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II. LES NORMES APPLICABLES, LES CONDITIONS

1. Le champ d'application de l'art. 185 CO

2.103 La dépendance entre les art. 119 al. 1 et 3 et 185 CO a pour effet géné-ral que 1' acheteur doit en principe supporter selon les art. 119 al. 3 et 185 CO le risque du prix lié à tous les événements qui entraînent la libération du vendeur selon 1 'art. 119 al. 1 C0276 et qui surviennent après le moment du transfert du risque du prix.

Ce résultat déduit de la systématique légale n'est contredit ni par la lettre, ni par les travaux préparatoires des art. 119 al. 1 et 3 et 185 CO, qui n'indiquent notamment pas qu'il conviendrait de limiter l'application de 1' art. 185 CO aux seuls cas de destruction ou détérioration de la marchan-dise.

Les événements dont 1' acheteur doit supporter les risques sont ainsi, outre les cas d'altération totale ou partielle des qualités physiques de la chose (destruction ou détérioration), le vol et la perte de la marchandise277, ainsi que les empêchements de nature juridique278, dans la mesure où ces cas peu-vent être qualifiés d'impossibilité objective selon les critères retenus ci-des-sus279.

2.104 Négativement, l'art. 185 CO ne s'applique donc pas lorsque l'une ou l'autre des conditions de l'art. 119 al. 1 CO n'est pas remplie.

Ainsi en va-t-il notamment de toute altération, perte ou disparition de la chose vendue après le moment de sa tradition à 1' acheteur. En effet, si la marchandise a pu être remise à 1' acheteur, c'est que le vendeur a exécuté

275 Cf. supra, ch. 2.7 et les réf. citées.

276 Cf. dans le même sens KOLLER, in HONSELL!VOGT/W!EGAND, n. 4 à l'art. 185 CO.

277 Cf. supra, ch. 2.42 et les réf. citées, notamment TERCIER, ch. 622; avis contraire chez

SCHONLE, n. 22 et 125 à l'art. 185 CO et les réf. citées.

278 Cf. supra, ch. 2.19 et 2.26, sous réserve néanmoins des précisions apportées ci-après, ch. 2.108 s.

279 Cf. supra, ch. 2.29 ss.

complètement et correctement son obligation; celle-ci n'est donc pas devenue impossible. Le vendeur est dès lors définitivement libéré de toute obligation, cette libération intervenant non en raison de l'art. 119 al. 1 CO mais confor-mément à 1 'effet libératoire reconnu à toute exécution conforme280.

L'acheteur reste quant à lui tenu de verser le prix convenu, malgré 1' al-tération, la perte ou la disparition de la chose vendue après la livraison. En l'absence de toute impossibilité au sens de l'art. 119 al. 1 CO, cette obliga-tion ne se fonde bien évidemment pas sur 1' art. 185 CO mais sur les art. 184 al. 1, 211 al. 1 et 213 al. 1 CO.

A noter dans ce contexte que si le vendeur ou une personne dont il est responsable281 altère ou détruit la chose vendue après qu'elle a été correcte-ment et complètecorrecte-ment livrée à 1' acheteur- par exemple, fausse manœuvre du vendeur ou de son camionneur après le déchargement-, il ne s'agit ni d'un cas d'impossibilité d'exécution au sens de l'art. 119 al. 1 CO, ni d'un cas d'inexécution fautive au sens des art. 97/101 CO, puisque la prestation du vendeur a effectivement pu être exécutée. Dans ce cas, l'acheteur reste tenu du prix convenu, non surla base de l'art. 185 CO puisque l'art. 119 al. 1 CO ne s'applique pas, mais conformément aux art. 184 al. 1 et 211 al. 1 CO. Il pourra néanmoins réclamer au vendeur, en tout cas sur la base des art. 41 et/

ou 55 CO, la réparation du préjudice que lui cause cette atteinte illicite à sa propriété282. S'il n'a pas encore payé le prix convenu, il pourra compenser sa dette de prix avec sa créance en dommages-intérêts contre le vendeur.

2.105 Sont également exclus du champ d'application de l'art. 185 CO, au motif que 1' art. 119 al. 1 CO ne leur est pas applicable en raison de la respon-sabilité du vendeur283, les cas dans lesquels le vendeur doit répondre selon les art. 97 ou 101 CO de l'impossibilité objective qui frappe sa prestation entre le moment du transfert du risque de la prestation et celui de la tradition à l'acheteur:

destruction ou détérioration de la marchandise en cours de transport en raison de l'insuffisance de l'emballage que le vendeur s'était engagé à fournir, ou en raison de 1' absence de qualifications du transporteur que

280 Cf. GAUCH/SCHLUEP/TERCIER, t. Il, n° 1170; RIMLE, n° 61 et 366 ss.

281 Par exemple au sens des art. 55 CO ou 333 CCS.

282 On ne doit toutefois pas exclu que l'obligation du vendeur de réparer le préjudice de l'acheteur puisse se fonder également dans un cas de ce genre sur les art. 97/101 CO, dans la mesure où l'acte dommageable constitue une violation de l'obligation (contrac-tuelle) ne pas porter atteinte à l'objet du contrat.

283 Cf. supra, ch. 2.21 ss.

CHAPITRE l: DANS LE CODE DES OBLIGATIONS

le vendeur s'était engagé à mandater, ou encore en raison de l'absence de toute instruction particulière du vendeur au transporteur relatives aux précautions indispensables pour le transport et la manutention de la chose;

perte ou détérioration en raison d'une fausse manœuvre du vendeur (ou d'une personne dont il répond), qui endommage la marchandise en re-prenant ses conteneurs au lieu de déchargement, etc.

Peut également être assimilé à ces cas celui de la culpa in contrahendo du vendeur qui n'informe pas son partenaire d'une éventuelle mesure d'inter-diction284.

Dans ces cas, le contrat est en principe maintenu et la dette du vendeur se transforme en une obligation d'indemniser 1 'acheteur du dommage que lui cause cette inexécution. Le contrat restant en vigueur entre les parties, 1' ache-teurestenprincipetenu-art.184 al. 1,211 al. 1 CO-d'apporter sa propre prestation, en rapport d'échange (mt. 82 CO) avec la dette de dommages-intérêts positifs du vendeur285. Vu l'identité de nature des deux dettes, elles pourront être compensées à concurrence du montant de la plus faible (art. 120 ss CO). Si l'acheteur reste débiteur du prix en pareille hypothèse malgré la destruction de la chose vendue, ce n'est donc pas conformément aux règles sur le transfert des risques mais bien selon les règles générales en matière d'exécution des obligations.

2.106 L'application des art. 119 al. 3 et 185 CO est également écartée, lors-qu'un événement fortuit touche la chose vendue (corps certain ou chose de genre individualisée) alors que le vendeur est en demeure par sa faute.

L'art. 103 al. 1 CO in fine prévoit en effet que le vendeur qui ne peut apporter la preuve libératoire réservée par 1' art. 1 03 al. 2 CO doit répondre de ce cas fortuit. Or, cette responsabilité qu'encourt le vendeur pour le cas fortuit signifie qu'il n'est pas libéré de ses obligations. Si la vente porte sur une chose de genre, il peut être tenu d'apporter une nouvelle marchandise du genre convenu et de payer des dommages-intérêts; si elle porte sur un corps certain, une nouvelle exécution est en principe exclue si le corps certain a disparu ou péri ou s'il a été détérioré, mais le vendeur peut être recherché en dommages-intérêts. En d'autres termes, s'il ne peut faire la preuve réservée par l'art. 103 al. 2 CO, le vendeur conserve le risque de sa prestation et ne

284 Cf. infra, ch. 2.109 in fine.

285 A noter toutefois la faculté que lui reconnaît une partie de la doctrine de se départir du contrat dans les hypothèses des art. 97/101 CO; cf. supra, ch. 2.27 et les réf. citées.

peut donc se prévaloir de 1' art. 119 al. 1 CO, en sorte que les art. 119 al. 3 et 185 ne s'appliquent pas davantage à ces cas.

Ainsi, malgré la survenance d'un obstacle fortuit à l'exécution du con-trat, l'acheteur ne doit pas le prix de vente. Il ne le devra que s'il opte pour la première ou la deuxième voie de l'art. 107 al. 2 CO et qu'il reçoive du ven-deur, soit une nouvelle marchandise, soit des dommages-intérêts positifs. Aussi longtemps que le vendeur n'apporte pas la prestation choisie par l'acheteur, ce dernier est en droit de retenir le paiement, conformément à 1' art. 82 C0286.

2.107 Enfin, en raison de la garantie due par le vendeur, qui empêche qu'il soit libéré selon l'art. 119 al. 1 C0287, l'art. 185 CO ne s'applique pas da-vantage aux cas dans lesquels, après le moment du transfert du risque du prix mais avant la tradition à 1' acheteur, la chose vendue est altérée ou vient à périr en raison d'un défaut dont elle était déjà affectée au moment du transfert du risque de la prestation et dont le vendeur est dès lors garant selon les art. 197 CO ss288.

En fonction des droits qu'il exerce dans le cadre de la garantie due par le vendeur (action minutoire, art. 205 CO, ou en livraison de choses du même genre, art. 206 CO), l'acheteur pourra être tenu de verser le prix de la chose, le cas échéant réduit pour tenir compte des défauts dont elle était entachée.

Cela étant, la base légale de cette obligation de payer le prix n'est donc pas l'art. 185 CO mais bien les règles générales (art. 184 al. 1, 211 al. 1 CO), corrigées le cas échéant par les règles de calcul particulières en cas d'action rninutoire.

bb. Le cas particulier des obstacles de nature juridique

2.108 S'agissant en particulier des obstacles juridiques, ScH6NLE289 semble considérer qu'une confiscation ordonnée pour des motifs qui tiennent à l' ori-gine ou aux caractéristiques de la marchandise vendue ne devrait pas entraî-ner la libération du vendeur selon l'art. 119 al. 1 CO.

Cet avis appelle les observations suivantes.

286 Sur les rapports entre les dispositions sur la demeure et celles sur le transfert des risques, cf. infi'a, 3e partie.

287 Cf. supra, ch. 2.23 et les réf. citées.

288 Cf. SCHONLE, n. 32a à l'art. 185 CO. Ce cas doit être distingué de celui, abordé infra, 3e partie, chapitre 1, ch. 3.3 ss, dans lequel la chose vendue, entachée de défauts dont le vendeur est garant, est fortuitement perdue, détruite ou détériorée après le moment du transfert du risque du prix.

289 Cf. SCHONLE, n. 21 in fine à l'art. 185 CO.

CHAPITRE 1: DANS LE CODE DES OBLIGATIONS

Si un embargo décrété dans le pays X frappe après le moment du trans-fert du risque du prix tous les produits d'origine suisse, le vendeur suisse qui est désormais empêché de transférer comme convenu à son acheteur dans le pays X la possession et la propriété des marchandises qui lui sont destinées devrait être définitivement libéré de toute obligation, conformément à 1' art. 119 al. 1 CO. Il n'est même pas nécessaire que les marchandises aient été confis-quées, dans la mesure où les sanctions frappant les infractions sont importan-tes et en outre effectivement appliquées290; dans ces cas, il s'agit bien, avec ou sans confiscation, d'un cas d'impossibilité objective, subséquente et défi-nitive d'exécution, non imputable au débiteur-vendeur, qui justifie dès lors l'application de l'art. 119 al. 1 CO.

Il en va de même si, après le moment du transfert du risque du prix, sont interdites toutes les ventes d'un dispositif jugé par exemple trop dangereux, et qu'un vendeur est de ce fait définitivement empêché de transférer à son acheteur, comme convenu, la possession et la propriété de corps certains (ou de choses de genre dûment individualisées) équipés du dispositif en question.

Ici encore, que les pièces aient été saisies ou non, le vendeur doit être libéré de son obligation selon l'art. 119 al. 1 CO

Cela étant, si, dans ces hypothèses, les marchandises n'ont pas été con-fisquées et sont laissées au vendeur, sa libération ne devrait en principe pas 1' autoriser à réclamer à 1' acheteur le paiement du prix au titre du transfert des risques. En effet, si le vendeur, libéré de toute obligation selon l'art. 119 al. 1 CO, conserve 1' objet de la prestation désormais impossible, il paraîtrait contraire aux règles de la bonne foi de lui permettre néanmoins d'en réclamer le prix à l'acheteur, qui doit donc pouvoir durablement opposer à une telle action du vendeur l'art. 2 al. 2 CCS291. Avec pour effet que les art. 119 al. 3 et 185 CO devraient être simplement écartés dans ces situations, au profit de 1' art. 119 al. 2 CO qui opérerait, corrélativement à celle du vendeur, la libé-ration définitive de 1 'acheteur de toute obligation.

De ce qui précède, on doit dès lors pouvoir dégager le principe général qu'il y a transfert à 1 'acheteur du risque de la prestation mais aucun transfert du risque du prix, lorsque le vendeur, en raison d'un empêchement juridique qui ne lui est pas imputable et qui survient après le moment du transfert du risque du prix, est libéré de sa prestation mais conserve néanmoins la mar-chandise vendue ou peut la récupérer292. En revanche, si la chose vendue est

290 Cf. supra, ch. 2.19.

291 Cf. dans le même sens SCHONLE, n. 38 à l'art. 185 CO.

292 A noter que l'on parviendrait au même résultat en considérant que la conservation de la marchandise par le vendeur ou la faculté de la récupérer constitue une circonstance particulière au sens de l'art. 185 al. 1 CO in fine justifiant une dérogation aux règles sur le transfert du risque du prix.

confisquée, bloquée, détruite etc. ensuite de 1' obstacle juridique non imputa-ble au vendeur, il y aura tout à la fois libération de ce dernier et transfert à l'acheteur du risque du prix. C'est l'idée que l'obstacle juridique, pour pou-voir survenir aux risques de l'acheteur, doit être comparable dans ses effets à une perte de la marchandise.

2.109 Dans certains cas toutefois, malgré l'empêchementjuridique frappant sa prestation, le vendeur ne doit pas être libéré, en sorte que 1' acheteur ne doit pas davantage supporter le risque du prix. Il doit en aller ainsi notamment lorsque293:

l'obstacle juridique (par exemple une mesure d'interdiction ou de con-fiscation, la non-délivrance ou le retrait d'une autorisation) a son ori-gine ou sa cause dans la personne ou un comportement du vendeur, ou encore dans un comportement d'une personne dont le vendeur répond. Il s'agirait en effet davantage d'un cas d'incapacité subjective29

4,

le cas échéant imputable au vendeur, et dès lors non soumis à 1 'art. 119 CO;

lors de la conclusion du contrat, le vendeur connaissait ou aurait dû connaître la possibilité de survenance de 1' obstacle juridique et s'est néanmoins engagé sans faire de réserves ou sans avertir son cocontractant, cette culpa in contrahendo du vendeur empêchant que ce cas puisse être qualifié d'impossibilité non imputable au vendeur295 .

2. Bref résumé chronologique du transfert des risques