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DANS LES ORGANISATIONS

1 PREMIERES CONSIDERATIONS : REDUCTIONS D’EFFECTIFS ET QUESTIONS SUR LE TRAVAIL

2.1 Le coût du « travail », définition et difficultés

Dans cette section, nous définissons d’abord le coût du travail (2.1.1) avant d’en exposer les difficultés de principes (2.1.2).

2.1.1 Définition

Quel que soit le courant concerné, la littérature consultée semble converger sur la définition du travail. Pour Katz (1979), le coût du travail relève des « wages and pensions » (p. 510). Pour Gautié (1998, p. 84) : « Coût du travail = cotisations

1 Dénomination temporaire. Nous introduirons plus avant dans ce chapitre la notion de performance du

patronales + salaire brut ». Dans son étude sur la structure du coût du travail, Barkume (2010) identifie des « quasi-fixed employment costs » qui contiennent :

« vacation and holiday paid leave, paid sick leave, other paid leave (e.g. for jury duty), shift differential payments, bonuses unrelated to worker hours or output, severance payments, supplemental unemployment insurance, health insurance, life insurance, sickness and accident insurance, long-term disability insurance, defined benefit retirement contributions, federal and state unemployment insurance taxes » (p. 142).

L’étude de Stuebs & Sun (2010) s’appuie sur une base de données qui intègre dans le coût du travail les éléments suivants : « […] total labor costs and related expenses. It includes salaries, wages, incentive compensation, other benefit plans, payroll taxes, pension costs, and profit sharing. » (Note 15 p. 280). Enfin, Alcouffe & al. (2013) assimilent coût du travail et masse salariale, cette dernière comprenant les différents types de rémunération et les cotisations patronales afférentes.

Dans ces travaux, la définition du coût du travail varie quelque peu dans ses modalités, mais converge autour de la rémunération (salaires fixe et/ou variable, primes, intéressement, etc.) et des cotisations sociales afférentes. D’un point de vue comptable, ce sont des charges de personnel. Autrement dit, le coût du travail se rapporte fondamentalement aux individus qui perçoivent la rémunération. Examinons désormais les difficultés que pose cette définition du coût du travail. 2.1.2 Difficultés inhérentes au coût du travail La première difficulté inhérente au coût du travail tient à la variabilité du phénomène. Outre les questions de périmètres de charges et de modalités de calcul, Bellut (1990) identifie que : « Même dans une production de série rodée, les problèmes techniques, la fatigue, l’environnement… font fluctuer le coût unitaire entre le début et la fin de la journée. Face à une telle réalité, parler d’un coût (estimé ou constaté) en donnant un seul chiffre risque de restreindre la perception du problème. » (p. 170).

Ce serait trahir le propos de Bellut (1990) que de lui conférer une posture critique radicale. Devant la difficulté qu’il soulève, il suggère « d’associer à la valeur la plus probable la courbe de distribution correspondante. ». (id., p. 170). Ce projet de calcul combinatoire présuppose une loi de fonctionnement que nous ne partageons pas. Il reste en revanche intéressant de noter avec lui la question de la fiabilité de la mesure sous un angle intéressant : la variabilité intrinsèque de ce que l’on souhaite mesurer. Comme nous le verrons au chapitre suivant, cette variabilité intrinsèque s’applique parfaitement au travail.

La seconde difficulté relative au coût du travail tient à sa précision conceptuelle. La définition du coût du travail semble en effet négliger une distinction opérée notamment par Marx (1867). Ce dernier différencie le travail de la force de travail. La force de travail est une marchandise qui s’échange sur un marché : « Et cette marchandise spécifique, le possesseur d’argent la trouve sur le marché : c’est la puissance de travail, ou encore la force de travail. » (Marx, 1867, p. 188). Elle est fournie par le travailleur, et est payée par le salaire. Quant au travail, il correspond chez Marx (1867) à l’usage de la force de travail : « L’usage de la force de travail, c’est le travail proprement dit. » (p. 199). La distinction proposée par Marx (1867) entre le travail et la personne qui le réalise montre que le coût du travail ne peut être assimilé aux charges de personnel.

Tout au plus, ces dernières en représentent une composante. En effet, le travail mobilise et consomme des ressources de l’entreprise pour, par exemple, fabriquer un produit. Afin de restituer cette utilisation des ressources, De Geuser (2006) suggère d’intégrer au coût du travail « [les] charges nécessaires pour permettre au travail de se mobiliser. » (p. 25). Comme le montre la section précédente, cette suggestion n’a pas encore infusé la littérature, et souligne le manque de précision dans la définition du coût du travail. Les difficultés mises en évidence ici soulignent la difficulté à circonscrire l’objet de coût (Mendoza & al., 2009) qu’est le travail, et à le mesurer. Elles soulignent à bien des

égards le fait que le travail est difficile à appréhender, notamment au travers d’indicateurs. Nous nous intéressons désormais à quelques travaux en économie qui soulignent que le salaire ne constitue pas nécessairement le principal déterminant de la demande en travail.

2.2 Le salaire, principal déterminant de la demande de travail ? Revue

de quelques anomalies en économie

En économie, le salaire représente le point d’équilibre entre l’offre et la demande de travail (Gautié, 1998 ; Kaufman, 2010). Certains développements nuancent quelque peu cette modélisation classique en montrant qu’un coût du travail plus élevé que le marché ne détermine pas nécessairement la demande en travail. Nous ne visons pas l’exhaustivité. Nous nous consacrons aux travaux qui nous semblent les plus intéressants pour appuyer notre recherche. Dans cette perspective, nous exposerons successivement dans cette section : le salaire d’efficience, l’élasticité-prix et le paradoxe des fast-foods.

Ces mécanismes suggèrent notamment que les entreprises seraient en mesure d’identifier une « valeur » au travail qui pourrait compenser son surcoût. Cette valeur représenterait alors la contribution du travail à la performance, c’est-à-dire la performance du travail.

2.2.1 Le salaire d’efficience

Le salaire d’efficience vise en particulier à contrebalancer un problème d’agence : « On peut alors montrer que l’employeur a intérêt à fixer un salaire supérieur à celui du marché, faisant ainsi courir un risque de perte de revenu si celui-ci est licencié pour avoir été surpris en train de « flâner », et l’incitant par là à fournir l’effort requis. » (Gautié, 1998, p. 16).

Le salaire d’efficience est donc un mécanisme d’incitation dans lequel une organisation choisit de payer un salaire supérieur par rapport au marché pour limiter un coût d’opportunité (baisse de productivité, désorganisation, etc.). Nous comprenons bien que la perspective du salaire d’efficience vise à réduire un coût global. Cependant, la vérification concrète de l’équilibre (voire du gain) ainsi obtenu reste empreinte de doutes – peut-on effectivement supprimer toute « flânerie » ? Autrement dit, le salaire d’efficience suggère qu’une organisation pourrait consentir à un travail qui coûte plus cher sans que l’équilibre ni les gains résultant de ce « salaire d’efficience » soient certains. Cela ouvre à notre sens à des questions intéressantes sur le fait que les entreprises peuvent considérer une certaine valeur au travail en dépit d’un surcoût. Intéressons-nous désormais à l’élasticité-prix du travail. 2.2.2 L’élasticité-prix du travail L’élasticité se définit de la sorte : « D’une manière générale, l’élasticité d’une variable Y à une variable X est le rapport de la variation relative de Y à la variation relative de X […]. » (Gautié, 1998, p. 24). Si X varie de 1%, le calcul d’élasticité permet de déterminer si Y varie aussi de 1%, ou de moins, ou de plus. Gautié (1998) avertit de deux précautions à prendre. Premièrement : « L’élasticité ne mesure qu’une corrélation statistique. » (p. 24), et non une causalité. Deuxièmement, préciser l’horizon temporel : « En effet, les ajustements ne s’opèrent pas tous à la même vitesse. Ainsi, par exemple, à niveau de production donné, la substitution du capital au travail au niveau de l’entreprise ne prend effet que progressivement, à l’occasion du renouvellement des machines. » (id., p. 25). Autrement dit, l’intervalle temporel entre la variation de X et la variation de Y conditionne les chances de constater (ou non) une corrélation.

A l’issue de la revue de travaux dans ce champ, Gautié (1998) dresse le constat suivant :

« L’ensemble des résultats suscite cependant de nombreuses réserves. D’une part ils sont établis pour la plupart d’entre eux à partir de données sur l’industrie manufacturière [minoritaire]. D’autre part et

surtout, d’une étude à l’autre les résultats peuvent varier selon le niveau d’agrégation et selon le pays, mais aussi, ce qui plus gênant, pour un même pays et pour un même niveau d’agrégation, selon les spécifications retenues de la demande de travail et la mesure des différentes variables et paramètres, ainsi que selon la période retenue. » (p. 28) ; La France faisant figure de cas spécifique montrant « l’absence d’élasticité de la demande de travail à son coût au niveau

macroéconomique […]. » (p. 29, nous soulignons).

Gautié (1998) conclut alors par : « Au total, malgré un grand nombre de travaux, de nombreuses incertitudes subsistent quant à l’influence du coût du travail sur sa demande. » (p. 31).

Selon nous, l’incertitude entourant « l’influence du coût du travail sur sa demande » selon les mots de Gautié caractérise un phénomène dans lequel l’arrivée et/ou le maintien de travailleurs dans une organisation soit le fruit d’un arbitrage entre plusieurs critères, dont le coût du travail. Ceci suggère encore que les entreprises pourraient mettre en relation le travail et son coût avec une certaine valeur créée. Terminons cette partie en s’intéressant au paradoxe des fast-foods.

2.2.3 Le salaire minimum et le « paradoxe des fast-foods »

Au milieu des années 1990, plusieurs travaux relatifs au salaire minimum ont produit des résultats surprenants. Gautié (1998) nomme ce phénomène « Le paradoxe des

fast-foods » (p. 42) :

« Katz et Krueger (1992) ont suivi un échantillon de fast-foods dans le Texas pour étudier leur réaction aux importantes hausses du salaire minimum entre 1989 et 1991 (en tout, de 3,35 dollars à 4,25 dollars), en même temps que l’instauration du subminimum wage pour les teenagers, s’élevant à 85% du salaire minimum pendant les six premiers mois d’embauche. Les résultats sont assez peu conformes à ceux attendus. Très peu de restaurants ont eu recours au subminimum wage, pour des raisons d’équité entre salariés. De plus, une part importante des fast-foods qui accordaient un salaire à l’embauche supérieur à l’ancien salaire minimum l’ont augmenté, pour maintenir l’écart avec le nouveau salaire minimum. Enfin, et surtout, les auteurs ne décèlent pas d’effet négatif de cette forte augmentation du salaire minimum sur l’emploi des jeunes, et mettent même en lumière des effets inverses. » (Gautié, 1998, p. 42).

Les résultats de cette étude (confortés par les études complémentaires de Card & Krueger (1995), visant à contrôler la variable « prix de vente », notamment) montrent qu’une augmentation de près de 27% du salaire minimum n’a pas d’effet destructeur sur l’emploi, et aurait même eu un effet favorable. Ce phénomène pour le moins étonnantn’a eu de cesse de secouer la communauté académique en économie. Les virulents débats débordent même des comités de rédaction des revues scientifiques et s’invitent dans la presse1 pour tenter d’expliquer ou de discréditer ces résultats. Bien évidemment, le protocole suivi par Katz & Krueger (1992) puis Card & Krueger (1995) est discutable. Gautié (1998) note ainsi que les échantillons ne tiennent pas compte des restaurants qui auraient fermé en raison de ces mêmes augmentations du salaire minimum.

Ce qui nous semble intéressant au regard de notre recherche tient à deux choses. D’une part, le débat entre économistes sur ce sujet se perpétue encore, c’est-à-dire que les résultats des études initiales n’ont pas été totalement invalidés. D’autre part, et c’est là le point le plus important pour nous, ces travaux montrent que certaines organisations peuvent augmenter le coût du travail et simultanément augmenter leur demande en travail, c’est-à-dire embaucher. Cela ouvre des perspectives sur le lien entre le coût du travail et ce qu’il apporte aux entreprises. Plus généralement, cela ouvre à des questionnements sur le lien entre le travail et la performance organisationnelle : comment des fast-foods ont-ils pu « résister » à l’augmentation du coût du travail ? La productivité a-t-elle augmenté ? Ou les prix ? Ont-ils réduit les marges ? etc. En un sens, le paradoxe des fast-foods conforte l’intérêt à étudier la contribution du travail à la performance.

Nous venons de passer en revue dans cette section des mécanismes économiques qui soulignent que le salaire n’est pas l’unique déterminant de la demande en travail. Ces mécanismes suggèrent que les entreprises seraient en mesure de percevoir ou d’identifier une certaine « valeur » à un travail dont le coût est supérieur. Cette valeur renvoie à la contribution du travail que les entreprises pourraient percevoir ou identifier, quel que soit le coût de ce dernier. Les mécanismes que nous avons ici

exposés légitiment donc, de manière indirecte, l’intérêt à étudier la performance du travail. Pour terminer, examinons à présent des travaux qui nous permettent de considérer de manière plus directe que le travail pourrait apporter une certaine valeur.

2.3 Une « valeur » au travail ?

Dans cette section, nous nous intéressons à des travaux dans le champ comptabilité- contrôle de gestion qui suggère que le travail peut apporter une valeur à l’entreprise. Nous débutons par les travaux en contrôle de gestion, avant d’aborder ceux en comptabilité.

2.3.1 Le travail, un coût sans valeur ?

Une partie de la littérature en contrôle de gestion s’intéresse au lien entre coût et valeur : « Le pilotage économique de l’entreprise doit s’intéresser aux mouvements relatifs du coût et des fonctionnalités obtenues (la « qualité », la valeur), sachant qu’en règle générale les deux termes bougeront simultanément. Il est donc assez superficiel, voire dangereux, de théoriser les mouvements du coût et de la valeur de manière séparée. » (Lorino, 1995, p. 129). Cette articulation entre le coût et la valeur caractériserait même la performance : « La performance de l’entreprise est fondée sur le couple valeur-coût, mettant en relation la valeur produite (valeur) et la valeur détruite (coût). Les deux termes de ce couple sont indissociables (il ne s’agit, ni de minimiser les coûts, ni de maximiser la valeur produite, mais d’optimiser le rapport entre les deux). » (Lorino, 2003, p. 4).

Ces extraits soulignent qu’il est légitime et pertinent de s’intéresser en contrôle de gestion, à la « valeur » qu’apporte un coût spécifique, c’est-à-dire, en ce qui nous concerne, à la contribution du travail.

Toutefois, le couple coût-valeur dont il est question ici est envisagé au niveau de l’organisation. La performance qu’il caractérise est celle de l’entreprise, et non celle

d’un facteur spécifique – le travail, en l’occurrence. Par ailleurs, ce rapport coût-valeur comporte de nombreuses difficultés conceptuelles et opérationnelles, en particulier parce que la valeur est un concept emprunt de faiblesses. Malleret (2009) relève ainsi que le concept de valeur renvoie à l’usage et à l’échange (prix), que la valeur est une construction sociale, et que sa perception peut également varier selon les clients. Autrement dit, la valeur est un concept très large difficilement opérationnalisable. Les critiques autour du couple coût-valeur n’entament pas l’intérêt théorique à s’intéresser à ce qu’un coût apporte à l’entreprise. Elles pointent les difficultés qui émaillent ce type de démarche, et suggèrent de mobiliser un concept moins large que celui de valeur.

Intéressons-nous désormais à la traduction comptable de la valeur qu’apporte le travail.

2.3.2 L’immobilisation des charges de personnel

Quelques recherches en comptabilité montrent que certaines charges du compte de résultat seraient légitimement intégrables à l’actif du bilan, en-dehors des conventions déjà applicables. C’est-à-dire que les travaux en ce sens considèrent que certaines charges du compte de résultat couvrent dans les faits une période supérieure à celle de l’exercice comptable ; elles devraient, alors, selon la logique comptable (Eglem & al., 2010) être imputées à l’actif du bilan pour être ensuite dépréciées sur plusieurs exercices comptables.

L’article de Ballester & al. (2002) fournit un bon exemple de ce type de démarche, appliquée aux charges de personnel. Il vise à déterminer quelle part de charges de personnel devrait être considérée comme un investissement en capital humain, et quel pourcentage de dépréciation devrait y être attribué. En adaptant le modèle de « residual income valuation » (Ohlson, 1995), les auteurs déterminent respectivement 16% (des charges de personnel) et 34% (de dépréciation).

Les travaux mentionnés ici montrent qu’une part des charges de personnel devraient être comptabilisés au bilan1, c’est-à-dire augmenter la valeur comptable de l’entreprise (Eglem & al., 2010). Cette logique comptable souligne, à travers les charges de personnel, que les individus peuvent contribuer à augmenter la valeur de l’entreprise. Autrement dit, ces travaux dans le champ de la comptabilité dénotent que le travail que réalisent les individus dans les organisations peut contribuer à augmenter la valeur de l’entreprise.

Certes, la perspective comptable se restreint à l’horizon de l’exercice comptable, mais elle conforte en un sens l’intérêt à s’intéresser à la question de la contribution du travail dans les organisations.

Nous nous sommes intéressé dans cette section à des travaux relatifs à la valeur du travail dans les organisations. L’une des premières valeurs que prend le travail dans une organisation est celle de son coût. Nous avons alors explicité ce que recouvre le coût du travail, et nous avons conclu que cet indicateur restait assez éloigné de ce qu’il est censé représenté.

Nous nous sommes ensuite appuyé sur un sens plus positif à la notion de valeur. Certains travaux en économie suggèrent que le travail pourrait créer une valeur supérieure à son coût, puisque dans certaines situations, le salaire ne semble pas constituer l’unique déterminant de la demande en travail. Dans des perspectives plus théoriques, nous avons ensuite mobilisé des travaux en comptabilité et contrôle de gestion qui légitiment de considérer la valeur en contrepartie d’un coût donné. La section suivante est consacrée à la productivité.

3 LA CONTRIBUTION DU TRAVAIL A TRAVERS LA PRODUCTIVITE ?

Cette section étudie la productivité et conclura par le fait que la productivité ne peut représenter la contribution du travail à la performance. Nous définissons tout d’abord la productivité, avant d’en énoncer des critiques.

1 Cet aspect révèle une autre difficulté relative au coût du travail (cf. supra 2.1.2) : quelle part des