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2. LES PROCÉDURES DE RECUEIL DES DONNÉES

2.1 Les entrevues pré et postenregistrement

La réalisation d’entrevues pré et postenregistrement avant et après les enregistrements vidéos en classe repose sur un choix théorique et méthodologique important : prendre en considération lors de l’analyse des pratiques d’enseignement autant le point de vue de l’observateur externe – le chercheur, en s’appuyant sur les enregistrements en classe – que le sens que les enseignants accordent à leurs actions (Hasni et al., 2015 ; Hasni, Bousadra et Roy, 2012). Comme nous l’avons souligné précédemment, la pratique d’enseignement consiste en une activité professionnelle qui s’organise en fonction de finalités éducatives socialement déterminées par la culture, ainsi que par les contenus et les orientations curriculaires. La pratique de l’enseignant se traduit par Altet (2002, p. 86) comme « une activité professionnelle située, orientée par des fins, des buts et les normes d’un groupe professionnel. Elle se traduit par la mise en œuvre des savoirs, procédés et compétences en actes d’une personne en situation professionnelle. » En ce sens, les enseignants interprètent leurs rôles, leur manière d’enseigner, etc. en fonction de leur propre cadre de référence expérientiel et représentationnel (Vincent, Garnier et Marinacci, 2006) qu’il est important de considérer. Si nous ne considérons pas que toutes les actions des enseignants soient rationalisées et prévues, nous pensons cependant que les enseignants sont des professionnels qui « anticipent à des degrés variables leurs interventions, notamment sur les plans des visées éducatives, des contenus à faire apprendre, du déroulement du cours et des ressources matérielles à utiliser

(incluant les ressources didactiques) » (Hasni et al., 2015, p. 202) et qu’il « est par conséquent important d’analyser les pratiques observées (les enregistrements), tout en tenant compte de ce rationnel » (Ibid., p. 202). Cela nous conduit à appréhender la pratique d’enseignement de l’enseignant comme étant une construction effectuée par le chercheur sur la base de la pratique déclarée (celle inférée à partir des entrevues pré et postenregistrement réalisées avant et après les enregistrements vidéos en classe) et de la pratique observée (celle inférée à partir des enregistrements vidéos) (figure 19). Autrement dit, les données issues des entrevues pré et postenregistrement sont des données complémentaires à celles obtenues par les enregistrements vidéos pour éclairer l’analyse des pratiques d’enseignement (Lenoir et al., 2007 ; Lenoir, Larose, Deaudelin, Kalubi et Roy, 2002 ; Lenoir et Vanhulle, 2006).

Figure 19- La pratique d’enseignement : une construction du chercheur sur la base de la pratique déclarée et de la pratique observée

Le type d’entrevue qui a été retenu est l’entrevue semi-structurée. Sur le plan méthodologique, cette entrevue se situe à mi-chemin entre l’entrevue structurée qui accorde très peu de souplesse au chercheur dans la conduite des questionnements et l’entrevue non structurée (aussi appelé entretien en profondeur ou entretien libre) qui laisse une grande liberté aux participants de s’exprimer sur les thématiques sondées (Freyssinet-Dominjon, 1997 ; Moscovici et Buschini, 2003). L’entrevue semi-structurée offre le degré de flexibilité voulu, tant sur le plan de

Pratique déclarée à partir de l’entrevue préenregistrement Phase préactive Pratique observée à partir des enregistrements vidéos Phase interactive Pratique déclarée à partir de l’entrevue postenregistrement Phase postactive

Pratique d’enseignement

la formulation des questions que sur l’ordre dans lequel celles-ci peuvent être posées. Elle permet de poser des questions générales et plus nuancées, des questions visant l’éclaircissement, la reformulation ou l’approfondissement de la pensée, et ce, afin de mieux accéder à la compréhension qu’ont les enseignants des modèles et de la modélisation. Ainsi, les guides sur lesquels nous nous sommes appuyés pour réaliser nos entrevues ont été davantage pensés comme des canevas de thèmes et de questions possibles pouvant être abordées à un moment approprié lors de la conduite des ces entrevues, et ce, de manière à être à élargir la possibilité aux enseignants de s’exprimer sur les objets et les enjeux de savoir en lien avec nos intentions de recherche. À l’instar de Freyssinet- Dominjon (1997, p. 158-160), les guides d’entrevue, lorsqu’ils sont pensés en ce sens, ne consistent pas en un carcan procédural rigide à suivre au pied de la lettre, mais plutôt en une « carte au sens géographique du terme, marquant les points de passage sans les directives particulières sur la façon de s’y rendre. Son utilisation n’est source de contrainte, ni pour l’enquête qui n’en a ordinairement pas la connaissance dans le détail ni pour l’enquêteur qui en adapte l’utilisation aux circonstances variables d’un entretien à l’autre. ».

De manière à ce que les entrevues pré et postenregistrement puissent permettre de recueillir des informations qui reflètent davantage ce qui se passe en classe, et non pas un discours général sur ce qui pourrait se passer, ces entrevues ont été conduites en tenant compte des cinq orientations suivantes (Hasni et al., 2015 ; Hasni, Bousadra et Roy, 2012).

• Pour accéder à un maximum d’informations concernant les contenus et le déroulement des séances enregistrées, les entrevues ont été menées le plus proche possible du moment de l’enregistrement en classe, soit à l’intérieur de deux jours, le plus souvent la veille ou quelques heures avant la mise en œuvre des séances en classe.

• Les questions des entrevues sont orientées vers les actions concrètes de l’enseignant et des élèves prévues et sur leur justification en lien avec les apprentissages des élèves.

• Plusieurs entrevues préenregistrement et postenregistrement (une entrevue pour environ un maximum de 3 séances) ont été réalisées sur la séquence de manière à laisser aux enseignants le temps de réajuster graduellement leur planification selon la progression des apprentissages des

élèves, d’une part, et de manière à ce que les entrevues puissent nous fournir des informations suffisamment détaillées sur le déroulement des séances sur un temps raisonnable, en visant une durée maximale de 50 minutes pour les entrevues préenregistrement et de 15 minutes pour les entrevues postenregistrement.

• Pour se rapprocher davantage des pratiques d’enseignement dites ordinaires des enseignants (ce que les enseignants font habituellement en classe), aucun appui particulier ne leur a été apporté quant à la planification de leur séquence d’enseignement (contenu, déroulement, etc.). Les planifications proposées par les enseignants s’inscrivaient dans le déroulement normal de leur programmation annuelle. Nous ne leur avons pas demandé de réorganiser leur planification annuelle afin de répondre à des attentes particulières de notre recherche. Cependant, même si nous savons qu’en général les enseignants ne recourent pas systématiquement à des planifications écrites dans leur enseignement, nous leur avons demandé à la fin des entrevues préenregistrement s’ils disposaient d’une planification écrite de leur séquence d’enseignement et s’ils acceptaient, le cas échéant, de nous la fournir afin que nous puissions trianguler cette source de données avec les entrevues préenregistrement et postenregistrement.

• D’autres mesures ont également été prises. Avant la réalisation de ces entrevues, nous avons préparé psychologiquement les participants de manière à ce qu’ils puissent nous fournir un maximum d’information au moment de la réalisation des entrevues. Lors de la rencontre d’information sur le projet de recherche, au moins deux semaines avant le début du recueil des données, les enseignants ont été informés sur divers points concernant ces entrevues par exemple, le rationnel des choix qui justifient le recours aux entrevues, les principales thématiques qui structurent les guides d’entrevue (ce qui leur a permis de se préparer cognitivement aux types de questions posées), le nombre approximatif d’entrevues à réaliser, la durée approximative des entrevues, leur rôle et celui du chercheur dans la réalisation des entrevues, le respect de la confidentialité des données, etc. Afin de s’assurer d’une plus grande fluidité de l’information transmise au chercheur au moment de la réalisation des entrevues, nous avons suggéré aux enseignants d’avoir entre les mains la planification du déroulement des séances faisant l’objet d’un enregistrement en classe. Nous pensons qu’un participant préparé est dans de meilleures dispositions pour fournir des réponses pertinentes et éclairées aux questions posées par le

chercheur, et que cette condition ne remet pas en cause le caractère spontané des réponses visé par le chercheur. Par ailleurs, nous nous sommes assurés au préalable de la qualité de l’environnement dans lequel se déroulent les entrevues. Au niveau de l’environnement physique, nous avons sensibilisé les participants sur l’importance de réaliser les entrevues dans un endroit qui permet d’assurer la libre expression et la confidentialité des échanges entre l’enseignant et le chercheur. Nous avons proposé aux enseignants de conduire ces entrevues selon leur convenance, soit en présentiel pendant les heures de travail à l’école, soit par téléphone après les heures de travail à la maison. Pour des raisons de proximité, les entrevues pré et postenregistrement ont été réalisés par téléphone avec l’enseignante 1 et en présentiel avec l’enseignant 2. Au moment de leur réalisation, nous avons adopté une attitude qui permet de favoriser une relation de confiance avec la personne interviewée. Concrètement, nous avons veillé à ce que notre discours soit empreint de trois attitudes spécifiques rapportées fréquemment dans les écrits méthodologiques consacrés aux techniques d’interview (Freyssinet-Dominjon, 1997 ; Moscovici et Buschini, 2003) : l’ouverture, l’empathie et la neutralité. De manière à assurer une uniformité dans le recueil des données, nous avons réalisé nous-mêmes les entrevues pré et postenregistrement. Les données des entrevues pré et postenregistrement ont été enregistrées à l’aide d’un enregistreur audionumérique et transcrites sous forme de verbatim à l’aide du logiciel d’analyse multimédia Transana.

Les entrevues préenregistrement, qui correspondent à la phase préactive (Altet, 2001 ; Bru et Talbot, 2001 ; Lenoir, 2015 ; Lenoir et al., 2007) de la pratique d’enseignement, visent à obtenir des données sur ce que les enseignants souhaitent faire en classe. Sur le plan du contenu, la majorité des questions du guide d’entrevue préenregistrement permettent de recueillir des données sur la dimension des pratiques d’enseignement qui est au cœur de notre cadre d’analyse, soit la dimension opérationnelle associée à la question spécifique de recherche : comment s’opérationnalisent

l’enseignement-apprentissage des modèles et de la démarche de modélisation dans les pratiques d’enseignement des enseignants aux échelles du temps didactique macroscopique, mésoscopique et microscopique ? Sur le plan de la structure, les questions sont réparties selon les trois

composantes de cette dimension (Hasni et al., 2015 ; Lenoir et al., 2007) : le quoi enseigner, le

comment enseigner ce qui sera enseigné et le avec quoi enseigner. Certaines questions permettent

organisationnelle) de la pratique. Dans le guide de l’entrevue préenregistrement présenté à l’annexe 5, nous avons mis en évidence les questions associées à chacune de ces trois composantes.

Pour la composante du quoi enseigner, nous posons des questions qui permettent aux enseignants de se prononcer sur les savoirs disciplinaires (de la cinématique ou autres) visés dans les séances enregistrées, plus particulièrement ceux associés aux modèles et à la modélisation. De manière à nous assurer que les enseignants décrivent les principaux contenus qu’ils souhaitent faire apprendre aux élèves, nous ne leur demandons pas uniquement de les énoncer, mais de nous préciser ceux qu’ils souhaitent que leurs élèves retiennent au terme de leur séquence d’enseignement. Des questions sont prévues pour distinguer les savoirs disciplinaires qui font l’objet de nouveaux apprentissages et ceux qui font l’objet d’une mobilisation. Ces questions permettent d’obtenir des réponses pour décrire, à une échelle macroscopique, la structure conceptuelle des savoirs disciplinaires en jeu dans les séances enregistrées.

Pour la composante du comment enseigner ce qui sera enseigné, nous posons des questions qui permettent aux enseignants de se prononcer sur le déroulement de chacune des séances enregistrées, en général, et sur le déroulement des démarches qui visent de manière spécifique l’acquisition des modèles, en particulier. Ces questions permettent d’obtenir des réponses pour décrire, sur une échelle mésoscopique, les principales tâches réalisées par l’enseignant et les élèves en lien avec les apprentissages visés au cours des séances. Plus précisément, elles permettent d’identifier les moments où les enseignants recourent à une démarche de modélisation, et les principales phases (ou moments forts) de cette démarche.

Pour la composante du avec quoi enseigner, nous posons des questions en lien avec les ressources didactiques utilisées par les enseignants dans la préparation et l’enseignement de leurs séances. Les questions portent, d’une part, sur le matériel didactique produit par les éditeurs de manuels scolaires, et d’autre part, sur les autres ressources comme les ressources imprimées autres que les manuels scolaires, les ressources informatiques ou les ressources humaines. Ici, nous nous intéressons à la nature de ces ressources, à la justification de leur choix, à leurs modalités d’utilisation, à leurs apports et leurs limites en regard de l’enseignement et de l’apprentissage des modèles.

En regard de la dimension conceptuelle de la pratique, nous posons des questions qui permettent aux enseignants de formuler leur compréhension de ce qu’est pour eux un modèle et une démarche de modélisation, en insistant sur l’idée d’exposer les principales caractéristiques (les attributs essentiels) de ces concepts. Ces questions sont posées respectivement au terme de chacune des deux premières sections du guide (savoirs disciplinaires en jeu et déroulement de la séquence) afin que les enseignants puissent donner du sens à ces concepts abstraits à partir des exemples qu’ils ont énumérés précédemment. Cette stratégie de questionnement, qui consiste à structurer le questionnement à « partir du concret et du particulier pour aller vers le général et l’abstrait » (Moscovici et Buschini, 2003, p. 156), permet de donner du sens aux questions posées et d’éviter que l’intervieweur et l’interviewé produisent des discours en parallèle en ayant l’impression de parler des langues différentes. Par ailleurs, contrairement aux autres questions, ces questions ne sont posées qu’une seule fois lors de la première entrevue préenregistrement. En regard de la dimension fonctionnelle, nous posons des questions qui permettent aux enseignants de justifier le recours aux modèles et à la démarche modélisation dans les séances enregistrées. Il s’agit ici de voir quelles sont leurs intentions éducatives relatives à l’enseignement de ces objets d’étude. Une fois de plus, les questions posées donnent la possibilité aux enseignants de mettre en relation les exemples de modèles et de démarches qu’ils ont énumérés précédemment et d’appuyer leur argumentation sur ces exemples. Quant à la dimension organisationnelle, nous posons des questions qui permettent aux enseignants de décrire les contextes dans lesquelles se fait l’enseignement des modèles et de la démarche de modélisation. Il s’agit ici de soulever les défis, difficultés, ainsi que les facteurs facilitant et entravant l’enseignement-apprentissage des modèles et de la démarche de modélisation. Les questions posées se réfèrent aux contenus disciplinaires de manière générale, et aux modèles et à la démarche de modélisation, en particulier.

Les entrevues postenregistrement qui correspondent à la phase postactive (Altet, 2001 ; Bru et Talbot, 2001 ; Lenoir, 2015 ; Lenoir et al., 2007) de la pratique d’enseignement visent à obtenir des données sur les actions que les enseignants ont posées en fonction des intentions éducatives retenues (implicites ou explicites) et à justifier leurs actions effectives. Ce guide est composé de questions sur la dimension opérationnelle de la pratique d’enseignement de manière à obtenir une rétroaction « à chaud » de la part de l’enseignant sur les évènements marquants ou inattendus qui ont été constatés pendant les séances enregistrées, sur les adaptations (ou changements) qu’ils ont

apportées aux contenus ou au déroulement de ces séances, et sur les apports et limites qu’ils témoignent en regard des ressources didactiques utilisées. Le guide d’entrevue postenregistrement permet également de recueillir des données sur la dimension organisationnelle de la pratique en questionnant les enseignants sur les défis et les difficultés rencontrées lors de l’enseignement- apprentissage des modèles et de la modélisation, ainsi que sur les conditions qui ont permis de faciliter ou qui ont entravé leur enseignement-apprentissage. Le guide de l’entrevue postenregistrement est présenté à l’annexe 6.