dont les savoirs disciplinaires (concepts prescrits et démarches) sont abordés dans les pratiques d’enseignement des enseignants. Il s’agit de décrire et caractériser les pratiques d’enseignement des modèles et de la modélisation en vue de les relier aux apprentissages conceptuels des élèves dans le domaine de la cinématique. Rappelons que cet objectif s’inscrit dans l’esprit des évaluations menées à l’échelle internationale qui portent sur la relation entre les pratiques d’enseignement des enseignants et les performances des élèves en sciences, technologies et mathématiques (Fischer et al., 2005 ; Hiebert

et al., 2003 ; Martin, 2010 ; Roth et al., 2006 ; Stigler et Hiebert, 2009 ; Stigler, Gonzales,

Kawanaka, Knoll et Serrano, 1999)78 et dans la continuité d’un grand nombre de travaux qui ont mis en évidence la relation forte entre les pratiques d’enseignement et la compréhension

78 À titre d’exemple, soulignons ici l’études à grande échelle menéa par Stigler, Gonzales, Kawanaka, Knoll et Serrano

(1999) qui comportait un écantillon de 231 classe de matématique de la 8e année : 100 en Allemagne, 50 au Japon et

81 aux États-Unis d’Amérique. Les résultats de cette étude ont « reveal[ed] a number of differences in instructional practices across the three cultures. These differences fall into four broad categories: (1) How lessons are structured and delivered ; (2) What kind of mathematics is presented in the lesson ; (3) What kind of mathematical thinking students are engaged in during the lesson ; and (4) How teachers view reform. » (Stigler et al., 1999, p. 6-7).

conceptuelle des élèves en lien avec divers apprentissages disciplinaires (Buty et al., 2004 ; Givry, 2003 ; Kelly, 2011 ; Malkoun, 2007 ; Niedderer et al., 2005, 2007 ; Roth et al., 2006, 2011 ; Tiberghien et Malkoun, 2007 ; Tiberghien et al., 2007a, 2008). Notre cadrage méthodologique fournit les concepts méthodologiques nécessaires à l’analyse du comment enseigner ce qui sera

enseigné, soient la chronogénèse, la topogénèse et la mésogénèse qui sont articulés à trois échelles

du temps didactique : macroscopique, mésoscopique et microscopique.

3.2.1 La chronogénèse, la topogénèse et la mésogénèse pour caractériser les pratiques d’enseignement aux échelles macroscopique, mésoscopique et microscopique

L’analyse des pratiques d’enseignement peut se faire à plusieurs échelles de temps (Mercier, Schubauer-Leoni, Donck et Amigues, 2005 ; Tiberghien et Buty, 2007 ; Tiberghien et al., 2007a ; Tiberghien et Sensevy, 2012). Pour notre part, nous caractérisons les pratiques d’enseignement des modèles et de la modélisation aux trois échelles du temps didactique (les échelles macroscopique, mésoscopique, microscopique) (Tiberghien et Malkoun, 2007).

Pour caractériser les pratiques à ces trois échelles de granularité, nous recourons aux concepts de chronogénèse, topogénèse et mésogénèse (Sensevy et Mercier, 2007) proposés par la didactique française des mathématiques. Succinctement, la chronogénèse se réfère à la genèse du temps didactique et recouvre le phénomène d’évolution dans le temps du savoir enseigné dans la classe résultant des transactions successives entre les acteurs. La topogénèse, c’est-à-dire la genèse des positions dans la classe, recouvre la part de chacun des acteurs dans l’action conjointe. Cette part évolue et ne peut se comprendre sans la prise en compte de l’environnement dans lequel l’action se réalise. La mésogénèse, c’est-à-dire la genèse du milieu didactique, recouvre l’environnement incluant les composantes matérielles de la situation dans laquelle les acteurs agissent. Elle permet de décrire le processus par lequel l’enseignant et les élèves organisent ou réorganisent le milieu. Les concepts de chronogénèse, topogénèse, mésogénèse évoluent de concert : « À chaque état de la mésogenèse correspond un état de la topogénèse et un état de la chronogénèse au regard des savoirs en jeu » (Amade-Escot et Venturini, 2009, p. 29). Leur évolution est liée au contrat didactique qui peut être considéré comme un système essentiellement implicite d’attentes mutuelles entre l’enseignant et les élèves, d’habitudes conjointes ou encore d’attribution mutuelle

d’intentions, à propos d’un savoir en jeu. Ce dernier évoluant au cours du temps, le contrat évolue, donnant lieu à une série de ruptures, à l’initiative de l’enseignant et des élèves.

3.2.2 L’analyse des pratiques d’enseignement à l’échelle macroscopique

L’analyse des pratiques d’enseignement à l’échelle macroscopique qui est de l’ordre de la séquence d’enseignement permet de se donner une vision globale des savoirs disciplinaires en jeu dans les séquences d’enseignement, ceci pour l’ensemble des séances. Cette analyse conceptuelle permet de dégager la structure du savoir à un niveau de granularité relativement élevé (Malkoun, 2007 ; Seck, 2007). Elle consiste à mettre en évidence les groupes de savoirs du programme de physique de 5e secondaire mobilisés dans les séquences d’enseignement en donnant des indications sur le nombre total de facettes de savoir79 et la fréquence d’apparition totale des ces facettes pour chacun de ces groupes. Plus précisément, elle consiste à situer les laboratoires mis en œuvre au sein des séquences et les groupes de savoirs mobilisés au sein de ces laboratoires. Les résultats de cette analyse sont présentés sous la forme d’un réseau conceptuel.

3.2.3 L’analyse des pratiques d’enseignement à l’échelle mésoscopique

L’analyse des pratiques d’enseignement à l’échelle mésoscopique qui est de l’ordre de la dizaine de minutes ou de l’heure permet de se donner une idée de la manière avec laquelle les savoirs disciplinaires structurent chacune des séances au moyen d’indicateurs d’ordre mésoscopique (Roth et al., 2006 ; Seck, 2007 ; Seidel, Prenzel et Kobarg, 2005 ; Sensevy et Mercier, 2007 ; Tiberghien et al., 2008). Elle correspond à ce que Seck (2007, p. 92) appelle « les formes de mise en scène dans une classe pouvant caractériser la classe en termes de la chronogénèse (progression du savoir), de topogénèse (position des acteurs par rapport à cette progression) et de contrat ». Dans notre étude, cette analyse implique la construction de synopsis des séances structurés autour de cinq variables mésoscopiques : les phases (problématiser, planifier, investiguer, conceptualiser et déployer) de la démarche de modélisation en référence avec celle que

nous avons développée dans le cadre conceptuel (figure 8), les thèmes et sous-thèmes disciplinaires abordés dans la séquence, leurs contextes de traitement (théorie, exercices, laboratoires, etc.), les ressources didactiques utilisées (notes de cours, manuel scolaire, cahier d’exercices, feuilles d’exercices, document de laboratoire, rapport de laboratoire, etc.) et les modalités d’organisation de la classe (en grand groupe, en équipe, individuellement).

3.2.4 L’analyse des pratiques d’enseignement à l’échelle microscopique

L’analyse des pratiques d’enseignement à l’échelle microscopique qui est de l’ordre de la seconde ou de la minute permet de se donner une vision détaillée de la manière avec laquelle les savoirs disciplinaires circulent dans les pratiques d’enseignement. L’échelle microscopique est celle « des énoncés et des gestes des personnes » (Tiberghien et al., 2007a), ce que Buty, Badreddine et Régnier (2012) l’appellent le « temps interactionnel ». Plus précisément, il s’agit de voir comment se manifeste la modélisation des phénomènes par des facettes de savoir (Galili et Hazan, 2000 ; Minstrell, 1992a, 1992b) formulées par l’enseignant, les élèves ou conjointement par ces deux acteurs au moyen des tâches épistémiques80 (Collins et Ferguson, 1993 ; Ohlsson, 1996) visant à caractériser les processus de pensée en jeu dans la compréhension du monde matériel tout au long des séquences d’enseignement. L’analyse à l’échelle microscopique est celle qui permet de caractériser plus particulièrement la relation entre l’enseignement et les acquisitions conceptuelles des élèves dans le domaine de la cinématique. Elle est donc centrale pour notre deuxième volet d’analyse : celui de la mise en relation des pratiques d’enseignement avec les acquisitions conceptuelles chez les élèves.

3.2.4.1 L’analyse des pratiques d’enseignement sous l’angle des facettes de savoir

Comme nous l’avons souligné précédemment, la compréhension des phénomènes en physique ne se manifeste pas uniquement lors de l’énonciation des définitions formelles des savoirs disciplinaires par l’enseignant, mais tout au long de la séquence d’enseignement par des énoncés formulés par l’enseignant et les élèves, ce que certains auteurs désignent par l’expression « facettes

de savoir » (« Facet of knowledge ») (Galili et Hazan, 2000 ; Minstrell, 1992a, 1992b ; Tiberghien

et al., 2007a). Dans le cadre conceptuel, nous avons défini et exemplifié les quatre catégories de

facettes de savoir retenues (Galili et Hazan, 2000 ; Malkoun, 2007 ; Minstrell, 1992a, 1992b ; Tiberghien et al., 2007a) : les facettes de savoir conceptuelles, procédurales, symboliques et langagières. Ci-après, nous décrivons la procédure d’analyse pour dégager ces facettes formulées par les acteurs de la classe à travers leurs discours et gestes tout au long des séquences d’enseignement.

3.2.4.2 L’analyse des pratiques d’enseignement sous l’angle des tâches épistémiques

L’introduction des facettes de savoir en physique se fait au moyen de tâches épistémiques (Collins et Ferguson, 1993 ; Ohlsson, 1996) visant à caractériser les processus de pensée en jeu dans la compréhension du monde matériel tout au long des séquences d’enseignement. Dans ses travaux, Ohlsson (1996) s’est inspirée de ce que Collins et Ferguson (1993, p. 25) appellent les jeux et les formes épistémiques : « Les formes épistémiques sont des structures cibles qui guident l’enquête. Les jeux épistémiques sont des stratégies générales pour analyser les phénomènes qui s’inscrivent dans une forme épistémique particulière. »81. Nous considérons que l’activité de modélisation du monde matériel constitue le fonctionnement essentiel de la physique et que la modélisation des phénomènes physiques, dans la communauté de savants ou à l’école, implique des processus continus mettant en relation des objets du « monde des théories et des modèles » (MTM) et des objets du « monde des objets et des évènements » (MOE) (Coince et al., 2008 ; Gaidioz et Tiberghien, 2003 ; Gaidioz et al., 2004 ; Tiberghien, 1994 ; Tiberghien et Malkoun, 2010 ; Tiberghien et al., 2007a ; Tiberghien, Veillard, Le Maréchal, Buty et Millar, 2001 ; Tiberghien et Vince, 2005) (figures 6 et 7). Ce positionnement épistémologique sur la modélisation auquel nous adhérons pour analyser les tâches épistémiques en jeu dans les pratiques d’enseignement a des conséquences méthodologiques importantes sur la nature des tâches épistémiques considérées. Il nous conduit à restreindre ces tâches épistémiques à celles en jeu dans la compréhension du monde matériel, aussi bien au niveau des situations matérielles qu’au niveau des énoncés théoriques ou entre les deux, au niveau du modèle.

81 Traduction libre: « Epistemicforms are target structures that guide inquiry. Epistemic games are general purpose

Sur le plan opérationnel, nous distinguons donc trois grandes catégories de tâches épistémiques selon leur rapport au monde : 1) Les tâches épistémiques portant sur le MOE et qui visent la connaissance et l’usage des objets matériels ( ex. : décrire du matériel ou un protocole de laboratoire) et la maitrise des actions (ex. : simuler un phénomène, sélectionner une procédure de recueil de données pertinentes) réalisées sur des évènements pertinents recouvrant les phénomènes physiques à l’étude82 ; 2) Les tâches épistémiques portant sur le MTM et qui visent la connaissance des objets théoriques, c’est-à-dire les constructions abstraites comme les concepts ou les modèles qui permettent d’étudier des situations matérielles, et qui sont reliés les uns aux autres par des relations, principes, règles et lois du monde des théories et des modèles ; 3) Les tâches épistémiques

mettant en relation le MOE et le MTM et qui visent à établir des relations bidirectionnelles entre

les objets du MOE et les objets du MTM. Dans la méthode d’analyse des données, nous définissons ces trois grandes catégories de tâches épistémiques selon leur rapport au monde et nous décrivons les procédures d’analyse pour dégager ces tâches et leur prise en charge par les acteurs de la classe en relation avec les facettes de savoir.