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2. LES PROCÉDURES DE RECUEIL DES DONNÉES

2.2 L’enregistrement vidéo des séquences d’enseignement en classe

En plaçant au cœur de notre dispositif méthodologique l’observation directe des pratiques d’enseignement, nous considérons nécessaire « d’abandonner la connaissance de la pratique plus spéculative et normative que descriptive et compréhensive » (Bressoux, 2001, p. 43). Cela ne veut pas pour autant dire qu’il s’agit d’abandonner le discours que les enseignants ont sur leurs pratiques. Au contraire, si nous considérons que la pratique d’enseignement est une construction effectuée par le chercheur sur la base de la pratique déclarée (celle inférée à partir des entrevues pré et postenregistrement réalisées avant et après les enregistrements vidéos en classe) et de la pratique observée (celle inférée à partir des enregistrements vidéos) (figure 19), l’enregistrement vidéo en classe des séquences d’enseignement est une procédure de collecte de données essentielle pour l’analyse des pratiques d’enseignement. Ainsi, les enregistrements vidéos en classe qui correspondent à la phase interactive (Altet, 2001 ; Bru et Talbot, 2001 ; Lenoir, 2015 ; Lenoir et

al., 2007) de la pratique d’enseignement constituent les principales sources de données de notre

recherche. Si les enregistrements vidéos en classe sont retenus comme procédure de collecte de données pour plusieurs raisons, au moins six méritent d’être évoquées.

1. Ils permettent de faire une observation à distance des pratiques d’enseignement, et par conséquent, de réduire l’influence que nous pourrions avoir sur les pratiques d’enseignement des enseignants (effet de désirabilité).

2. Ils permettent de garder une trace permanente des discours et gestes de l’enseignant et des élèves en raison du caractère multimodal de la vidéo, ce qui n’est pas ou peu possible avec d’autres

procédures de recueil de données comme l’enregistrement audio, la prise de notes ou les grilles d’analyses des actions des acteurs en situation (Jordan et Henderson, 1995 ; Mondada, 2006). 3. Ils permettent de revisionner les séquences d’enseignement autant de fois qu’il est nécessaire dans la conduite nos analyses (Jordan et Henderson, 1995). Ces revisionnements sont essentiels non seulement pour se donner une meilleure compréhension du déroulement des séances, mais aussi pour raffiner nos questions spécifiques de recherche et préciser nos indicateurs d’analyse des pratiques. Comme le souligne Badreddine (2009), l’enregistrement vidéo améliore de façon considérable la perception de la continuité des discours et gestes de l’enseignant et des élèves sur une séquence d’enseignement de longue durée, comme c’est le cas dans notre étude.

4. Ils permettent de se décharger de l’enregistrement manuel des faits à noter dans le contexte réel de la situation de la classe et de prendre le recul nécessaire à l’observation des faits dans la conduite de nos analyses.

5. Ils permettent la confrontation des évènements dans la conduite des entrevues postanalyses. 6. Ils constituent un outil pour la validation des résultats dans le processus d’accord interjuge. Nos objectifs étant de décrire et comparer les pratiques d’enseignement ordinaires d’enseignants de physique en vue de mettre en évidence leurs potentialités sur l’engagement des élèves dans les processus de modélisation et de les relier aux acquisitions conceptuelles des élèves dans le domaine de la cinématique, nous n’avions pas d’autres choix que de filmer l’ensemble des séances d’enseignement qui couvrent ce domaine. Les enregistrements vidéos ont été réalisés par un technicien en audiovisuel sous la conduite d’un protocole (annexe 7) qui prévoit les modalités d’enregistrement. Nous avons fait part de ce protocole au moins une semaine avant le début de la mise en œuvre des séquences d’enseignement en classe, et nous nous sommes assurés de son respect au début du déroulement des 4 premières séances par des visionnements de contrôle qui ont conduit notamment à certains réajustements dans les modalités d’enregistrement retenues par le technicien.

Si l’enregistrement vidéo des séquences d’enseignement en classe est une procédure de collecte de données présentant de nombreux avantages pour notre projet, cette procédure comporte

néanmoins quelques limites auxquelles il importe d’être attentif. On peut en énumérer au moins quatre.

1. La modification des comportements des acteurs de la classe en présence d’un observateur externe, le cas échéant un technicien en audiovisuel qui a procédé à l’enregistrement des séquences d’enseignement des deux enseignants. Si nous pensons que la présence d’un technicien en audiovisuel pour enregistrer les séquences d’enseignement a moins d’influence sur les pratiques d’enseignement que celle du chercheur85, la classe est tout de même contaminée par sa présence et l’appareillage technique (caméra, micro, etc.) qu’il utilise pour le recueil des données, et cela peut avoir des effets non négligeables sur les comportements de l’enseignant et des élèves lors des enregistrements vidéos. Par peur de se faire juger par le chercheur, il peut y avoir hésitation de la part l’enseignant à opérationnaliser certains choix dans sa pratique d’enseignement ou hésitation de la part des élèves à prendre des risques intellectuels au moment de donner des réponses aux questions de l’enseignant, etc. D’ailleurs, nous avons observé qu’à certains moments du déroulement des séquences d’enseignement des deux enseignants, certains élèves ont systématiquement refusé de répondre aux questions de l’enseignant parce qu’ils étaient trop timides pour faire part de leur opinion en présence de la caméra.

2. La variabilité des modalités d’enregistrement vidéo selon les logiques d’enseignement des contenus disciplinaires retenues par les enseignants. Dans la classe de l’enseignante 1 où le milieu didactique (contexte d’apprentissage des modèles et de la modélisation) est essentiellement le même pour tous les élèves de la classe (les élèves sont impliqués dans des laboratoires communs lors du travail en équipe et reçoivent des enseignements identiques lors des plénières), nous avons fait le choix de fixer la caméra sur les interventions effectuées par l’enseignante et les élèves lorsque la modalité d’organisation de la classe en grand groupe (MOC-GG) s’appliquait et sur un groupe d’élèves en particulier ciblé par l’enseignante lorsque la modalité d’organisation de la classe en équipe (MOC-EQ) s’appliquait. Dans la classe de l’enseignant 2 où le milieu didactique diffère selon les groupes d’élèves de la classe (les élèves sont impliqués dans 8 laboratoires distincts et

85 Nous pensons que l’effet de désirabilité est plus grand avec la présence du chercheur en raison de la reconnaissance

reçoivent à la fois des enseignements spécifiques à leurs laboratoires lors des multiples interventions de l’enseignant dans les équipes et reçoivent des enseignements identiques lors des plénières), nous avons également fait le choix de centrer la caméra sur les interventions effectuées par l’enseignant et les élèves lorsque la modalité d’organisation de la classe en grand groupe (MOC-GG) s’appliquait, mais nous avons suivi les interventions de l’enseignant dans chacun des groupes tout au cours du déroulement de la séquence d’enseignement lorsque la modalité d’organisation de la classe en équipes (MOC-EQ) s’appliquait. Ce choix méthodologique a été opéré en raison des séquences d’enseignement des deux enseignants qui apparaissaient très différentes à l’échelle mésoscopique dès le départ.

3. L’influence du technicien en audiovisuel se situant derrière la caméra relativement aux éléments pertinents qui sont filmés en classe, malgré le protocole d’enregistrement vidéo qui lui a été fourni. À titre d’exemple, lors d’une séance de l’enseignante 1, le technicien en audiovisuel n’a pas filmé une partie de la séance où les élèves étaient appelés à recueillir, dans la salle de laboratoire adjacente à la salle de classe, des données sur le mouvement d’un charriot sur un plan incliné86. Par conséquent, nous avons perdu un épisode important de cette séance où il y avait modélisation, ce qui a limité nos analyses pour cette partie de la séquence87.

4. Les limites de la technologie face aux sens humains dans l’interprétation du discours, des productions écrites et des gestes de l’enseignant et des élèves. Lors de la transcription des enregistrements vidéos, nous avons constaté plusieurs limites de la technologie audionumérique, parmi lesquelles l’impossibilité de comprendre et de transcrire le discours lorsque des interlocuteurs sont trop éloignés de la caméra, parlent à voix basse ou en même temps, ou encore lorsque les interactions discursives enregistrées dans une équipe de travail sont brouillées par le bruit de fond émis par la classe entière lors du travail en équipe. Sur le plan visuel, l’une des limites importantes a été l’impossibilité de reconnaitre à plusieurs reprises le contenu présenté par un enseignant à l’aide du tableau blanc interactif (TBI) en raison de la réflexion de la lumière du TBI

86 Il s’agit d’un évènement imprévu qui résulte propablement d’un oubli de la part du technicien comme le protocole

avait été bien expliqué par le chercheur au préalable.

87 Pour remédier à ce problème, nous avons toutefois inféré les actions et tâches de l’enseignante et des élèves dans cet

dans la caméra (surbrillance de l’image). Pour réduire le plus possible les effets de certains de ces facteurs, nous avons sensibilisé les enseignants participants et le technicien en audiovisuel de l’influence possible de ces facteurs sur l’analyse des pratiques d’enseignement.

Une fois les enregistrements vidéos des deux séquences d’enseignement réalisées (pour l’ensemble des séances), les fichiers vidéos respectifs ont été intégrés dans le logiciel d’analyse vidéo Transana. Les transcriptions intégrales de ces enregistrements vidéos ont été réalisées par le chercheur principal (pour les 11 séances de la séquence d’enseignement de l’enseignante 1) et par un étudiant de maitrise du CREAS (pour les 14 séances de la séquence d’enseignement de l’enseignant 2) au moyen de la fonction de transcription de Transana. Ce premier travail ne s’est pas réduit à une simple transcription des interactions langagières enseignant-élèves et élèves- élèves. Il a consisté en une préanalyse des enregistrements vidéos par : 1) l’identification de l’évolution des prises de parole par les acteurs de la classe (P pour enseignant et E pour élèves) au moyen des marqueurs temporels (boulettes temporelles

¤

<29555>) du logiciel ; 2) la mise en évidence

des gestes importants que l’enseignant ou les élèves font au sein de ces interactions par une indication en caractère en italique ; 3) l’insertion de photogrammes (photos captées par le logiciel à des instants précis) pour situer les discours et gestes de l’enseignant et des élèves en lien avec les savoirs en jeu et qui pourront éventuellement être sélectionnés pour accompagner la présentation des résultats. La figure 20 présente une photo et un extrait de l’enregistrement vidéo de la séance 1 de l’enseignante 1 dans laquelle elle aborde avec les élèves le signe de la variation de la vitesse d’un charriot dans le contexte d’une démonstration expérimentale.

P Alors j’ai mon petit mobile ici qui part de la position 0, se déplace dans ce sens-ci, puis augmente sa vitesse (P déplace le charriot de la gauche vers la droite sur le référentiel en faisant augmenter sa vitesse). Alors il y a une réelle augmentation de vitesse dans le bon sens de mon repère donc variation de position positive, variation de vitesse positive. Mon mobile avance toujours, mais je commence à le faire freiner. Sa vitesse ? (P

déplace le charriot de la gauche vers la droite sur le référentiel en faisant diminuer sa vitesse) ¤<29555

E Diminue ¤<29555

P Diminue, mais est-ce qu’il continue à avancer ? Bien oui. La preuve, ces temps-ci c’est super glacé, une voiture qui veut éviter un piéton sur la route pèse sur les freins, est-ce qu’il continue à avancer ? ¤<29555

E Oui

P Il continue à avancer. Ce n’est pas parce que l’on freine qu’on avance plus. Mais on avance ? E Moins vite

P Moins vite ok ? Alors c’est possible qu’un mobile ait une variation de position positive tout en ayant une variation de vitesse négative. N’est-ce pas ? ¤<29555

E Oui

Figure 20- Exemple de transcription d’un extrait d’un enregistrement vidéo dans la phase de préanalyse (Enseignante 1, séance 1)