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2. LE CONCEPT DE MODÉLISATION

2.2 La modélisation comme démarche d’investigation scientifique particulière

2.2.1 La démarche de modélisation inductiviste-applicationniste

Dans les démarches de modélisation inductiviste-applicationniste (Fourez et Englebert- Lecompte, 1999 ; Johsua et Dupin, 1989 ; Robardet et Guillaud, 1997), c’est le rôle de l’enseignant, du manuel scolaire ou de tout autre agent externe qui est privilégié dans la présentation des modèles scientifiques à faire apprendre aux élèves. En tant que détenteur du savoir, cet agent les transmet aux élèves selon des modalités diverses : explication, lecture d’un texte explicatif dans le manuel scolaire, etc. Le principal rôle des élèves est de mémoriser les savoirs qui leur sont exposés, puis de les appliquer dans le contexte de résolution de problèmes d’application qui nécessitent des opérations formelles diverses dans les registres algébriques, graphiques, vectoriels, etc. Au mieux, les élèves sont engagés dans une expérience de référence prototypique visant à exposer le modèle et faire admettre sa plausibilité en regard du phénomène étudié (Fourez et Englebert-Lecompte, 1999 ; Johsua et Dupin, 1989 ; Robardet et Guillaud, 1997). Dans ce cas, le rôle de l’enseignant est de présenter un problème de départ, d’introduire les faits scientifiques au préalable et de proposer aux élèves une expérience dont le protocole est déjà conçu afin qu’ils puissent vérifier la correspondance du modèle à l’étude avec les données obtenues par l’expérience. Il s’agit pour l’enseignant de soumettre aux élèves une expérience ayant non seulement une correspondance stricte avec le phénomène étudié, mais riche en matière d’introduction de faits scientifiques et de mise en relation entre ces faits. Cette expérience ne doit pas seulement montrer le phénomène : elle doit donner aux élèves « le sentiment inébranlable qu’il est là dans le domaine des faits » pour reprendre les propos de Liard (1904). À chaque étape de la démarche, l’enseignant s’appuie sur l’expérience de référence initiale pour fournir des arguments lui permettant de faire avancer la construction du modèle. Il s’agit d’abord de faire admettre la plausibilité du modèle (et de chacune des étapes d’exposition) relatif à l’expérience de référence. Une fois le modèle considéré comme plausible et admis par les élèves, il reste à le faire passer sous leur responsabilité. Ainsi, l’expérience fournie aux élèves par l’enseignant n’a pas pour but la construction du modèle, mais plutôt sa justification. Nous caractérisons une démarche de modélisation inductiviste- applicationniste par les quatre attributs suivants : a) son paradigme de référence est le scientisme où le savoir est considéré comme univoque et indiscutable ; b) les finalités de l’expérimentation sont la formulation d’hypothèses explicatives, la manipulation, l’application et la validation d’un modèle ; c) le statut conféré au modèle est celui d’un objet découlant de l’observation, un fait

préexposé à valider au sein d’une expérience non problématisée et structurée (protocole préétabli) ; d) les connaissances initiales des élèves sont en partie négligées, mais néanmoins évolutives par des « observations qui prouvent ».

Parmi les nombreuses démarches de modélisation existantes, nous nous centrerons sur la démarche de modélisation constructiviste (Fourez et Englebert-Lecompte, 1999 ; Johsua et Dupin, 1989 ; Robardet et Guillaud, 1997) qui engage intellectuellement les élèves dans les processus de modélisation. Nous la caractérisons par les quatre attributs suivants : a) son paradigme de référence est le rationalisme scientifique (le savoir est considéré comme artéfact, une construction théorique pouvant être débattue ; b) les finalités de l’expérimentation sont la construction d’un modèle et la mise à l’épreuve de ses limites, l’abstraction et la construction des connaissances ; c) le statut conféré au modèle est celui d’un objet intermédiaire entre le concret et la théorie, un fait à construire au sein d’une situation expérimentale problématisée et non structurée (protocole à construire) ; d) les connaissances initiales des élèves sont le point de départ d’un processus de problématisation visant à faire adopter des modèles plus valides que leurs conceptions initiales.

Notre analyse de la documentation scientifique fait état d’une grande diversité de démarches de modélisation constructivistes dont les configurations sont variables quant à leurs phases ou leurs moments forts. Cependant, elles mettent toutes en avant le caractère cyclique du processus de modélisation. Notre analyse de la documentation scientifique montre par ailleurs que les travaux de Karplus (1977) sur le cycle d’apprentissage pour l’enseignement des sciences et le développement du raisonnement scientifique des élèves55 ont inspiré plusieurs chercheurs dans le développement de ces démarches. Dans le champ de la didactique des sciences, plusieurs chercheurs dans le domaine de la physique (Clement, 1989 ; Halloun, 2007 ; Hestenes, 1987, 1992 ;

55 Le cycle d’apprentissage de Karplus (1977) s’appuie sur la théorie du développement intellectuel de Piaget et est

structuré en trois phases d’enseignement : l’exploration, l’introduction et l’application des concepts. Dans la première

phase d’exploration, les élèves sont invités à explorer une situation empirique inconnue qui « soulève des questions

ou des complexités qu’ils ne peuvent résoudre avec leurs habitudes de raisonnement ... En conséquence, un déséquilibre mental se produira et les élèves seront prêts pour l’autorégulation » (Karplus, 1977, p. 174). Dans la deuxième phase d’introduction pour résoudre le problème en question, l’enseignant introduit un nouveau concept ou un nouveau principe. Puis, la troisième phase d’application est celle où « la familiarisation se fait lorsque les élèves appliquent le nouveau concept et le modèle de raisonnement à d’autres situations. » (Karplus, 1977, p. 174).

Justi et Gilbert, 2002a ; Wells et al., 1995 ; White, 1993) se sont appuyés sur les travaux de Karplus pour conceptualiser des approches cycliques de modélisation.

Dans l’annexe 1, nous décrivons ces diverses approches de modélisation en mettant en évidence leurs moments forts, les tâches et les rôles assumés par l’enseignant et les élèves, etc., et ce, de manière à poser les bases conceptuelles nécessaires au développement de notre propre démarche de modélisation constructiviste à la prochaine sous-section. Malgré la grande diversité des démarches de modélisation dans le domaine de la physique développées par ces auteurs, toutes engagent intellectuellement les élèves dans un processus cyclique et itératif dont la finalité est double : l’élaboration conceptuelle d’un modèle, d’une part, et l’utilisation de ce modèle afin de représenter, décrire, expliquer et prédire un phénomène physique, d’autre part. Dans la prochaine sous-section, nous développons une démarche de modélisation constructiviste cyclique et itérative en nous appuyant notamment sur les travaux présentés dans l’annexe 1.