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II. LES NORMES APPLICABLES, LES CONDITIONS

2. Excursus: une construction expressément exclue du champ

2.216a La Convention de Vienne règle-t-elle le cas de la prestation qui de-vient exorbitante en raison de circonstances non imputables aux parties, c'est-à-dire le cas de la prestation dont l'exécution, en soi possible, est rendue difficile à 1' excès ou exigerait de son débiteur des sacrifices économiques disproportionnés eu égard à la valeur de la contre-prestation qu'il attend ou qu'il reçoit?

Il semble que, lors des délibérations de la Conférence diplomatique, cer-tains délégués aient proposé d'aligner la Convention de Vienne sur la solution classique de certains régimes juridiques occidentaux et de permettre la modi-fication ou la résiliation du contrat en cas de bouleversement de circonstan-ces 168. Ces propositions n'ont manifestement pas été retenues, mais les mo-tifs de ce rejet ne figurent pas dans les documents officiels de la Conférence diplomatique169.

2.216b Dans le silence de la Convention de Vienne sur ces questions, NEUMAYER/MING sont d'avis que les juges, confrontés à des problèmes d'ex orbi tance de 1 'une ou 1 'autre des prestations, pourraient appliquer, selon 1' art. 7 al. 2 CV, les règles de 1' imprévision prévues le cas échéant par le droit interne applicable selon les règles du droit international privé170.

166 Cf. supra, ch. 2.85.

167 Cf. supra, ch. 2.159 ss.

168 Cf. à ce propos HONNOLD, in Documentary History, p. 350, ch. 451 ss. Voir également NEUMAYER!MING, n. 14 à l'art. 79 CV.

169 Cf. HONNOLD, in Documentary History, p. 350, ch. 458 à 460. Voir également Docu-ments Officiels, pp. 402 ss, ch. 52 ss, et pp. 408, ch. 42 et 44.

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°

Cf. NEUMAYERIMING, n. 14 à l'art. 79 CV et les réf. citées, ainsi que n. 8, litt. 1, à l'art. 7 CV.

2.216c Cet avis est contredit par deux décisions judiciaires récentes171, de même que par une doctrine importante172 fondée essentiellement sur le fait que les propositions visant à tenir compte de l'imprévision ont été expressé-ment rejetées lors de la Conférence diplomatique.

Selon cette approche, la Convention de Vienne, en particulier son art. 79, ne laisserait aucune place à la théorie de l'imprévision telle qu'elle est déve-loppée dans certains droits nationaux, et il n'y aurait donc pas de lacune au sens de l'mt. 7 al. 2 CV susceptible d'être comblée par les solutions, si tant est qu'elles existent, prévues par la loi applicable en vertu des règles du droit international privé173.

De 1' avis même de ses partisans, cette approche devrait néanmoins être relativisée. Il existerait en effet une limite supérieure aux sacrifices que l'on peut exiger d'un débiteur confronté à un bouleversement fondamental de 1' éco-nomie du contrat, imposée par les règles de la bonne foi dans le commerce international, qui guident toute l'interprétation et l'application de la Conven-tion de Vienne (art. 7 al. 1 CV in fine). A partir d'un certain degré de diffi-culté d'exécution- qui doit être déterminé de cas en cas eu égard aux circons-tances concrètes-, les règles de la bonne foi devraient autoriser la résiliation du contrat ou son adaptation aux nouvelles conditions d'exécution174. On observera que cette relativisation revient donc à admettre, malgré l'affirma-tion de principe contraire, 1' existence d'une lacune de la Convenl'affirma-tion de Vienne en présence d'un bouleversement particulièrement lourd.

Sur le plan du résultat, cette approche rejoindrait ainsi la solution con-sacrée par divers ordres juridiques nationaux. Sur le plan du raisonnement, toutefois, cette construction -qui a été développée essentiellement pour tenir compte des rigueurs dues aux fluctuations des monnaies, mais qui devrait également pouvoirs' appliquer à d'autres situations d'extrême difficulté d' exé-cution- se fonderait de façon autonome sur les principes généraux dont la Convention s'inspire, notamment celui exprimé à l'art. 6.2.3 des Principes

171 Cf. WITZ, pp. 109 s.

172 Cf. TALLON, n. 3.1.2 ss à l'art. 79 CV; HERBERiCZERWENKA, n. 23 à l'art. 79 CV;

HERBER, n. 14 à l'art. 4 CV; STOLL, n. 39 à l'art. 79 CV; WITZ, pp. 109 s.

173 Cf. dans un sens analogue PICHONNAZ, p. 419, ch. 1817 ss.

174 Cf. STOLL, n. 40 à l'art. 79 CV; HONNOLD, n. 432.2 à l'art. 79 CV; ENDERLEIN/

MASKOW/STROHBACH, n. 6.3 à l'art. 79 CV; HERBER/CZERWENKA, n. 8 à l'art. 79 CV.

Voir également NEUMAYERiMING, n. 8, litt.! à l'art. 7 CV et n. 14 à l'art. 79 CV. Avis (partiellement) contraire chez PICHONNAZ, pp. 418 ss, ch. 1814 ss, qui considère que la Convention de Vienne ne laisse aucune place pour un droit de la partie lésée à une adaptation du contrat: «de lege lata, seule une clause de hardship insérée dans le con-trat permet de contraindre les parties à renégocier et adapter le concon-trat en cas d'exorbitance» (ch. 1823).

CHAPITRE 2: DANS LA CONVENTION DE VIENNE DES NATIONS-UNIES

UNIDROIT175, et non sur un droit national applicable par le renvoi des rè-gles de droit international privé.

2.216d Il est exclu de procéder ici à une analyse détaillée de cette question controversée, qui excéderait manifestement le cadre de cette étude. Sur la base des dispositions topiques de la Convention et des avis exprimés en doc-trine, on peut brièvement tenter 1 'esquisse suivante.

La question de départ est de savoir si la Convention de Vienne, soit plus exactement 1' art. 79 CV, règle exhaustivement toutes les conséquences des difficultés d'exécution pouvant survenir dans une vente.

Apparemment, de l'avis d'une forte majorité, la réponse est affirmative.

La Convention de Vienne ne contient donc pas de lacune dans ce domaine. En particulier, il ne lui manque pas de réglementation du hardship176. Par voie de conséquence, un comblement de lacune selon l'art. 7 al. 2 CV est exclu. Il n'y a donc pas lieu de tenir compte des Principes UNIDROIT en matière de hardship, en tant qu'ils seraient des principes généraux dont la Convention de Vienne s'inspire.

A partir de là, il faut constater schématiquement ce qui suit:

à la rigueur du texte légal, l'art. 79 CV permet l'exonération du débi-teur d'une prestation dont 1 'exécution est en soi possible mais exigerait de lui des sacrifices ou efforts excessifs177. Cela a dès lors pour consé-quence que ce débiteur n'est «pas responsable de l'inexécution(. .. ) de ses obligations» (art. 79 al. 1 CV) et que 1' action en dommages-intérêts est exclue (art. 79 al. 5 CV), de même que 1' action en exécution réelle178.

Le débiteur de la prestation exorbitante en est donc libéré mais il ne peut, sans 1 'accord du créancier, solliciter, voire imposer la renégociation du contrat, cette possibilité n'étant pas donnée par l'art. 79 CV qui rè-gle exhaustivement le domaine de l'impossibilité et de l'exorbitance.

175 «(1) En cas de hardship, la partie lésée peut demander l'ouverture de renégociations ( ... ) (3) Faute d'accord entre les parties dans un délai raisonnable, l'une ou l'autre peut saisir le tribunal. (4) Le tribunal qui conclut à l'existence d'un cas de hardship peut, s'il l'estime raisonnable: (a) mettre fin au contrat( ... ) (b) adapter le contrat en vue de rétablir l'équilibre des prestations».

176 Cf. les auteurs cités ci-dessus, ch. 2.216c ainsi que PICHONNAZ, p. 419, ch. 1817 ss, et p. 435, ch. 1899. Voir aussi la décision du Tribunal d'Aix-la-Chapelle (citée ci-dessus;

cf. WITZ, p. 110) confirmant qu'un débiteur allemand ne peut invoquer la théorie de l'imprévision développée en droit allemand au motif que cette matière est régie ex-haustivement par la Convention de Vienne.

177 Cf. notamment PICHONNAZ, p. 404, ch. 1753 ss et les réf. citées.

178 Cf. notamment P!CHONNAZ, p. 416, ch. 1804, et p. 436, ch. 1902.

pour sa part, le créancier d'une prestation exorbitante dont l'exécution réelle ne peut plus être réclamée et qui ne peut obtenir des dommages-intérêts n'a plus guère que la possibilité de résoudre le contrat (art. 79 al. 5, art. 49 al. 1, litt. a et art. 25 CV).

Il résulte de ces quelques points que la Convention de Vienne règle les conséquences de l'exorbitance d'une prestation. Elle prévoit à ce propos en son art. 79 1 'une des solutions généralement retenues par d'autres ordres ju-ridiques, à savoir la suppression du contrat, avec cette particularité toutefois que seul le créancier- et non le débiteur- de la prestation exorbitante peut la demander. Comparée à d'autres réglementations en la matière, en particulier aux art. 6.2.1 ss des Principes UNIDROIT, la solution de la Convention de Vienne apparaît assez rigide et peu satisfaisante179. D'où les modifications pertinentes qui sont proposées de lege ferenda180

c. Perte ou détérioration imputable à l'acheteur ou aux deux parties

2.217 Si, avant le moment du transfert des risques, un comportement de 1' ache-teur ou un événement survenant dans sa sphère d'influence entraînent ou fa-vorisent la perte ou la détérioration de la marchandise, 1' art. 80 CV empêche que 1' acheteur puisse reprocher une inexécution au vendeur et agir contre lui en conséquence181. En sorte que le vendeur devrait être libéré de sa prestation en de pareilles circonstances. Rien ne paraît s'opposer, en revanche, à une action- par exemple en dommages-intérêts ou en paiement- du vendeur contre l'acheteur182.

Si la marchandise est perdue ou détériorée après le moment du transfert des risques ensuite, en raison ou à l'occasion d'un comportement de l'ache-teur ou d'un événement survenant dans sa sphère d'influence, l'art. 66 CV

179 Cf. notammentHONNOLD, n. 432.1 à l'art. 79 CV:«( ... ) Art. 79 may be the Convention's

!east successful part of the half-century of work towards international uniformity».

180 Cf. notamment PICHONNAZ, p. 420, ch. 1822.

181 Cf. dans le même sens ENDERLEIN/MASKOW/STROHBACH, n. 1.3 in fine à l'art. 66 CV.

En droit suisse, cet empêchement résulte des règles de la bonne foi (art. 2 al. 1 CCS), qui interdisent de ven ire contra factum p1Vprium.

182 Cf. art. 61 al. 1 CV et les renvois aux art. 62 CV ss et 74 CV ss; le devoir enfreint par l'acheteur peut notamment être l'obligation de s'abstenir de toute entrave à la procé-dure d'exécution; cf. à ce propos supra, ch. 2.183 ss et les réf. citées.

CHAPITRE 2: DANS LA CONVENTION DE VIENNE DES NATIONS-UNIES

doit s'appliquer183: avec pour effet que le vendeur est libéré de sa prestation alors que l'acheteur reste tenu du prix de vente184.

2.218 Si la perte ou la détérioration de la marchandise -peu importe le mo-ment auquel elle survient- est imputable à un acte ou une omission des deux parties, l'art. 66 CV ne s'applique pas.

Pour le surplus, la Convention de Vienne ne règle pas expressément cette situation. Sur le plan des principes, il semble que 1' implication des deux parties dans la survenance de 1' événement dommageable justifie que chacune voie ses éventuelles prétentions en dommages-intérêts réduites en considéra-tion de sa propre faute185, à tout le moins lorsque la marchandise est définiti-vement perdue. Cela étant, vu sa formulation, l'art. 80 CV ne paraît pas em-pêcher l'acheteur de réclamer l'exécution, si celle-ci est encore possible (livraison d'une marchandise de remplacement, réparation de la marchandise défectueuse); le cas échéant, le prix resterait dû en entier.

l83 Dans le même sens, AUDIT, p. 92, adn. 3 en bas de page.

184 Voir supra, ch. 2.93 s., la solution tout à fait comparable du droit suisse.

185 Pour le détail de cette question, cf. NEUMAYERIMING, n. 3 à l'art. 80 CV et les réf. citées;

voir également supra, ch. 2.95, la solution comparable du droit suisse.

Section C

Exceptions aux règles de la Convention de Vienne sur le transfert des risques et correctifs

a. Les exceptions